7 décembre 1936 – Disparition du Latécoère 300 « Croix-du-Sud » dans l’Atlantique Sud


Avec la disparition de Jean Mermoz et des autres membres de l’équipage du Latécoère 300 ‘Croix-du-Sud’, c’est une page de l’histoire de l’aviation française qui se tourne, celle des pionniers de l’Aéropostale qui, comme toute entreprise humaine, se professionnalise et, d’une certaine façon, se normalise. Englouti dans la tourmente et, plus que probablement, gisant au fond de l’océan, ‘l’Archange’ entre dans la légende et devient une icône. Retour sur son expérience de pilote de montagne qui, par deux fois, avait échappé aux pièges tendus par les Andes

2 MARS 1929 – MERMOZ EN DIFFICULTÉ DANS LA CORDILLÈRE DES ANDES

Les débuts de la Compagnie Générale Aéropostale en Amérique du Sud sont épiques. En effet, il faut traverser les Andes, ce qui représente déjà, en soi, un exploit, même pour des pilotes aguerris. Il arrive que les avions tombent en panne à haute altitude et dans des contrées inhabitées. Dans ces conditions, la « débrouille » est de mise et, conjuguée à l’audace, permet de se sortir de toutes les situations. Ainsi, dans la même semaine de ce début mars 1929, Jean Mermoz se sort de deux situations délicates. Premier récit…

Contexte

En 1927, Marcel Bouilloux-Lafont, président et fondateur de la Compagnie Générale Aéropostale, (qui prend la suite de Pierre-Georges Latécoère après le rachat de sa Compagnie générale d’entreprises aéronautiques), envoie Jean Mermoz, en tant que chef pilote, à Rio de Janeiro (Brésil).

Le dimanche 6 novembre, Mermoz embarque, à La-Rochelle, à bord du paquebot ‘Groix’ afin d’aller développer de nouvelles liaisons en Amérique du Sud, jusqu’en Patagonie et au Chili. Avec l’aide de Julien Pranville, le chef d’exploitation sur place, Mermoz développe les vols de nuit, puis s’attaque à franchir un obstacle majeur, la Cordillère des Andes.

L’année 1928 est aussi le début de la grande aventure chilienne. Dès janvier, L’Aéropostale obtient un contrat pour le transport du courrier entre le Chili et les pays déjà desservis par son réseau. Malheureusement, les avions affectés à la compagnie (Laté 25 et Laté 26) n’atteignent pas un plafond suffisant pour passer les cols de la Cordillère des Andes. Mais rien n’arrête Mermoz… Ainsi, le dimanche 18 novembre, avec les conditions météo favorables de l’été austral, avec son Laté 25 (appareil dérivé du Laté 17, dont il a conservé l’immatriculation F-AIEH) et son nouveau mécanicien, Alexandre Collenot, il réussit à se faufiler entre les pics de la Cordillère et à atteindre Santiago du Chili par la route la plus directe, celle empruntée par le chemin de fer Transandin.

Trois jours plus tard, Il renouvelle l’exploit dans l’autre sens et se pose sans encombre à Buenos Aires dans la soirée du mardi 21.

Premier avertissement

Il ne faut cependant pas trop tenter le diable. En effet, le samedi 2 mars 1929, dans le cadre d’un vol de reconnaissance, Mermoz, Collenot et un passager de marque, le comte Henry de La Vaulx, Président de la Fédération aéronautique internationale (FAI), embarqué à San Antonio Oeste, se préparent à passer la Cordillère par une route sud à la hauteur de Conception-Valdivia, là où les sommets sont moins impressionnants.

En plein massif montagneux, à l’plomb d’un chaos de roches indescriptible, le moteur se met à cafouiller puis s’arrête net. Mermoz repère rapidement une étroite langue de granit à peu près plate et se prépare à atterrir en vol plané.

Il témoigne :

« Qu’il vous suffise de savoir que j’ai atterri deux fois dans la Cordillère. Une première fois avec le comte de La Vaulx à hauteur de Conception du Chili à 1 500 mètres d’altitude sur une plate-forme de 250 mètres de long sur 3 de large en dos d’âne, conséquence panne carburateur. L’appareil allant s’engager doucement sur une des pentes conduisant à un ravin de 700 mètres de profondeur, j’ai pu sauter en bas d’un bond et m’arcboutant à la queue pour le faire dévier et le mettre en travers de la pente. Issue fatale en cas de non réussite. Après avoir réparé, nous sommes repartis après un magnifique plongeon dans le ravin ».

Une heure plus tard, l’avion se pose à Santiago.

Le samedi 9 mars 1929, pour le retour de Santiago à Buenos Aires, Mermoz veut explorer la route du nord passant par Copiapó[xix], réputée comme étant la plus praticable.

Mais ceci est une autre histoire…

9/13 MARS 1929 – MERMOZ ET COLLENOT SURVIVENT À UN CRASH DANS LES ANDES

Il arrive parfois que le pilote de montagne se retrouve dans des situations d’autant plus inextricables que le massif survolé est haut, étendu et désolé. C’est que qui arrive à Jean Mermoz et à son mécanicien, Alexandre Collenot qui, après s’être sortis d’une première situation délicate le 2 mars 1929, se crashent sur un plateau rocheux une semaine plus tard. Pilote de montagne (PDM) retranscrit l’article d’Irina de Chikoff publié dans ‘Le Figaro’ le jeudi 27 août 2015 et intitulé ‘VOLS DE LÉGENDE 4/5 – Comment le chef pilote de l’Aéropostale et son mécanicien se retrouvèrent immobilisés à plus de 4 000 mètres d’altitude dans la chaîne andine qu’ils tentaient de franchir’.

C’est un miracle si, le 2 mars, Jean Mermoz, qui depuis deux ans est le chef pilote de l’Aéropostale en Argentine, a pu faire repartir son Latécoère 25 depuis la plate-forme sur laquelle il s’était posé en pleine cordillère des Andes. Mais Mermoz est ainsi fait que rien ne l’arrête. Il veut monter toujours plus haut, aller plus loin. C’est sa mystique.

À peine remis de leur première aventure pour franchir la montagne qui sépare l’Argentine du Chili et empêche l’acheminement du courrier entre Buenos Aires et Santiago, Jean et son mécanicien volant, Alexandre Collenot, repartent le 9 mars à 10 heures. Le trajet par le sud emprunté depuis la Patagonie est jugé trop long par Mermoz. Jean veut passer par le nord. Il sait que les sommets sont trop hauts pour son taxi qui plafonne à 4 200 mètres, mais il est convaincu qu’il trouvera une faille, un couloir, la brèche par laquelle il s’engouffrera et franchira l’infranchissable.

La barre verticale se dresse devant eux, superbe. Mais Mermoz a beau scruter cette masse minérale, il ne trouve aucun passage accessible au Latécoère. Et pourquoi ne tenterait-il pas d’attraper un courant d’air ascendant qu’il prendrait comme un ascenseur et qui le propulserait au-delà des 4 200 mètres ?

Le premier courant est trop faible. Le deuxième également. Mais le troisième libère l’appareil. L’avion est comme happé et franchit la barre. Mais de l’autre côté, c’est la chute.

Mermoz cabre l’avion et coupe les gaz. Le Laté heurte une paroi, rebondit, une fois, deux fois, puis roule et s’affaisse sur un plateau.

Collenot et Mermoz se regardent, se tâtent. Ils sont entiers, vivants. C’est encore un miracle. Mais ils n’ont guère le temps de s’en réjouir. La plate-forme de pierre sur laquelle ils ont atterri est cernée par des ravins. Collenot ne pense pas que le Latécoère soit réparable. Surtout dans leur situation. Ils se mettent en route, mais au bout de 500 mètres, Mermoz s’arrête. Par -15° C, sans vivres, ni équipements, ils n’ont aucune chance. La montagne sera plus forte que leur volonté. Une seule solution : réparer.

Leur visage, leurs mains, leur corps tout entier est une plaie.

Collenot examine méticuleusement l’appareil, sort ses outils du coffre et se met au travail, secondé par le pilote. La nuit, transis, ils poursuivent à la lumière de la lune. Au petit matin, Collenot, moins aguerri que Mermoz, saigne du nez et des oreilles. Le mal des hautes cimes. Mais il pense pouvoir remettre le moteur en marche.

Deux jours durant, il continue à s’affairer, tandis que Mermoz étudie le terrain. Il faut qu’il laisse glisser le taxi le long de la pente vers le ravin. Puis il le fera rebondir sur trois obstacles en espérant que le train tienne et là il mettra plein gaz pour attraper un courant ascendant, comme à l’aller.

Collenot et Mermoz se débarrassent de tout ce qui est inutile. Ils dépècent l’avion. Moteur ! Il ronronne. L’avion glisse. Le premier tremplin est passé, puis le deuxième et le troisième. Mermoz appuie sur le levier, redresse et, hissé par le vent, sort de la cordillère. À midi, l’appareil se pose à leur point de départ,

Copiapó. Leur visage, leurs mains, leur corps tout entier, car ils ont déchiré leurs blousons pour colmater les fuites du radiateur, est une plaie.

Au mois d’avril, Mermoz recevra un Potez 25 qui peut monter à 6 000 mètres d’altitude. Avec ce nouvel avion, il parachèvera le franchissement de la cordillère des Andes. »

MERMOZ, UN HÉROS DE LÉGENDE

Ce 7 décembre 1936 marque aussi la disparition d’un militant politique… très gênant.

L’engagement politique

En effet, après la mise en liquidation de son employeur, la Compagnie générale aéropostale, en mars 1931, Mermoz se fait, comme le montre Emmanuel Chadeau, « le défenseur acharné des anciens propriétaires de la compagnie, par sentimentalité envers ses collègues navigants soudain dépourvus d’outil et d’emploi » et, dans les conflits politiques qui président à la naissance d’Air France en 1933, « considère que les soubresauts qui conduisent l’aviation marchande de l’âge aventureux vers l’âge organisé ne sont pas les conséquences normales d’une évolution économique — la concurrence allemande et américaine sur les liaisons entre l’Ancien et le Nouveau Monde —, mais le fruit d’une trahison des dirigeants ».

Par réaction, Mermoz adhère aux Volontaires nationaux, dont il est le porte-drapeau au défilé du 14 juillet 1935. Bientôt intégré par le colonel de La Rocque aux instances dirigeantes des Croix de feu, il multiplie discours et articles dans Le Flambeau, l’organe du mouvement. Après la dissolution des ligues d’extrême-droite en juin 1936, il figure enfin au nombre des membres fondateurs du Parti social français (PSF), dont il devient vice-président, ce qui lui vaut d’être inculpé, pour « reconstitution de ligue dissoute », que sa disparition tragique classera ensuite en non-lieu.

Dénonçant la démagogie parlementaire asservie par les intérêts particuliers, adepte du culte du chef, il est ainsi l’une des figures emblématiques de la « droite d’ordre ». Il est cependant immédiatement intégré au panthéon républicain en tant que « prototype de l’homme du peuple tiré de l’anonymat par ses œuvres et son mérite ». Célébré de même par le régime de Vichy qui, en 1943, lui consacre un film intitulé ‘Mermoz’, ‘l’Archange’ est, aujourd’hui encore, considéré comme l’un des héros mythiques de l’aéronautique et de l’aviation, au même rang que Louis Blériot, Charles Lindbergh ou Georges Guynemer.

Panthéonisation républicaine

En France, la disparition de Jean Mermoz est vécue comme une catastrophe nationale et, dès le 13 décembre, soit six jours seulement après la catastrophe, tout l’équipage de la Croix-du-sud, est cité à l’ordre de la Nation sur la demande du gouvernement de Léon Blum, sous la présidence d’Albert Lebrun et avec discours de Pierre Cot, ministre de l’Air.

« Sublime figure d’aviateur, d’une valeur morale et professionnelle hors pair. Créateur, aux prix d’efforts surhumains, de l’aviation commerciale transocéanique, a fait de son nom un symbole et de sa carrière une longue suite d’exploits. Allant jusqu’au bout de son entreprise, envisageant la mort avec sérénité, a mérité l’admiration générale par la grandeur de ses actes. Porté disparu avec l’équipage de la Croix-du-sud, dont il était le chef de bord. Accomplissait sa 24e traversée de l’Atlantique sur la ligne postale qu’il avait été le premier à tracer. Entre de plain-pied dans la légende et s’inscrit parmi les héros les plus purs de l’aviation française. »

Enfin, le 30 décembre 1936, une cérémonie officielle a lieu, à l’Hôtel des Invalides, en présence d’Édouard Daladier et de Camille Chautemps.

ÉPILOGUE

Comme nous l’avons déjà signalé dans un article intitulé ‘1916-1925 / L’épopée des premières traversés des Andes par les airs publié le 25 avril 2021, « comme on le pressent, Adrienne Bolland n’accomplit pas seulement un exploit féminin en traversant les Andes sans carte et sans compas. Elle clôt littéralement une ère, celle des pionniers.

Bien entendu, les années qui suivent sont celle de la création de la mythique Aéropostale, que le récit des exploits de Jean Mermoz et les souffrances endurées par Henri Guillaumet permettent de mieux faire connaître au grand public. Mais ce n’est plus de l’exploration, du défrichement de voies aériennes inconnues, simplement, pourrait-on dire, de l’exploitation de lignes aériennes régulières pour accélérer la distribution du courrier. Même cette épopée-là cède rapidement à la ponctualité des vols intercontinentaux, à la routine, quoi… Aujourd’hui, on peut envoyer un message à l’autre bout du monde en un seul clic, en une seconde. Que de chemin parcouru.

Chaque époque a ses propres pionniers, ces figures emblématiques pourvoyeuses d’espoirs et de rêves insensés. Une fois les buts atteints, une fois les héros célébrés, on passe à autre chose et l’Histoire fait le tri. Ainsi, en Europe, et en France en particulier, tout au plus se souvient-on de Mermoz, les plus lettrés vibrant encore au récit de la marche sans fin de Guillaumet dans les montagnes. Quant à Adrienne Bolland, il faut au moins un Centenaire pour saluer à la fois son courage et sa discrétion… encore accentuée par la crise sanitaire actuelle. Gageons qu’il se trouvera bien quelqu’un sur cette Terre pour proposer l’organisation de commémorations pour le 101e Anniversaire de son exploit, voire pour lui ériger, enfin, un monument…

Ce qui transparaît à travers cet article, c’est que si l’Histoire est sélective, les peuples le sont aussi. En période de Jeux olympiques, les chaînes de télévision ou de radio privilégient la retransmission des performances des ressortissants nationaux, ou celle de champions de stature mondiale, incontestables. Pour ce qui est de la traversée des Andes en avion, chaque Nation a conquis le massif à sa manière, surtout en occultant les exploits des voisins.

Or, au bout du compte, chacun de ces exploits est avant tout individuel, une victoire sur soi-même, sur l’appréhension toujours, sur la peur parfois, sur la technique presque toujours. C’est cela, l’esprit du pilote de montagne, faire de chaque jour, de chaque vol, une aventure nouvelle… »

Éléments recueillis par Bernard AMRHEIN


SOURCES

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