3 et 9 avril 1933 – Premiers survols de l’Everest par l’expédition Houston


L’exploration et la traversée des principaux massifs montagneux constituent l’objectif primordial des pionniers de l’aviation. Rapidement, les Alpes et les Andes deviennent le terrain de jeu favori des premiers aviateurs entre 1910 et le début des Années Trente. Si le survol des montagnes Rocheuses (dont l’Alaska) en Amérique du Nord ainsi que l’exploration aérienne des massifs soviétiques méritent une étude approfondie, ce début d’année 1933 marque un tournant significatif avec la conquête aérienne du mont Everest, tout un symbole…

RÉSUMÉ

Le lundi 3 avril 1933, Sir Douglas Charles Douglas-Hamilton, marquis de Douglas et Clydesdale et le lieutenant David Fowler McIntyre entreprennent la première expédition aérienne vers le mont Everest. Décollant de l’aérodrome de Lalbalu à 8 h 25, ils sont de retour à 11 h 30 après avoir tenté de survoler le massif.

L’EVEREST, UN RÊVE INACCESSIBLE

En 1895, Clint Thomas Dent, alpiniste anglais et président de l’Alpine Club, suggère la possibilité d’escalader l’Everest (Chomolungma en népalais) dans son livre ‘Above the Snow Line’.

Expéditions pédestres

À partir des années 1920, de nombreuses tentatives ont lieu pour conquérir ce sommet, mais la première ascension réussie confirmée au sommet n’a pas lieu avant la neuvième expédition en 1953. Sous la direction du colonel John Hunt, Edmund Hillary et Tenzing Norgay atteignent le sommet le vendredi 29 mai 1953.

L’expédition de 1924 (la deuxième tentative de l’histoire pour atteindre le sommet) constitue à ce jour l’un des plus grands mystères de l’Everest. Les alpinistes George Mallory et Andrew Irvine disparaissent en effectuant leur ultime tentative pour atteindre le sommet. Certains croient qu’ils auraient réussi leur entreprise, mais il n’y a aucune preuve concluante pour soutenir cette théorie.

Projet d’expédition aérienne

L’idée d’une expédition aérienne au-dessus du mont Everest est proposée en 1918 par un physiologiste et alpiniste britannique, Alexander Kellas, dans un long article publié dans le National Geographic et intitulé « The Possibility of Aerial Reconnaissance in the Himalaya ». Expert en physiologie, Kellas pense qu’avec une bonne préparation, un bon équipement et un temps d’adaptation suffisant, les membres d’équipage pourraient non seulement piloter des appareils à des altitudes extrêmes en disposant de toutes leurs facultés (physiques, intellectuelles, etc.), mais aussi prendre des photographies de reconnaissance exploitables. Il faudra malheureusement encore attendre une quinzaine d’années pour perfectionner des technologies alors balbutiantes.

Malgré l’expérience de Kellas et sa conviction que le sommet de l’Everest peut être atteint par avion, tout le monde n’est pas convaincu, y compris les membres de la Royal Geographical Society et de l’Alpine Club.

De même, l’alpiniste Douglas Freshfield considère la proposition de Kellas comme une hérésie et l’amiral Mark Kerr, chef adjoint de l’état-major de l’Air et l’un des fondateurs de la Royal Air Force (RAF), pense qu’il faudrait encore un siècle avant qu’un tel exploit puisse être réalisé.

Puis, en 1927, John Noel (le photographe de l’expédition Everest de 1922) évoque la possibilité de larguer un homme directement sur le sommet. Cette suggestion est rejetée, notamment parce que Noel est persona non grata au sein de la communauté des alpinistes car il a manqué de discernement en filmant et en ramenant des Tibétains au Royaume-Uni à des fins de divertissement. C’est apparemment l’une des raisons pour lesquelles le gouvernement tibétain avait commencé à refuser l’accès aux expéditions dirigées par les Britanniques.

Cependant, les croyances évoluent et la technologie peut prouver que vous avez tort. Ce n’est que 15 ans avant qu’un avion arrive à voler à une altitude aussi extrême et au-dessus du ‘Toit du monde’.

Mécénat

Le projet ne peut pas aboutir sans un financement conséquent. C’est pourquoi, en septembre 1932, Lord Clydesdale rend visite à Fanny Lucy, Lady Houston, Baronne Byron (1857-1936), dans le domaine de chasse écossais de cette dernière (‘Kinrara’), afin de solliciter son soutien. Il impressionne l’aristocrate en s’habillant en kilt pour le dîner. Après présentation du projet, la très nationaliste Lady Houston est ravie de l’idée de Clydesdale. Pour elle, la conquête de l’Everest par voie aérienne est de nature à renforcer la domination britannique sur l’Inde. Elle accepte de financer l’expédition et reste étroitement impliquée à toutes les étapes de l’entreprise, mais depuis l’Angleterre…

Pour information, Lady Houston est très proche des milieux nationalistes et soutient le fasciste Oswald Mosley. Cependant, elle est également appelée la « Mère du Spitfire », qui ne doit sa réalisation que grâce à son action personnelle.

L’organisation de l’expédition est confiée à Stewart Blacker, qui est motivé par une couverture médiatique d’une expédition au-dessus de l’Everest en 1933. Il réussit à persuader la Royal Geographical Society qu’un survol serait utile, et convaincre le ministère de l’Air, le Bureau de l’Inde ainsi que le gouvernement népalais d’autoriser le vol.

Fils d’Alfred, 13e duc d’Hamilton, Lord Clydesdale, Douglas-Hamilton, est le plus jeune chef d’escadron de la Royal Air Force. Il commande le 602e Escadron et devient chef-pilote de l’Expédition aérienne mont Everest/Houston. Le lieutenant David Fowler McIntyre appartient également partie du 602e Escadron.

AÉRONEFS

Dans l’Entre-deux-guerres, les avions sont encore relativement sommaires et ne disposent pas encore de cockpit. Malgré l’établissement de records d’altitude, ils ne sont pas prévus pour franchir les reliefs himalayens. Il faut donc trouver un appareil assez puissant pour grimper à haute altitude, mais on pressent que les équipages auront besoin d’oxygène pour s’y déplacer.

En novembre 1932, l’équipe choisit deux avions Westland Wallace : Lord Clydesdale pilote le Westland PV-3 modifié immatriculé G-ACAZ en compagnie du colonel Blacker tandis que le lieutenant MacIntyre et le photographe Bonnett suivent leur leader à bord du Westland PV-6 (prototype du bombardier Westland Wallace), immatriculé G-ACBR (également connu sous le nom de Houston-Wallace). Équipé de moteurs Bristol Pegasus S3, les deux avions ont été modifiés avec des postes d’observation fermés, tout en conservant les postes de pilotage ouverts.

Cependant, à ces altitudes, il ne faut pas seulement adapter les appareils et leurs moteurs et s’attaquer aux problèmes critiques de l’approvisionnement des aviateurs en oxygène, mais aussi garantir leur maintien au chaud au-dessus de 30 000 pieds. Pour se protéger du froid extrême, les aviateurs sont équipés de combinaisons de vol à double épaisseur et chauffées électriquement, ainsi que de gants et de lunettes chauffants. La minuscule ouverture de la vanne de régulation d’oxygène de chaque aviateur, qui est susceptible d’être bloquée par des particules de glace ou de petits insectes, présente une vulnérabilité inquiétante.

Le poids constituant un facteur crucial, Vickers Armstrong fournit des bouteilles d’oxygène allégées fabriquées à partir d’un nouveau type d’alliage d’acier. La caméra et les appareils photographiques engendrent un surcroît de poids non négligeable, chaque bobine de film pesant à elle seule cinq livres.

Les aéronefs sont acheminés à Karachi par bateau puis rejoignent, par les airs, la ville de Purnia, dans l’État du Bihar, au nord de l’Inde.

À la fin du mois de mars 1933, l’expédition est fin prête sur l’aérodrome de Lalbalu, à environ 50 miles (environ 100 km) au sud de l’Everest, en attente d’un bulletin météorologique favorable. Les prévisions pour le 3 avril annonce des vents de 67 mi/h à 28 000 pieds, bien au-dessus de la limite prescrite de 40 mi/h. La décision est prise : on décolle !

EXPÉDITIONS

Peu de temps après le décollage, les équipages rencontrent un nuage de poussière s’élevant à une grande hauteur et qui empêche de voir le sol menant aux chaînes de montagnes plus élevées. Une trentaine de minutes plus tard, à 30 000 pieds, aux prises avec des vents contraires redoutables, ils voient pour la première fois l’Everest.

Expédition du 3 avril

Lord Clydesdale est accompagné du lieutenant-colonel Latham Valentine Stewart Blacker, observateur, et de Sidney R. G. Bonnett, directeur de la photographie pour Gaumont British News.

Pendant le vol, Bonnett a des douleurs d’estomac, arrête le tournage et se réfugie dans la carlingue de l’appareil, où il manque de perdre connaissance en raison d’une hypoxie. Reprenant ses esprits, il découvre que le flexible de son masque à oxygène est endommagé et il le répare sommairement avec un mouchoir. Les avions transportent des fournitures pour durer 15 minutes au-dessus des montagnes avec le chauffage intégré.

La première expédition n’obtient pas de photographies claires à cause de la poussière.

Expédition du 19 avril

Une nouvelle tentative, fructueuse celle-ci, a lieu le 19 avril 1933. Les images rapportées à cette occasion permettront à Edmund Hillary et à Tenzing Norgay d’atteindre le sommet de l’Everest en 1953.

 

L’appareil photographique utilisé est un Williamson Automatic Eagle III prenant des clichés de la surface terrestre à intervalles précis alors que les avions survolaient des lieux de relevés connus dans le but d’obtenir une mosaïque photographique du terrain permettant d’établir une carte précise. Les photographies de l’expédition sont rendues publiques en 1951.

Une gloire éphémère

Le vol réussi au-dessus de l’Everest fait des participants à l’expédition des héros. Lord Clydesdale reçoit l’Air Force Cross, ce qui confirme l’adage selon lequel on est récompensé en la personne de ses chefs.

Les images de Bonnett sont reprises dans le documentaire primé aux Oscars en 1936 et intitulé ‘Ailes sur l’Everest’.

En revanche, on a dû fouiller dans les archives pour retrouver les images du premier vol au-dessus de l’Everest.

 

CONSÉQUENCES

Malheureusement, les expéditions n’ont pas vraiment l’effet escompté. Ainsi, un grand journal londonien illustre un article sur l’Everest avec… une photo du Makalu. D’autre part, les photos ne sont d’aucune utilité pour les expéditions himalayennes d’avant la seconde guerre mondiale.

Ainsi, les photographies prises par l’expédition Houston n’ont vraiment pris leur essor qu’en 1951, lorsque Michael Ward (qui deviendra plus tard le médecin de l’équipe de l’expédition de 1953) a décidé de se rendre aux archives de la Royal Geographical Society pour trouver une nouvelle route vers l’Everest.

Il y examine environ 3 000 clichés et obtient un grand nombre d’informations topographiques dessinant une route possible vers le sommet de l’Everest. Il s’agit de photographies prises lors des expéditions terrestres de 1921, 1935 et 1936, de l’expédition Houston de 1933 au-dessus de l’Everest, de vols clandestins au-dessus de l’Everest effectués en 1945 et 1947, et d’une photo prise par Bill Tilman en 1950.

AUTRES EXPLOITS AÉRIENS HIMALAYENS

Quelques exploits dans le massif de l’Himalaya sont assez remarquables.

Ainsi, le lundi 26 septembre 1988, après avoir effectué l’ascension par la crête sud-est, Jean-Marc Boivin réalise la première descente en parapente du mont Everest, ce qui constitue le record de la descente la plus rapide de la montagne et le plus haut vol en parapente.

Le lundi 21 octobre 1991, le pilote de ballon Chris Dewhirst et le cameraman Leo Dickinson accomplissent le premier vol au-dessus de l’Everest. L’aventure est retranscrite à travers un documentaire intitulé « Ballooning Over Everest ». Revivez ce moment à l’adresse http://ow.ly/pgVx50BYKbT

Ensuite, le samedi 14 mai 2005 à 7 h 08, heure locale, un hélicoptère Écureuil/Astar AS350 B3 avec, aux commandes et en solo, le pilote d’essai français Didier Delsalle, atterrit au sommet de l’Everest. L’hélicoptère redécolle 3 minutes et 50 secondes plus tard. Revivez c moment à l’adresse https://www.altitude.news/fun/2020/05/15/2005-un-pilote-francais-se-posait-au-sommet-de-everest/.

Enfin, le mardi 21 mai 2013, le pilote italien Maurizio Folini, à bord de son Eurocopter AS350 B3, bat le record d’altitude pour un hélitreuillage à 7 800 d’altitude, en secourant Gautam Sudarshan, un alpiniste népalo-canadien, sur la voie normale de l’Everest, non loin du camp 4.

Tous ces événements feront l’objet d’articles à paraître à leur date anniversaire.

ÉPILOGUE

En fin de compte, il aura fallu moins de 15 ans, et non un siècle, pour construire un avion et former un pilote capable de voler à 30 000 pieds. Les prouesses technologiques ayant rendu cet exploit possible de sont révélées, bien entendu, fort utiles dans le cadre du deuxième conflit mondial, particulièrement pour ce qui concerne les bombardiers stratosphériques. En outre, les survols du massif himalayen ont permis l’établissement d’une cartographie précise permettant la conquête des plus hauts sommets de la planète.

Cependant, ces expéditions, qui se cantonnent au survol de ces géants, mettent également en relief la nécessité de passer d’une cabine ouverte (à tous les vents) à un cockpit fermé, chauffé et pressurisé, ainsi que l’impossibilité d’atterrir, en avion, au plus près des sommets. Il faudra donc se résoudre, beaucoup plus tard, à établir des aéroports en haute altitude (comme l’alitport de Lukla, [code AITA : LUA ; code OACI : VNLK], connu sous le nom d’aéroport Tenzing-Hillary, par exemple) pour, ensuite, rejoindre les camps de base par voie pédestre.

Cependant, c’est bien avec l’avènement d’hélicoptères puissamment motorisés que l’aviation de montagne dans l’Himalaya a pris une nouvelle dimension, particulièrement pour ce qui concerne le secours en montagne.

Éléments recueillis par Bernard AMRHEIN

 

 

 


SOURCES

  • Wings over MT. Everest, 1934.

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