22 janvier 1906 – JESÚS FERNANDEZ DURO TRAVERSE LES PYRÉNÉES… EN BALLON


Au début du siècle dernier, l’aviation est encore balbutiante. C’est pourquoi certains hommes aisés s’élancent dans les airs à bord d’aérostats plus ou moins perfectionnés. C’est le cas de Jesús Fernández Duro qui, peu de temps après avoir acquis un ballon à Paris, entreprend d’accomplir un exploit : la première traversée aéronautique des Pyrénées. Pilote de montagne (PDM) vous propose de suivre l’exploit de l’aéronaute espagnol à travers un article de l’historien Ernesto Burgos Fernández, publié le jeudi 24 janvier 2013…

JEUNESSE

Jesús Fernández Duro naît à La Felguera, commune de Langreo (Asturies), le samedi 18 mai 1878 et décède à Saint-Jean-de-Luz (France), le jeudi 9 août 1906. C’est un ingénieur, un sportif et un aéronaute espagnol, fait chevalier de la Légion d’honneur française.

Originaire de Brieva de Cameros (La Rioja), son père, Matías Fernández Bayo est un industriel aisé. Sa mère, Pilar Duro Ortiz (fille de Pedro Duro, fondateur de la Sociedad Duro-Felguera [extraction de charbon et production sidérurgique]) est originaire de La Felguera. Elle décède en juin 1878, des suites de l’accouchement de Jésus, dernier des cinq enfants issus du mariage.

Jésus est baptisé le mercredi 22 mai 1878 et entame sa scolarité à l’école primaire de La Felguera. Dans les fins fonds de l’usine Duro, il observe, dans la solitude d’une enfance triste (comme la qualifie Maria Portuondo Velázquez-Duro, sa biographe officielle), « comment les oiseaux planent sur le manoir et rêve d’aventures et d’exploits ».

Il poursuit son éducation dès l’âge de dix ans au collège de la Compagnie de Jésus de Carrión de los Condes de Palencia. Deux ans plus tard, il poursuit ses études au collège des Augustins de Barcelone.

En 1900, la famille déménage à Madrid et commence à se lier à la haute société. Grâce à sa connaissance du français, il tient le Pavillon de l’Exposition universelle de Paris sur le stand de la Société Duro-Felguera.

À dix-huit ans, il hérite de plusieurs fortunes.

Il entreprend à l’École polytechnique de Genève (Suisse) les études pratiques d’ingénierie qu’il complète avec celles de mécanique à Paris.

L’AUTOMOBILISTE

Il importe de France une voiture, l’une des premières à circuler à Madrid. Il passe tous les étés à Gijón dans la ferme « Quinta Duro » de Cabueñes, mais ne cesse d’assister aux fêtes de San Roque à La Felguera. En 1902, à l’occasion de la visite à La Felguera, il est présenté au roi Alphonse XIII.

La voiture achetée à Paris est de la marque Panhard Levassor, avec un moteur à quatre cylindres de douze chevaux ; Jésus l’utilise fréquemment à La Felguera.

Avec cette voiture et accompagné de son ami Fernando Muñoz ainsi que de son mécanicien Marcelino Loujedo, il entreprend un voyage de Gijón à Moscou, préalablement préparé par prépositionnement de pièces et de roues de rechange aux points clés du parcours. Le dimanche 14 septembre 1902, ils démarrent pour Bilbao, la première étape. Ils passent par Saint-Sébastien, Saint-Jean-de-Luz, Carcasonne, Lyon, Genève, Dresde, Berlin, Prague, Varsovie et Moscou. À leur retour, ils s’arrêtent à Paris le dimanche 16 novembre et retournent à Gijón le mardi 2 décembre 1902.

Ils ont parcouru 12 000 kilomètres, ce que les journaux sportifs considèrent comme un exploit remarquable.

L’AÉRONAUTE

Passionné de mécanique, il s’enflamme pour l’aéronautique naissante à Paris et prend contact avec les plus célèbres aéronautes de l’époque. Il commande un ballon de 900 mètres cubes dans les ateliers Maurice Mallet et devient membre de l’Aéroclub de France (ACF). En France, on le surnomme « Monsieur Cinq Francs », parce que cinq pesetas forment un « duro » et que son second nom de famille est Duro.

Il prend des leçons afin d’apprendre la mise en œuvre de son ballon Alcotán [faucon] et, ayant acquis l’expérience nécessaire, le fait transporter par train jusqu’à Madrid où, le mercredi 18 mai 1904, il effectue la première ascension en compagnie de son ami Guillermo Guisáosla. Ils parcourent 140 kilomètres et se posent à Oropesa (Tolède).

Pendant l’une de ses autres ascensions, accompagné d’Eduardo Magdalena, il parcourt 310 kilomètres en cinq heures de vol.

Début 1905, il entame des démarches pour fonder l’Aéroclub d’Espagne avec Magdalena Rubrick, le teniene-coronel (lieutenant-colonel) Pedro Vives Vich et le capitaine Alfredo Kindelán, qu’il rencontre au Campo de Aerostación de Guadalajara à l’occasion de sa participation à l’un des voyages en ballon.

Une fois l’Aéroclub créé, il en refuse la présidence, car son désir de voler ne lui permet pas de s’occuper de ces choses terrestres, si éloignées des vastes horizons bleus dont il rêve, moyen de hisser haut le pavillon de l’Espagne dans les cercles européens.

En mai 1905, il assiste à l’inauguration du Real Automobile Club d’Espagne (RACE), en pilotant son ballon Alcotán [faucon] ; sa Majestés le roi d’Espagne y assiste également (le roi Alphonse XIII étant président d’honneur de l’Aéroclub).

En 1905, à l’occasion de la tenue, à Burgos, d’un congrès scientifique, Jesús Fernández Duro participe, avec deux de ses ballons, l’Alcotán et l’Avion, en aidant d’autres aéronautes et scientifiques à observer l’éclipse du soleil en altitude et en participant aux ascensions accompagné de l’ingénieur militaire Emilio Herrera Linares.

Avec ce dernier, il participe au concours aérostatique de l’Aéroclub de France et termine à la deuxième place sur les vingt participants, fine fleur de l’aéronautique française.

Ils atterrissent en Moravie, à 1 300 kilomètres de Paris. Ils sont faits chevaliers de la Légion d’honneur et reçoivent la médaille de l’Aéroclub de France tandis que le roi Alphonse XIII les félicite personnellement.

L’ACF attribue à Fernández Duro le titre d’aéronaute pour son parcours et ses exploits.

De cet épisode, on conserve une anecdote très curieuse.

Au cours d’un banquet offert à Herrera, la reine régente Maria Cristina lui demande les détails du vol. Herrera lui raconte toutes les difficultés et les incidents se terminant par l’atterrissage en Moravie. La reine l’interrompt en lui disant : « Je suis née là-bas ! ». Herrera lui répond : « Moi aussi ! »

En 1905, Fernández Duro ajoute à sa flotte un nouveau ballon baptisé El Cierzo[1].

LA TRAVERSÉE DES PYRÉNÉES EN BALLON

En 1906, il prépare un exploit consistant à gagner la Coupe des Pyrénées, concours créé par l’Aéroclub de Bordeaux, assorti d’une récompense de 5 000 francs (français). Ce prix sera attribué à l’aéronaute quittant Pau (France), traversant les Pyrénées et descendant sur le territoire espagnol en ayant parcouru le maximum de distance. Il utilise un ballon de 2 000 mètres cubes, le ‘El Cierzo’. Avec lui, il rejoint Pau dans les premiers jours de janvier 1906.

Le lundi 22 janvier, voyant que la météo est correcte, qu’un vent favorable souffle en direction du Sud, il débute son ascension à quatre heures de l’après-midi, en emportant des sacs de ballast, des instruments, des vêtements appropriés et quelques provisions.

Il franchit les Pyrénées par une nuit obscure et enveloppé dans un épais brouillard. Le vent le précipite contre les montagnes, mais il réussit à s’élever en lâchant du lest.

Il traverse tout le nord de l’Espagne par un froid épouvantable de 18 degrés sous zéro, sans nourriture et du vin glacé. Il navigue à 3 500 mètres d’altitude sur certains tronçons du parcours.

Au petit matin, il se retrouve sur les contreforts de la Sierra Nevada et à six heures, descend demander à un paysan où il se trouve ; quand celui-ci lui répond qu’il se trouve près de Guadix, à 7 kilomètres de Grenade, il tire la soupape d’échappement des gaz et se pose.

Le paysan l’aide à transporter le ballon tandis le maire de Guadix certifie l’atterrissage, ce qui lui offre la Coupe des Pyrénées pour l’Espagne.

Il retourne à Biarritz, où il est félicité par l’Aéroclub de France, qui est fier qu’un tel pilote figure dans ses rangs.

UNE FIN PRÉMATURÉE

Peu après, Fernández Duro et Herrera tentent la traversée de la Méditerranée. Ils décollent en ballon depuis Barcelone, mais doivent atterrir sans y parvenir, car les vents ne leur sont favorables.

À Biarritz Fernández Duro prend contact avec des personnes faisant la promotion de l’aviation naissante et c’est un tel enthousiasme qu’il commande la fabrication d’un avion aux ateliers Mallet et Tatin[2].

Son décès prématuré à Saint-Jean-de-Luz (France), le jeudi 9 août 1906, met un terme à ses projets.

De fâcheuses fièvres typhoïdes mettent fin à la carrière de Fernández Duro, qui effectue son dernier envol alors même qu’on termine de lui construire un avion. En 1908, sa dépouille est transférée vers La Felguera pour, finalement, reposer dans le cimetière de Pando (La Felguera), où elle se trouve toujours.

Jésus Fernandez Duro tombe ensuite très longtemps dans l’oubli mais, en 1926 on lui rend enfin un hommage officiel en dévoilant une plaque commémorative sur le mur sa maison natale de La-Felguera. Le peintre Nicanor Piñole réalise un portrait qui se trouve dans la ferme « Quinta Duro » de Cabueñes. Par la suite, et sur l’insistance de plusieurs historiens, un monument est érigé à La-Felguera en hommage et en souvenir de la part de tous ses admirateurs.

Article original de Ernesto Burgos Fernández (publié le jeudi 24 janvier 2013), traduit de l’espagnol par Bernard Amrhein


NOTES

  1. El cierzo (du latin cercius, pour circius), est un vent de composante Nord-Ouest (NO) soufflant dans la partie septentrionale de l’Espagne : en Aragón, dans la Ribera de Navarre et la plaine de La Rioja. C’est un vent fort, froid et sec engendré par la différence de pression entre la mer Cantabrique et la mer Méditerranée lorsque se forme une tempête sur cette dernière et un anticyclone sur la première. https://es.wikipedia.org/wiki/Cierzo
  2. « Victor Tatin (1843–1913), né René Victor Tatin le 10 juillet 1843 à Paris et décédé le 18 avril 1913 à Paris, était un ingénieur français qui créa un avion, l’Aéroplane, en 1879. Son avion était le premier modèle réduit d’avion à décoller par lui-même en utilisant sa propre puissance pour s’élever du sol. » https://fr.wikipedia.org/wiki/Victor_Tatin

SOURCES


L’AUTEUR DE L’ARTICLE

Ernesto Burgos Fernández (historien) est né à Mieres (Asturies) le dimanche 7 juillet 1957. Il est diplômé de géographie et d’histoire de l’Université d’Oviedo (1979), diplômé d’études avancées en archéologie historique (La romanisation dans les bassins miniers du sud des Asturies, 2006), professeur d’enseignement secondaire, et a travaillé dans les instituts Juan de Herrera (Valladolid), Sánchez Lastra (Mieres), Camino de La Miranda (Palencia), Valle de Alle (Moreda). Depuis 2006, il enseigne à l’IES Mata Jove de Gijón. En 2016, le célèbre historien local a reçu le prix annuel de “Mierense del año” (Mieresien de l’année).

BIBLIOGRAPHIES EN ESPAGNOL

  • Portuondo Velázquez Duro, Cara y Cruz en la Vida de Fernández Duro et Una Vida: Fernández Duro, Oviedo y Madrid, 1956.
  • González-Betes, 75 ans après le Premier vol d’un avion dans les Asturies, en Nouvelle-Espagne, 21 septembre 1986; El Primer Festival Aeronáutico en Asturias, à El Comercio (Gijón), le 15 août 1987; La Aviación en las fiestas de San Mateo, à El Correo de Asturias (Oviedo), les 20 et 21 septembre 1987.
  • La Investigación de los Primeros Vols en las Capitales espagnoles. Problemas y Dificultades, en Aeroplano (Madrid), 4 (1987).
  • Aeródromos en Asturias, en Aeroplano, 6 (1989).
  • González- Granda, Crónicas Aeronáuticas, t. II, Madrid, Instituto de Historia y Cultura Aeronáuticas, 1994.
  • González-Betes, Historia Gráfica de la Aviación Española, Madrid, Colegio Oficial de Ingenieros Aeronáuticos de España, 1998.
  • Montejo Martín, Reseñas biográficas de Jesús Fernández Duro, La Felguera (Asturias), Ediciones Montejo Martín, 2000.
  • González- Betes, Los primeros vuelos y aeródromos en las capitales españolas, Madrid, INECO-Tifsa, 2003; J.Vigil-Escalera, Al encuentro con Jesús Fernández Duro, La Felguera (Asturies), Sociedad de Festejos y Cultura San Pedro, 2005.

SOURCE PRINCIPALE


AUTRES SOURCES

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