4 décembre 1943 – Premier accident d’un hélicoptère militaire en montagne


Dans sa méconnaissance de l’histoire de l’aéronautique, le grand public date l’emploi des hélicoptères à vocation militaire au pire de la guerre du Viêt Nam (voir le film Apocalypse Now), au mieux de la guerre de Corée (M.A.S.H.). Dans les faits, peu de personnes savent que l’histoire des aéronefs à voilure tournante a commencé avant la Seconde Guerre mondiale et que c’est l’Allemagne nazie qui a produit les premières machines de série. Pilote de montagne (PDM) s’appuie sur un événement peu connu, survenu au Pays du mont Blanc, en plein cœur de ce conflit, pour lancer une série d’articles consacrés à l’emploi de ce type de plateformes aériennes en terrain accidenté…

UN ACCIDENT PEU CONNU

Le samedi 4 décembre 1943, vers 13h 45, un hélicoptère léger polyvalent allemand du type Focke-Achgelis Fa-223 ‘Drache n° 12, codé DM+SP, s’écrase à proximité du sanatorium Martel de Janville, sur la commune de Passy (74/Haute-Savoie). Les deux occupants, l’Oberleutnant Brennecke et son assistant meurent sur le coup.

Le Focke-Achgelis Fa-223 en montagne

Plusieurs versions (non vérifiables) existent sur la présence de cet appareil à cette date et en ce lieu. Voyons comment Yves Domange commente cette information sur le site Internet Mémoire Militaire alpine (MMA) :

« Au sein du 40e escadron de transport [de la Luftwaffe] … un appareil est perdu lors d’une mission de sauvetage au-dessus du mont Blanc. » C’est en ces termes que cet accident d’hélicoptère, durant la Seconde Guerre mondiale, est mentionné dans Wikipédia à la rubrique : Focke-Achgelis Fa-223 ‘Drache.’

Une autre version plus détaillée est fournie par des historiens de l’aviation durant la deuxième moitié du vingtième siècle :

« Durant l’hiver 1944, un Fa 223 Drache (‘Dragon’) de l’armée allemande se crashe dans le massif du Mont-Blanc. Cet accident survient en Haute-Savoie lors d’une opération de sauvetage d’une colonne de jeunes français appartenant aux chantiers de Jeunesse et Montagne, disparue dans une coulée de neige ou d’avalanche. Le Fa-223 semble avoir été victime du mauvais temps. L’épave aurait été récupérée par les allemands au printemps 1944 et conduite à Lyon-Bron où elle aurait été aperçue puis aurait disparue avant la fin de la guerre. Ce Fa-223 V 12, douzième de la série, semble avoir été le premier hélicoptère de transport participant à une opération de sauvetage en montagne ? »

Une troisième version de cet accident, plus crédible selon nous, est avancée par le très sérieux Cercle-aéronautique-Louis Mouillard :

« Le [samedi] 4 décembre 1943 vers 13h 45, l’hélicoptère allemand de type Focke-Achgelis Fa 223 Drache n° 12, codé DM+SP, s’écrase au sol à proximité du sanatorium Martel de Janville sur le plateau d’Assy, près de Passy, en Haute-Savoie. Dans les débris de l’appareil on retire deux corps sans vies, le lieutenant Brennecke et son observateur. Les causes de l’accident seraient dues à la rupture d’une biellette de commande de pas du rotor. »

La présence de cet hélicoptère allemand dans cette région reste inexpliquée. Toutefois, l’appareil pouvait se diriger, pour expérimentation, vers le Centre d’Essais du mont Lachat, non loin du col de Voza, au-dessus de Saint-Gervais. Selon certaines sources, il assurait le convoyage, pour essai, d’un propulseur de V2 qui, à cette époque, connaissait de sérieuses difficultés en altitude.

Commentaires du rédacteur :

  • la date du 4 décembre 1943 nous semble plus probable que celle de l’année 1944 ;
  • sur ce genre d’aéronef, un accident dû à une rupture de biellette était et est relativement fréquent ;
  • au-delà des problèmes techniques susmentionnés, on peut aussi avancer les problèmes météorologiques liés à l’altitude que pouvait rencontrer l’aéronef (givrage, vents d’altitude, turbulences, etc.).

Lieu de crash du ‘Drache’

Il semblerait que le Fa-223 se soit écrasé sur le plateau d’Assy en provenance (ou en direction) du col de Voza (1 654 m), non loin du mont Lachat. En 1937, la Société nationale de construction de moteurs d’aviation (SNCM) y crée la station d’essais des moteurs du mont Lachat […]. Ce centre n’est pas très éloigné de la voie ferrée du tramway du mont-Blanc reliant Saint-Gervais-les-Bains au Nid d’Aigle, via le col de Voza.

En 1939/1940, le centre prend le nom de Laboratoire du mont Lachat, chargé de l’étude du givre sur les aéronefs et du fonctionnement des moteurs en altitude (bancs d’essai et soufflerie). Les expérimentations motrices s’y pratiquent l’hiver.

On peut supposer que l’hélicoptère se rendait ou revenait de la station d’essais des moteurs du mont Lachat, le centre étant aux mains des ingénieurs allemands.

LE PREMIER HÉLICOPTÈRE DE SÉRIE OPÉRATIONNEL AU MONDE

En 1938, la célèbre pilote Hanna Reitsch effectue des vols de démonstration à l’intérieur de la Deutschlandhalle, l’immense stade-gymnase de Berlin, à bord d’un prototype d’hélicoptère monoplace Focke-Wulf Fw 61 ‘Hornisse’, ou frelon en français. Le Reichsluftfahrtminister Hermann Göring, aussitôt intéressé par les potentialités d’un tel appareil dans le domaine militaire, demande à Heinrich Focke d’étudier le développement de cet engin. L’ingénieur s’associe alors à Gerd Achgelis et conçoit une première machine appelée Focke-Achgelis Fa-223 V1, dont les premiers essais commencent à l’automne 1939.

Surnommé ‘Drache’ (‘Dragon’), l’appareil est bien plus important que son prédécesseur, mais conserve sensiblement les mêmes caractéristiques : structure métallique tubulaire entoilée, moteur radial à refroidissement par air entraînant deux rotors contrarotatifs latéraux qui présentent un dispositif original de plateau cyclique permettant au pilote de commander chaque pale individuellement. Ce système est encore utilisé de nos jours. Enfin, l’engin repose sur un train d’atterrissage tricycle fixe.

Le premier des onze prototypes construits vole le jeudi 8 mars 1940. Chaque prototype fait l’objet de tests dans de nombreux domaines en fonction des modèles de série envisagés :

  • emport de deux bombes de 250 kg ou de matériel de survie ;
  • treuil et élingue de 30 m pouvant soulever 700 kg de charge (versions Marine A et B de patrouille et de sauvetage, C de soutien d’infanterie) ;
  • transport de cinq passagers ou 500 kg de fret (version D) ;
  • entraînement (version E).

Le Fa2-23 peut également être muni d’un réservoir largable de 300 litres de carburant pour les missions de convoyage.

La construction de série du ‘Drache’ commence fin 1941 (avec une entrée en service début 1942) et cesse en 1945 avec un total de 43 appareils, en plus des 11 prototypes. Les alliés ayant détruit la plupart des sites de production, 20 exemplaires seulement du premier hélicoptère du monde véritablement opérationnel sont utilisés.

En septembre 1945, un exemplaire capturé par les Britanniques et piloté par un équipage allemand est le premier hélicoptère à traverser la Manche, dix-sept ans après l’autogire Cierva C.8L. Destiné au Airborne Forces Experimental Establishment (AFEE), au sud de l’Angleterre, il s’écrase quelques jours plus tard au cours d’essais.

Après la guerre, deux exemplaires du Fa-223 sont construits, respectivement en France et en Tchécoslovaquie. Comportant des différences minimes, l’exemplaire français est produit par la Société nationale des constructions aéronautiques du Sud-Est (SNCASE) sous la désignation SE 3000 et vole le samedi 23 octobre 1948. Il est à l’origine de la division hélicoptères de ce qui allait devenir la société Aérospatiale, puis Eurocopter, et aujourd’hui Airbus Helicopters.

ÉPILOGUE

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Focke-Achgelis Fa 223 ‘Drache’ n’a pas démontré toute l’étendue de ses exceptionnelles potentialités opérationnelles. En effet, hormis quelques expérimentations dans le domaine du transport logistique, il ne semble pas avoir été engagé au feu, comme transport de troupes aéromobiles par exemple. Gageons qu’avec un peu plus de maturité, cet aéronef aurait permis à la Luftwaffe d’innover en la matière.

Au lieu de cela, cet appareil aura permis à l’industrie aéronautique française de progresser rapidement dans le domaine des hélicoptères, où elle excellera par la suite, tant au plan militaire qu’à celui du secours aux personnes, en terrain accidenté, et montagneux en particulier.

Il reste que la présence de ce type d’appareil dans le massif du Mont-Blanc à cette époque éminemment tragique de notre histoire nationale pose toujours question tant les archives à ce sujet nous font défaut.

Éléments recueillis par Bernard Amrhein

NOTES

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