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    19 novembre 1936 – En panne de carburant, André Japy effectue un atterrissage d’urgence sur le mont Sefuri (Japon)

    Les années 1930 vivent une frénésie de records dans le domaine aéronautique. C’est même l’obsession d’André Japy, auquel de grandes entreprises confient des prototypes d’avions surmotorisés pour se lancer dans plusieurs défis sur longue distances. L’objectif est simple : reconnaître des trajets à destinations lointaines dans un laps de temps le plus court possible afin d’ouvrir la voie à des vols commerciaux rentables. Dans ce cadre, le vol Le-Bourget/Tokyo se déroule assez bien, sauf lorsque le pilote atteint, enfin, le Japon avec un réservoir pratiquement vide. Histoire d’un aviateur aujourd’hui oublié qui, grâce à un sang-froid incroyable, survit à son atterrissage sur les pentes du mont Sefuri, au sud de Fukuoka, sur l’île de Kyūshū…

    QUI EST ANDRÉ JAPY ?

    Famille protestante installée depuis le XVIe siècle à Beaucourt, aujourd’hui dans le Territoire de Belfort, les Japy marquent l’histoire industrielle française. En industrialisant les processus de fabrication horlogère, Frédéric Japy (1749-1812) devient le patriarche fondateur d’un empire industriel, mais aussi un précurseur dans les domaines de l’organisation du travail et de la vie sociale ouvrière au XIXe siècle. Il se plaît en effet à énoncer :

    « Je veux que mes ouvriers ne fassent avec moi et les miens qu’une seule famille. Mes ouvriers doivent être mes enfants et en même temps mes coopérateurs ».

    En 1810, alors que Napoléon Ier veut le faire comte, il répond :

    « Sire je vous remercie, mais ne puis accepter car je ne pourrais plus m’adresser à mes ouvriers de la même façon pendant les repas ».

    Frédéric Japy s’attache à transmettre ces valeurs à ses enfants, qui diversifient les productions et prolongent cette philosophie au-delà des changements politiques durant le XIXe siècle jusqu’à Henri Japy, qui la protège en s’opposant souvent aux idées du conseil de gérance de la Société « Japy Frères ».

    Son fils, Fernand Japy, continue à défendre ces idées : à ses funérailles, un délégué syndical déclare :

    « Il fut pour toute la population un protecteur et un ami, pour tous les malheureux le bienfaiteur le plus discret ».

    UNE CARRIÈRE AÉRONAUTIQUE

    Fils de Fernand Japy, André naît à Beaucourt le 17 juillet 1904.

    Peu attiré par une carrière dans l’entreprise familiale, André montre en revanche un goût prononcé pour la vitesse et la solitude. Il se passionne tout d’abord pour les motos, pour l’automobile, puis, enfin, pour l’aviation.

    En cela, il est fortement influencé par son frère aîné, Albert, ancien observateur au sein de l’escadrille Morane-Saulnier MS 140 durant la Première Guerre Mondiale. Après ses études secondaires, le jeune homme intègre l’École Supérieure d’Aéronautique de Paris (Supaero), dont il sort avec le diplôme d’ingénieur, qu’il complète par une licence en sciences de la météorologie et un certificat de mécanique des fluides.

    Breveté pilote en 1927, propriétaire dès 1929 du Farman F.200 immatriculé F-AJDO, André Japy sera président de l’aéro-club de Belfort jusqu’à la Seconde Guerre mondiale et restera, toute sa vie durant, un pilote méticuleux, un navigateur hors pair, préférant la lignée des aviateurs aventuriers à celle des pilotes de ligne.

    DES RAIDS SUCCESSIFS

    Au milieu des années 1930, André Japy acquiert une certaine notoriété en établissant plusieurs records spectaculaires :

    – le mercredi 21 août 1935, il effectue dans la journée le trajet Paris/Oslo et retour (14 h 45 min de vol pour 2 880 km parcourus) aux commandes d’un monoplan Caudron C.600 Aiglon équipé d’un moteur Renault de 100 CV ;

    – le dimanche 1er septembre 1935, il effectue dans la journée le trajet Paris/Oran et retour (en 16 heures et 25 minutes de vol) ;

    – le dimanche 22 septembre 1935, il effectue dans la journée le trajet Paris/Tunis et retour ;

    – le vendredi 31 juillet 1936, il relie Paris à Alger en 5 h 3 min sur un Caudron Simoun ; après une escale de 58 min à Alger, le vol retour est effectué en 5 h 48 min ;

    – le 6 août 1936, il relie Paris à Moscou en 16 h 5 min, mais est contraint à effectuer une escale à Velikié-Louki , près de Pskov ;

    – deux jours plus tard, le vendredi 8 août 1936, il relie Moscou à Paris en 9 h 50 min, cette fois-ci sans escale ;

    – le dimanche 15 novembre 1936, il relie la France et le Japon en 75 h 15 min sur un parcours de plus de 14 000 km ;

    – le 15 novembre 1936, il relie Paris à Hanoï en solitaire aux commandes d’un Caudron-Renault, à 180 km/h de moyenne…

    LE RAID PARIS-TOKYO

    En 1936, André Japy se lance un nouveau défi consistant à relier Paris à Tokyo… en moins de 100 heures.

    Le dimanche 15 novembre 1936, à 23 h 46, il décolle de l’aérodrome du Bourget aux commandes du Caudron C.631 Simoun F-ANXA, un appareil équipé d’un moteur Renault 6Q-01 de 220 CV prêté à Japy par la société Caudron.

    Entre le mercredi 18 et le samedi 21 décembre 1935, Gaston Genin et André Robert avaient établi un nouveau record de rapidité sur le trajet Paris-Tananarive en 57 h 35’ (8 900 km) à bord de ce même appareil dénommé « Gody Radio« , alors peint en bleu. Pour son propre exploit, Japy le fait repeindre en rouge…

    N’ayant pas obtenu les autorisations pour survoler l’URSS, Japy emprunte l’itinéraire sud et fait escale pour avitaillement en carburant à Damas, Karachi, Allahabad et Hanoï, qu’il atteint 51 heures après son départ du Bourget. Il établit ainsi un nouveau record sur ce trajet, ce qui lui vaudra la coupe de Sibour. Il décolle de Hanoï deux heures plus tard et met le cap sur Hong Kong, où il atterrit le mercredi 18 novembre à 17 h 10 (heure locale).

    À peine posé, André Japy redécolle en direction de Tokyo, mais la météo se dégrade fortement et il doit faire demi-tour pour attendre une amélioration. Le lendemain, jeudi 19 novembre, à 5 h 25 du matin, après 13 heures d’attente qui lui permettent de prendre un peu de repos, André Japy quitte Hong Kong pour parcourir les 2 900 kilomètres le séparant de Tokyo, soit une dizaine d’heures de vol direct.

    Laissons-le raconter son aventure :

    « Ce jour-là, après avoir passé Shanghaï, le temps s’est soudainement gâté. Outre la pluie, je volais contre un vent fort de 40 à 50 m/s et mon petit appareil a commencé à être secoué des deux côtés. J’avais l’impression qu’à tout instant nous allions être renversés, j’ai empoigné encore plus fortement le levier de pilotage.

    Après réflexion, afin d’éviter d’être trop secoué, j’ai réduit ma vitesse de 300 à 240 km/h. Mais le vent est devenu de plus en plus fort, rien ne semblait pouvoir arrêter ce ballottement…. J’avais pris l’île de Kyūshū pour objectif et suis arrivé non sans peine dans le département de Nagasaki, vers Nomozaki. Quel soulagement et quelle joie j’ai ressentis ! J’avais atteint le Japon. Lorsque soudainement, je me suis aperçu que je n’avais presque plus assez d’essence.

    Aller jusqu’à Tokyo étant devenu impossible, j’ai décidé de faire un atterrissage forcé quelque part. Au début j’ai pensé aller jusqu’Osaka mais j’ai réalisé que cela pouvait être dangereux de nuit, aussi ai-je choisi l’aéroport le plus proche, celui de Fukuoka. J’ai commencé à perdre de l’altitude pour voler sous les nuages…. J’ai notablement réduit ma vitesse et mon altitude de façon à voler 200 – 300 m du sol pour trouver mon chemin. Après moins d’une heure, je me suis heurté à une épaisse couche de brouillard, j’ai vaguement distingué, entre les nuages et la couche de brouillard, le faîte du mont Sefuri.

    J’ai immédiatement repris de l’altitude pour passer le sommet sans problème. J’allais passer la montagne lorsque je fus saisi et projeté dans une poche d’air, ce que nous craignons le plus. L’appareil a fait une chute de 100 m pour venir s’écraser sur le mont. C’est la fin ! En un instant mon corps a été saisi d’effroi. J’ai vu défiler devant mes yeux les visages de ma mère, de mon père et de mes amis… »

    Des villageois qui se trouvent dans la forêt vont quérir des secours et recherchent l’avion dans le brouillard en luttant contre la nuit proche. Ils retrouvent l’épave en se guidant sur les appels de Japy. Découvrant qu’il s’agit d’un étranger, ils décident de le descendre au village, qu’ils atteignent après beaucoup d’efforts à 23 heures, soit six heures après l’accident. S’ensuit une démarche continue de solidarité au-delà des frontières, avec la ville de Fukuoka comme épicentre.

    Le samedi 17 avril 1937, André Japy atterrit au Bourget après sa convalescence et retrouve sa mère, ainsi que tous les officiels venus le féliciter. Il aura relié la France au Japon en 75 heures et 15 minutes sur un parcours de plus de 14 000 km. Son record ne sera jamais battu.

    1938

    Le 26 janvier 1938, André Japy se voit décerner le prix Henry-Deutsch-de-la-Meurthe 1937 pour son raid Istres/Djibouti. En mars la Fédération Aéronautique Internationale (FAI) lui remet la médaille Louis Blériot pour l’ensemble de ses exploits.

    La société anonyme des Établissements Japy Frères est confrontée à d’importantes difficultés financières qui conduisent à l’entrée au capital de la société Worms & Cie afin d’éviter un dépôt de bilan. André Japy doit consacrer plus de temps à la société familiale.

    1939, L’OCCUPATION PUIS LA « RETRAITE »

    En avril 1939, André Japy teste un nouvel avion de Grand Raid : le Caudron C.860 F-ARER équipé d’un moteur Renault 6Q-03 développant 240 CV et dont l’autonomie doit d’atteindre 7 500 km. Cet appareil sera ensuite affecté au Centre d’essais du matériel aérien (CEMA) de Villacoublay, qui est actif de 1936 à 1940.

    Incorporé en mars 1940 comme lieutenant dans une escadrille de l’armée de l’Air, il est démobilisé en juin et se marie le 14 décembre à Nice avec Anna-Lisa Johnson. Après le départ de Pierre Pucheu, Président Directeur Général (PDG) des établissements Japy pour devenir ministre du maréchal Philippe Pétain, André et Albert Japy doivent prendre la direction pour gérer au mieux les rapports avec l’occupant tout en sauvant les emplois.

    En 1945, André Japy s’inscrit comme membre de la Société des Océanistes. Il est engagé au service météorologique de Papeete, sur l’île de Tahiti, dont il prendra la direction pendant 17 ans en s’impliquant dans la vie locale, utilisant son Piper pour des opérations humanitaires, facilitant la construction de pistes d’atterrissage dans les îles. Il termine sa vie en France, où il décéde d’une crise cardiaque le 10 octobre 1974.

    UNE AMITIÉ QUI NE SE DÉMENT PAS

    Cette amitié perdure entre les villes jumelées de Kanzaki et de Beaucourt. Les habitants continuent à partager leurs souvenirs et renforcent leurs liens par des échanges de toutes formes : en 1995 une délégation japonaise de 33 personnes vient à Beaucourt puis, en 1996 les beaucourtois se rendent au Japon pour célébrer les 60 ans de l’accident et remercier la population pour son dévouement.

    UN BEST SELLER AU JAPON

    Dans un court article intitulé « Histoire : l’aventure japonaise d’andré Japy« , le site Internet beaucourt.com/andre_japy.htm raconte :

    « Chiaki Gondo a décidé de raconter dans un livre l’histoire d’André Japy, industriel français soigné par la population après le crash de son avion au Japon. La Japonaise s’est récemment rendue en Franche-Comté, sur les traces de son héros.

    Le moment est solennel. À 92 ans, Chiaki Gondo s’apprête à réaliser son rêve. Elle pénètre dans le château Japy, où à vécu André Japy, fils d’industriel à la vie hors du commun. Passionné d’aviation, il a réalisé des dizaines de vols à travers le monde. En 1936, en route pour Tokyo, il s’écrase sur le mont Sefuri, à l’extrême sud du Japon. Recueilli et soigné par la population locale, André Japy sera éternellement reconnaissant envers ses bienfaiteurs.

    Un best-seller au Japon

    Madame Gondo a décidé de raconter cette histoire dans un livre intitulé « Les ailes blessées », best-seller au Japon. Depuis un demi-siècle, elle rêvait de se rendre à Beaucourt (Doubs) sur les pas de son héros. Exceptionnellement, Mathieu Japy, petit-neveu d’André, a fait le déplacement. Pour Chiaki Gondo, ce voyage est aussi l’occasion de rencontrer la jeunesse, les écoles lui ont réservé un bel accueil. Dans la classe, le livre de madame Gondo a été étudié avec attention. Plus de 80 ans après le crash d’André Japy, les relations entre la Franche-Comté et le Japon ont pris un nouvel envol.»

    Voir vidéo :  https://www.dailymotion.com/video/x6ixulg

    ÉPILOGUE

    Aujourd’hui presque complètement ignorée du grand public, la mésaventure d’André Japy au Japon est reléguée au rang des anecdotes de l’ère des pionniers qui, s’affranchissant des distances, des obstacles, des mers et des océans, n’ont de cesse que de rallier les contrées les plus lointaines en un temps record. Alors, c’est vrai, on peut s’interroger de la présence de notre héros dans la galerie de portraits des aviateurs de montagne légendaires, lui qui n’avait même pas l’idée de se poser en terrain accidenté. Il faut avouer que pour un néophyte de l’aviation de montagne, il aura réussi, en panne sèche, à se poser en terrain boisé en « cassant du bois », mais en s’en sortant vivant, ce qui représente un véritable exploit, voire même relève du miracle.

    On peut aussi se poser la question du véritable dévouement manifesté par les villageois qui ont sauvé, soigné et évacué André Japy, restant fidèles au souvenir de cet événement exceptionnel en érigeant une stèle sur le lieu du crash tout en maintenant, au fil des décennies, un lien étroit avec la famille de l’aviateur et la commune de Beaucourt. Il faut se souvenir que c’est un officier de marine français, l’enseigne de vaisseau Yves Gaston Le Prieur, le premier homme à voler dans le ciel japonais sur un planeur en structure de bambou et de toile de sa construction selon les plans des frères Voisin. L’exploit a lieu à Tokyo, près du lac Shinobazu, devant des ministres, des ambassadeurs, la presse et la foule enthousiaste, initiant par là-même l’armée impériale japonaise à l’aviation…

    Au-delà de l’exploit aérien et de l’illustration du courage d’André Japy, cette histoire souligne un trait de caractère du peuple japonais qui, loin des atrocités des guerres impérialistes en Corée et en Chine, sait montrer sa compassion aux personnes en détresse et témoigner de sa fidélité aux personnes qui s’intéressent à lui et à sa culture…

    Éléments recueillis par Bernard Amrhein

    SOURCES

    VIDÉOS

     

    PdM
    PdM
    Pilote de montagne (PDM) est une association à but non lucratif accueillant tous les amoureux de l’aviation en général, et du vol en montagne en particulier.

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