30 juillet 1919 – Antonio Locatelli réussit un raid Santiago-Valparaiso-Buenos Aires


Aux premières heures de l’aéronautique, la traversée des Andes demeure l’apanage de pionniers argentins et chiliens. Cependant, après un premier conflit mondial particulièrement meurtrier, les Européens, en quête de débouchés pour leurs industries aéronautiques naissantes, s’activent, partout dans le monde, et en particulier dans les pays indépendants (ils sont alors peu nombreux)… solvables. C’est dans ce cadre qu’un officier italien en mission en Argentine effectue la traversée, aller/retour, de la mythique Cordillère tout en posant les bases des futures liaisons postales.

NOTRE PERSONNAGE

Antonio Locatelli naît à Bergame (Lombardie/Italie) le mercredi 17 avril 1895 selon la version française de Wikipedia, le vendredi 19 avril 1895 selon la version anglaise de Wikipedia (comme pour les autres sources anglo-saxonnes), les deux versions le qualifiant d’aviateur, homme politique, écrivain, journaliste, peintre et dessinateur italien.

Il meurt au combat le samedi 27 juin 1936, à Lechempti, dans la province de Wellega, en Éthiopie.

PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

En 1913, Locatelli prépare le diplôme de « contremaître » (ingénieur industriel) à l’Institut industriel Pietro Paleocapa de Bergame, puis commence à travailler pour la société Ansaldo de Gênes, où il devient rapidement « directeur du contrôle et de la surveillance du département des forges ».

Premières armes

En 1915, quatre mois avant l’engagement de l’Italie dans le premier conflit mondial, il effectue son service militaire, obtient son brevet de pilote et choisit la reconnaissance aérienne, spécialité dans laquelle il excelle et grâce à laquelle il devient un héros de la grande guerre.

Dès l’entrée en guerre de l’Italie, il est affecté à l’escadrille « La Serenissima », commandée par Gabriele D’Annunzio, prince de Montenevoso, poète nationaliste italien en mal de reconnaissance qui le surnomme « Mon lion de garde ».

Il accède au grade de sergent en février 1916, puis au grade de lieutenant au mois d’avril de la même année. En mars 1917, il est transféré au 24e Escadron de Capazza Carnico sur Savoy-Pomilio SP.

 

Le survol de Vienne avec d’Annunzio

En 1918, il est affecté au 87e Escadron et participe, le vendredi 9 août, au survol de Vienne, alors capitale de l’empire austro-hongrois en guerre. Cette mission de 1 000 km et de huit heures de vol est organisée par d’Annunzio. Objectif : larguer au-dessus de la ville des tracts bilingues rédigés par l’écrivain Ugo Ojetti et incitant les Autrichiens à demander l’armistice :

« Viennois !

Apprenez à connaître les Italiens. Nous volons au-dessus de Vienne, nous pourrions larguer des tonnes de bombes. Nous ne vous lançons qu’un salut tricolore : les trois couleurs de la liberté. Nous autres Italiens ne faisons pas la guerre aux enfants, aux vieillards et aux femmes. Nous faisons la guerre à votre gouvernement, ennemi de la liberté des nations, à votre gouvernement aveugle, obstiné et cruel, qui ne parvient à vous donner ni la paix, ni le pain, et vous nourrit de haine et d’illusions. Viennois ! Vous êtes réputés intelligents. Mais pourquoi donc avez-vous revêtu l’uniforme prussien ? Vous le voyez, désormais tout le monde est contre vous. Vous voulez continuer la guerre ? Continuez-la, c’est votre suicide. Qu’en attendez-vous ? La victoire décisive que promettent les généraux prussiens ? Leur victoire décisive, c’est comme le pain en Ukraine : on meurt en l’attendant. »

 

Malheureusement, l’avion de Locatelli est abattu. Fait prisonnier, le jeune pilote parvient à s’évader au bout de quelques jours, déguisé en soldat autrichien. Grâce à sa connaissance de la langue allemande, il parvient à rejoindre le sol natal, haut fait qui lui vaut sa première médaille d’or de la vaillance. De cette expérience, il puise l’inspiration pour son roman autobiographique intitulé Les ailes du prisonnier, publié sous les auspices d’Annunzio et avec le soutien de l’éditeur Treves, de Milan, en 1924.

LA DOUBLE TRAVERSÉE DES ANDES

En janvier 1919, Locatelli est envoyé en Argentine en tant que membre d’une mission militaire chargée de promouvoir l’aviation italienne.

En juillet de la même année, après plusieurs vols de démonstration, il décide de traverser les Andes. Cette tentative lui permet de relier Mendoza (Argentine) à Valparaiso (Chili), soit un vol de 370 km à 6 500 m d’altitude.

Le mercredi 30 juillet 1919, il effectue le vol retour Santiago du Chili, Valparaiso, Mendoza, Buenos Aires (El Palomar) en parcourant une distance de 1 500 km, qui reste dans l’histoire comme la première traversée aéropostale de l’Histoire.

 

FIUME

En septembre 1919, Gabriele d’Annunzio revient sur le devant de la scène en dénonçant une « victoire mutilée ». En effet, les grandes puissances victorieuses (France, Royaume Uni et États-Unis d’Amérique) refusent que l’Italie annexe la ville de Fiume (Rijeka), en Istrie et décident de l’ériger en ville libre.

À la tête d’une poignée de conjurés, de vétérans et de troupes de choc, d’Annunzio s’empare du port le vendredi 12 septembre 1919 sans tirer un coup de feu et sans effusion de sang. La liste des opportunistes en mal de reconnaissance est longue : futuristes, anarchistes, syndicalistes révolutionnaires, artistes, aventuriers en tout genre. On y parle libération des peuples opprimés et on y vit la libération sexuelle, on pratique le végétarisme et le naturisme en consommant des narcotiques. La ville devient le laboratoire du XXe siècle avec ses passions et ses utopies : sexe, drogues et Fox-Trot. Les Années folles commencent à Fiume.

Fidèle à son ancien commandant, celui qui lui assura sa première notoriété, Locatelli est aussi de la partie mais, cette fois-ci, il jouit de sa propre aura de vainqueur des Andes. Malheureusement, les détails de cette escapade ne sont pas très connus…

TOUR DU MONDE

De mars 1920 à janvier 1923, Locatelli réalise la première partie de ce qu’il appelle « mon voyage éducatif à travers le monde ». Reliant Bergame au port de Brindisi en train, il emprunte ensuite le bateau à vapeur ‘Trieste’ puis, avec différents moyens de transport, rejoint l’Égypte, Ceylan, l’Inde, la Birmanie, le Siam (Thaïlande actuelle), la Chine, la Mandchourie, la Corée, le Japon, l’Amérique du Nord, voyage dont il rapporte près de 3 500 négatifs photographiques et 10 carnets de notes, dans lesquels il a recueilli, outre le compte rendu détaillé des différentes étapes, quelques 300 dessins.

 

TENTATIVE DE TRAVERSÉE DE L’ATLANTIQUE NORD

En 1924, il entreprend la traversée de l’Atlantique Nord avec un équipage composé du lieutenant Crosio, du lieutenant Marescalchi et des mécaniciens navigants Braccini et Falcinelli.

Construit aux chantiers navals de Pise, l’hydravion bimoteur Dornier Wal ‘I-DeOr’ prend l’air le vendredi 25 juillet et fait escale à Saint Raphaël, Ouchy, Strasbourg, Rotterdam, Hull, Stromness et aux îles Féroé pour amerrir, enfin, à Reykjavik.

 

Après avoir décollé de Reykjavik le jeudi 21 août à destination de Frederiksdal (Groenland), une panne moteur le contraint à amerrir et il ne peut être recueilli qu’au bout de trois jours par le destroyer américain ‘Richmond’.

LE TOURBILLON DE LA POLITIQUE

Comme de nombreuses personnalités de cette période mouvementée de l’après première guerre mondiale, Antonio Locatelli est un adhérent de la première heure du Parti national fasciste (PNF) de Benito Mussolini. Il devient membre du Parlement du Royaume d’Italie (XXVII législature) et y traite principalement des problèmes d’aviation en fustigeant le gouvernement qui, selon lui, ne contribue pas assez efficacement au développement de l’aéronautique, ce qui, toujours à son avis, n’est pas le cas dans d’autres pays.

En 1925, la Commission pour la Force aérienne est érigée en ministère. Le samedi 6 novembre 1926, Italo Balbo est nommé secrétaire d’État à l’aviation. Rapidement, il réorganise l’aviation royale (Regia Aeronautica) et apprend à piloter. Le dimanche 19 août 1928, il devient maréchal des forces aériennes et, le jeudi 12 septembre 1929, à seulement 33 ans, devient le plus jeune ministre européen de l’Aviation.

En 1928, Locatelli souhaite participer activement à la recherche du général Umberto Nobile, disparu au Pôle Nord à bord du dirigeable ‘Italia’. Il essuie un refus, payant ainsi son attitude critique envers Italo Balbo, qui privilégie le vol en formation à l’excellence individuelle.

En 1929, il devient chroniqueur au Corriere della Sera et publie deux articles par mois avant de devenir directeur du Bergamo Magazine.

Sans emploi dans l’armée de l’Air, il est nommé podestat de Bergame, sa ville natale ; à la fin de l’année 1933. Il se passionne pour l’étude et la réhabilitation de la ville haute, un projet de Luigi Angelini. Un an plus tard, il est contraint à la démission en raison de la loi empêchant les célibataires d’exercer des fonctions publiques, mais aussi en raison de divergences de vues avec un haut responsable politique régional.

LA GUERRE D’ÉTHIOPIE

En Janvier 1936, Locatelli est réaffecté à l’aviation de reconnaissance sur la base aérienne de Mogadiscio (Somalie italienne). Comme pendant le premier conflit mondial, il s’acquitte de ses missions avec brio en effectuant de nombreuses prises de vues et en réalisant des croquis détaillés des positions ennemies.

Pendant cette campagne, il conduit une mission de renseignement sur les foyers de révolte dans la région de Lechemti à la tête d’une escadrille composée de trois avions. Le samedi 27 Juin, alors que les équipages sont disposés en défense autour des avions, le bivouac est attaqué par un groupe d’Arbegnuocs (patriotes éthiopiens) dirigés par Kefle Nasibu et Belai Haileab, qui brûlent les appareils et massacrent tous les Italiens, à l’exception du Père Borello, parti dans l’après-midi. Après la découverte du ‘massacre de Lechemti’, Locatelli et les autres membres d’équipage se voient attribuer la Médaille d’or de la vaillance militaire à titre posthume.

Antonio Locatelli devient alors la seule personne décorée de trois médailles d’or de la vaillance. Pour sa part, Gabriele d’Annunzio souhaite que Locatelli soit symboliquement inhumé à Vittoriale degli italiani, le complexe qu’il a fait construire à Gardone Riviera, sur les bords du lac de Garde. Il pourvoit à la construction d’un monument funéraire, mais celui-ci est vide (c’est donc cénotaphe).

 

ÉPILOGUE

Comme on le voit, la personnalité d’Antonio Locatelli est à la fois riche et complexe. De ce fait, l’épisode de la traversée des Andes en juillet 1919 pourrait ne relever que de l’anecdote. Il faut bien se replacer dans le contexte historique pour déterminer qu’il s’agit là d’une véritable prouesse italienne, propice à ouvrir le marché argentin.

Pour le reste, le personnage permet de revisiter les premières années d’une Italie d’après première guerre mondiale, qui se livre presque tout entière au fascisme et à la guerre de conquête qu’il convient de ne pas juger sous un angle contemporain.

Antonio Locatelli, un homme de son époque aussi bien qu’un explorateur et un aventurier des temps modernes au destin hors normes.

Éléments recueillis par Bernard Amrhein


SOURCES

 


BIBLIOGRAPHIE                                                                                    

Antonio Locatelli a rédigé deux ouvrages :

  • Il volo su Vienna et La Traversata delle Ande (Le vol sur Vienne et La traversée des Andes), Éditions Treves – Milan – 192.?).
  • Le ali del prigioniero (Les ailes du prisonnier), Éditions Treves – Milan – 1924.

INDEX

  • Carlo del Prete, E gli aviator lucchesi, 79 pages, 8 1/4″ x 11 3/4″, Associazione Arma di Lucca.
  • Rosario Abate, Storia Della Aeronautica Italiana, 396 pages, Édition Bietti, Milan, 1974.
  • Francesco Meriano, L’aviateur Locatelli, Nicola Zanichelli, Bologne 1926.
  • Ercole Mazza, Antonio Locatelli, médaille d’or deux fois, Bolis, Bergame 1937.
  • Nino Galimberti (ed), Antonio Locatelli, ‘Le journal de Bergame’, Bergame 1937.
  • Ettore Fabietti, La vie héroïque de Antonio Locatelli, Treves, Milano 1938.
  • Umberto Ronchi (ed), écrits d’Antonio Locatelli et dessins, Institut des Arts Graphiques italien, Bergame 1956.
  • Geo Renato Crippa, Le héros mythique et artiste Antonio Locatelli, Impression Conti, Bergame 1964.
  • Giuliana Donati Petteni, Commémoration du triple M.O. à V.M. Antonio Locatelli, Impression d’édition Secomandi, Bergame 1968.
  • Vittorio Polli, Antonio Locatelli, Vie et documents, Bolis, Bergame 1986.
  • Bortolo Belotti, Histoire de Bergame et Bergame, Bolis, Bergame 1989.
  • Roberto Chiarini, Une vie en vol Antonio Locatelli (1895-1936), Bolis, Bergame 2011.
  • Les départements de l’aviation italienne dans la Grande Guerre, Bureau AM historique – Roberto et Paolo Gentili Varriale, 1999.
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