À la rencontre de Jeremy Caussade, cofondateur et président d’AURA AÉRO


Aujourd’hui, Pilote de montagne (PDM) inaugure une nouvelle rubrique en publiant un entretien avec Jeremy Caussade, cofondateur et président d’AURA AERO, une nouvelle société de construction d’avions d’un type particulier. En effet, Jeremy, ses associés et ses collaborateurs ambitionnent de révolutionner l’aviation de loisir en proposant un mode de propulsion en fort développement et plein de promesses pour une aéronautique décarbonée…

* * *

Bernard Amrhein (BA) – Jeremy, nous nous sommes rencontrés il y a plus d’un mois maintenant, en marge de la conférence intitulée ‘Les nouvelles énergies de propulsion aéronautique’ organisée à l’auditorium de Méribel-Centre le samedi 24 juillet 2021 au soir. Qu’est-ce qui vous a incité à évangéliser un public apparemment averti en matière aéronautique ?

Jeremy Caussade (JC) — Je me suis rendu à Méribel à l’invitation de Georges Muzergues [président de l’Aéro-Club de Méribel], dans le cadre de l’animation ‘Meribel in the sky’ qui, du fait de la crise COVID, s’est limitée au strict essentiel. Cela fait quelques années qu’il y a des activités sur la plateforme de Méribel et, comme cela n’a pas pu se faire cette année, Georges m’a proposé de venir parler des sujets sur lesquels nous travaillons, c’est-à-dire l’aviation électrique et son adaptation possible à l’aviation de montagne. J’ai donc répondu à une invitation que j’ai acceptée avec grand plaisir…

BA – Comment avez-vous été accueilli à Méribel ?

JC — …Très bien ! J’avoue mon ignorance, je n’étais jamais venu dans ce coin des Alpes. Je connais beaucoup mieux les Alpes du Sud… j’ai volé un petit peu à Vinon-sur-Verdon, en planeur. J’ai découvert un lieu que je trouve assez magnifique. Je comprends pourquoi certains anciens y vont régulièrement… et les moins anciens aussi. Oui, l’accueil était très sympa…

BA — Outre Méribel, avez-vous tenté d’évangéliser d’autres aéroclubs, et tout particulièrement des aéroclubs de montagne ?

JC — Non, pas pour l’instant. En fait, nous travaillons actuellement sur le sujet « aviation électrique » et nous n’en sommes pas encore au stade de la communication sur le sujet spécifique de l’aviation de montagne. Nous sommes en train de le développer et, moi, j’aime bien parler chose que j’ai pu éprouver, et pas simplement évoquer. Donc non, pour l’instant, ça n’a pas été fait mais, au même titre que la voltige, l’aviation de montagne fait partie de ces activités aériennes qu’on peut appeler « de niche » et que j’apprécie particulièrement. En particulier, la montagne a un de ces côtés que je retrouve avec le vol à voile — que je connais beaucoup mieux — qui permet de se réconcilier avec un environnement assez sublime. Donc, non, pas encore, mais, si nous pouvons arriver, avec nos produits, à apporter un bout de la réponse pour permettre un vol montagne avec des avions plus propres, nous y aurons pas mal contribué.

BA — En quelques mots, pouvez-vous dresser le portrait-robot d’AURA AERO en ce jour de son troisième anniversaire ?

JC — AURA AERO compte environ 80 personnes, 100 avec les stagiaires et les contributeurs extérieurs. Effectivement, nous avons trois ans d’existence aujourd’hui et deux gammes de produits avec la famille ‘integral’ (‘intégral R’ et ‘integral S’) et la gamme ‘Intégral E’ [électrique], qui sera lancée l’année prochaine. Et puis nous développons également un avion de transport régional qui s’appelle ERA [Electric Regional Aircraft], qui sera à propulsion électrique. Nous avons pris le virage de la propulsion électrique d’une manière tangible depuis une petite année et c’est d’ailleurs conforme au plan initial. Nous sommes convaincus que nous devons apporter des solutions aux problématiques du moment et à venir et que nous pouvons trouver des solutions techniques pour accompagner cette transition.

AURA AERO est basé à Toulouse-Francazal. Nous disposons également d’un site en Normandie et commençons à développer un réseau de ventes au plan mondial afin de toucher le marché que nous pouvons adresser…

BA — Vous avez commencé par le lancement d’un appareil appelé ‘integral R’… Quelles sont les points forts de cet avion par rapport à la concurrence ?

JC — Alors, déjà, la première chose, c’est que nous n’avons pas de concurrent direct sur ce segment-là. C’est un avion de formation à capacité voltige, côte-à-côte, avec un parachute intégrable, un parachute de cellule, et avec, à la fois, la capacité de pouvoir tirer le meilleur parti d’un moteur quatre cylindre — donc un moteur à coût limité — tout en donnant de nouvelles performances permettant, sur le même avion, de faire de la formation initiale jusqu’à des niveaux d’évolutions assez avancés. Donc, finalement, les caractéristiques principales de cet avion sont d’être très performant, très accessible, très sûr et, ce qui est important pour un nouvel avion, certifié.

BA — Et cette gamme ‘integral’ est appelée à s’étendre, n’est-ce pas ?

JC — Oui, tout à fait. La famille ‘integral’ a été pensée avec deux avions de base : ‘intergral R’ est un avion à train classique et ‘integral S’ est un avion tricycle avec un moteur un peu plus petit (180 CV par rapport aux 210 CV du ‘R’). ‘integral S’ va voler dans quelques mois (nous sommes en train de fabriquer le prototype) et puis, en parallèle, comme on vient de l’évoquer, l’arrivée de ‘integral E’, qui est la version électrique, une déclinaison du ‘R’ et du ‘S’

 

BA — … Pouvez-vous détailler les performances actuellement attendues pour ‘Integral E’ ainsi que les développements ultérieurs ?

JC — L’idée, qui est simple, c’est d’avoir la capacité de développer un avion électrique avec la meilleure technologie de batterie adressable à l’heure actuelle et d’en faire un avion qui, en même temps, reste un avion qui ne soit pas trop lourd, qui soit manœuvrant, qui soit abordable… Donc, l’idée, c’est de rester dans l’épure des masses-centrages d’un ‘integral’ classique et, du coup, les performances visées, c’est d’être aussi bon que ‘integral R’ en termes de performances générales et d’être capable de tenir environ une heure en termes d’autonomie. L’enjeu majeur va être aussi bien sur l’autonomie que sur la capacité à recharger rapidement, et c’est donc sur ces sujets-là que nous travaillons.

BA — Venons-en à l’aviation de montagne… Quels sont les avantages que procurerait, selon-vous, la propulsion électrique dans ce domaine très particulier ?

JC — Je pense que, dans ce domaine-là, les avantages sont assez nombreux. Le premier, c’est déjà l’intégration dans l’écosystème au sens large, donc le niveau de bruit, qui est beaucoup plus bas, la capacité de pouvoir faire des vols et de nouvelles missions, dans un environnement potentiellement protégé, comme l’environnement des stations, mais pas que…

Je pense que cela permet de continuer à intégrer, de la façon la plus harmonieuse possible, l’activité « aviation de montagne », dans l’environnement au sens large du terme, environnement de la station, environnement tout court… un environnement de montagne. Il y a le sujet du taux de bruit et du « Zéro émission », donc d’un avion beaucoup plus compatible, finalement, des enjeux climatiques.

Par ailleurs, la motorisation électrique permet De disposer d’une puissance instantanée bien plus grande qu’avec un moteur thermique. Le moteur électrique, contrairement au moteur thermique, ne souffre pas de perte d’efficacité en fonction de l’altitude. Alors, évidemment, on a toujours la perte de rendement de l’hélice en fonction de l’altitude, c’est une certitude. Néanmoins, on se retrouve finalement avec un moteur qui, en termes de puissance, est un moteur relativement standard, comparable à un moteur thermique, mais qui a une réaction beaucoup plus grande et dont la puissance ne diminue pas, ou très peu, en fonction de l’altitude. Donc, là aussi, pour la montagne, c’est quand même un grand avantage…

Et puis, évidemment, au niveau de la sécurité, une chaîne de propulsion électrique bien dimensionnée sera plus sûre que l’équivalent thermique de nos avions légers.

BA — La propulsion électrique a apparemment le vent en poupe, y compris pour le transport par voie routière. Cependant, certains spécialistes s’alarment des énormes besoins en énergie propre que la généralisation de ce mode de propulsion engendrerait. Que pouvez-vous dire à ce sujet ?

JC — Un gros besoin ? Cela reste à déterminer. Si on se contente de parler de l’aviation de montagne, ou de l’aviation légère d’une façon plus large, le besoin est quand même extrêmement limité. Si on considère la consommation annuelle de la totalité de l’aviation légère française, par exemple, cela représente une goutte d’eau dans les besoins énergétiques français. La question, finalement, dans le cadre d’un si lourd débat, c’est de trouver le bon équilibre en termes de bornes de recharge, donc d’infrastructure à installer sur un aérodrome, un aéroport, un altiport, pour pouvoir recharger relativement vite sans que la borne de recharge n’ait à subir des modifications profondes de la distribution électrique amont. Le jeu, pour nous, est d’arriver à intégrer, de la meilleure des façons, une infrastructure de recharge dans un environnement qui est ce qu’il est.

Après, effectivement, de façon plus macroscopique, pour un avion de transport plus lourd, avec des besoins énergétiques plus grands, la question est un peu différente, mais, il n’empêche que nous disposons de nombreux terrains en France et, par conséquent, de la capacité de recharge nécessaire. Encore une fois, les avions électrifiables à court ou moyen termes représentent une consommation annuelle qui, par rapport à la consommation automobile, par exemple, est extrêmement limitée.

Je ne suis pas certain que la problématique que l’on pourrait imaginer trouver sur les sujets des voitures électriques – bien qu’il y ait tout un tas de solutions, et notamment en France avec l’énergie nucléaire – soit transposable au milieu aéronautique.

BA — Vous avez déjà enregistré plusieurs précommandes pour vos avions. Cela concerne-t-il des ‘integral E’ et, si oui, des aéroclubs de montagne ou des particuliers souhaitant évoluer en montagne ?

JC — Ce qui se passe à l’heure actuelle, c’est que nous prenons des commandes fermes pour ‘intregral R’ et ‘S’, à moteur thermique, et que nous prenons des lettres d’intention, des pré-commandes, pour la version électrique. Donc, oui, nous en avons de plus en plus pour la version électrique, et non, nous n’en avons pas pour les clubs de montagne. C’était finalement un premier contact, d’une certaine façon, que nous avons fait en venant sur Méribel, et nous allons y travailler dans les mois à venir…

BA — Prévoyez-vous, dans un avenir proche, des essais sur altiport, y compris l’hiver, sur skis ?

JC — Dans un avenir proche, pas nécessairement. En revanche, il est probable que nous n’allons pas attendre d’avoir ‘intégral’ électrique pour faire, malgré tout, des essais en montagne. Il est donc probable que nous allons procéder, dès l’été prochain, à des essais de ‘integral R’ sur altiport, déjà, pour voir ce que cela donne, et puis nous verrons à partir de là, mais, en fonction du besoin et de la demande, nous nous y intéresserons plus ou moins. En tout cas, c’est un sujet sur lequel nous allons essayer de proposer des choses. Mais à travailler, encore…

BA – Pouvez-vous nous en dire plus sur le projet d’avion de transport régional ?

JC — Oui, comme je l’ai déjà mentionné, il s’agit de l’ERA (Electric Regional Aircraft). C’est, en fait, un avion utilitaire de 19 places avec un peu plus de deux tonnes de capacité d’emport. L’idée, c’est que cet avion soit un appareil versatile à propulsion électrique ayant la capacité de décoller, de se poser et d’être opéré en ‘full electric’, mais aussi un avion hybride, avec une capacité à effectuer des vols plus longs, de travailler en mode hybride ou en mode hybridé. Cet avion est destiné à relier, finalement, des aéroports à partir de 600 mètres de longueur, pourquoi pas, aussi, en montagne, et qui a vocation à pouvoir opérer, de manière versatile, sur terrain préparé ou non préparé, piste en dur, piste en herbe, et avec tous les bénéfices de la propulsion électrique et, notamment, la disponibilité de la puissance électrique, même en altitude.

C’est un avion qu’on pense comme véritablement utilitaire et qui doit pouvoir s’adapter à de nombreuses situations.

BA — ERA pourrait-il relier les altiports entre eux, un peu comme le faisait la mythique compagnie Air Alpes en son temps ?

JC — Oui ? je pense que c’est un avion qui serait tout à fait adapté à ça. Courchevel, c’est évident, Méribel… peut se poser la question de l’envergure… Mais pour des altiports comme Courchevel, Megève, très certainement, il n’y a aucun point bloquant sur le principe, ce sera du développement à faire et de la qualification. Il se trouve que de très bons pilotes de montagne sont aussi pilotes d’essais chez nous, donc, je pense que les ponts seront assez faciles à établir. Et puis, oui, relier les altiports, c’est un besoin qui nous rappelle une certaine histoire assez glorieuse, comme celle d’Air Alpes, et qui est aussi reproductible dans pleins d’endroits du monde et dans tous les environnements montagneux. Même s’il y a beaucoup d’eau sur notre planète, il y a aussi beaucoup de montagnes. Donc, nous proposerons un avion qui aura la capacité de relier les hommes dans un contexte de montagne, ce qui figure bien dans le cahier des charges d’ERA.

BA — Je vois que vous avez de nombreux projet en perspective et que la propulsion électrique a de beaux jours devant elle… Jeremy, quel message souhaitez-vous adresser à nos fidèles lecteurs ?

JC — Le message que je peux adresser c’est que l’aéronautique a été beaucoup attaquée ces derniers mois, et ce de façon relativement injuste. Pour autant, nous sommes convaincus que des solutions pour continuer à voler par passion, pour des besoins commerciaux ou pour des impératifs humanitaires, existent. Intégration dans l’environnement, empreinte carbone limitée, cohérence avec les enjeux de la COP 21 et autres grandes métriques de ce monde… la meilleure des solutions est de travailler concrètement sur des solutions pérennes.

Pour moi, le message qu’il faut faire passer, c’est qu’il n’y a pas de fatalité et que l’aviation de montagne, comme l’aviation légère et l’aviation régionale, sont vraisemblablement les premiers applicatifs concrets et tangibles de l’aviation électrique. Plutôt que de nous lamenter sur notre sort (on sait qu’on doit faire face à des risques et qu’on a des problématiques à résoudre), la technique, l’innovation, sont des moyens de pouvoir y répondre.

BA — Jeremy, il me reste à vous remercier pour avoir accepté notre tout premier entretien et tous nos vœux de réussite vous accompagnent ? Et encore un Bon Anniversaire à AURA AERO…


Pour en savoir + : AURA-AERO.COM

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