ÉDITORIAL 7 : Décadence…


Tristes temps. Après la maire de Poitiers, le maire de Chamonix s’engage dans la sombre liste des fossoyeurs de l’aviation et de ses rêves… Après Sallanches, les jours sont comptés pour le survol du mont Blanc si les pilotes ne se mobilisent pas comme ils l’ont fait pour Poitiers.

Comment les montagnards peuvent-ils avoir la mémoire aussi courte ? La petite aviation qu’ils condamnent aujourd’hui est celle qui leur a permis de développer leur activité. Comment oublier que le Secours aérien en montagne est né grâce à l’aviation légère ? Hermann Geiger, Henri Giraud…

Combien de vies sauvées ? De familles épargnées ?

Comment peut-on aujourd’hui oublier ses racines et enterrer le passé ? Oui, nous vivons dans un monde contradictoire, ne sommes-nous pas nous-mêmes une somme de contradictions ?

Ami alpiniste, pour que tu aies de l’eau chaude au refuge le matin, une bière fraîche pour fêter un sommet ou une bonne fondue pour récompenser tes heures d’efforts, ce sont des tonnes d’essence, de vivres et de matériels qui sont montées par hélicoptère chaque semaine pour alimenter les groupes électrogènes et les cuisines. Ce sont aussi tes tonnes de déchets qui redescendent par la voie des airs parce que ton confort est à ce prix. Tes clients qui viennent du monde entier en avion de ligne jusqu’à Chamonix pour gravir le sommet de l’Europe ont-ils plus de valeur à tes yeux ?

Ami montagnard, avant de condamner le petit avion que tu vois passer et lui couper les ailes, sache que les pilotes qui, un jour, vont éteindre un incendie à bord de leur Canadair, qui te transportent pour aller faire un trek en Himalaya, pour rejoindre tes amis, ta famille, ou qui viendront du ciel t’hélitreuiller et te sauver la vie parce que tu te seras blessé, s’entraînent aussi à bord de ces petits avions de montagne, tout comme les militaires, les Forces spéciales… Rappelle-toi que ces pilotes ont souvent commencé leur apprentissage au sein d’un petit aéroclub maintenu par des bénévoles et au prix d’années d’efforts. Ne vois pas en eux des privilégiés, ils sont nombreux à connaître les sacrifices pour en arriver là. Sache que ces pilotes (parfois guides de haute montagne) sont aussi des amoureux respectueux du même terrain de jeu que le tien, qu’ils pratiquent aussi à pied. Ils emmènent à bord leurs enfants, leurs amis, comme tu emmènes les tiens en randonnée, pour leur transmettre une passion, un rêve ou voir des étoiles s’allumer dans leurs yeux.

Ami de la montagne, ne tombe pas dans la crevasse de l’intolérance, dans les abîmes du rejet, ne te laisse pas emporter par l’avalanche des raccourcis : elles rappellent des périodes trop sombres de l’Histoire. Plutôt que de nous désunir, continuons d’apprendre à « vivre ensemble ». Si dernièrement il y a eu une sur-fréquentation des lieux que nous chérissons ensemble, c’est un accident contextuel. Continuons le dialogue pour mieux encadrer nos pratiques. Depuis plus de 70 ans nous avons appris à le faire, pourquoi divorcer aujourd’hui ? Comme dans un couple il y a parfois des mots, des frictions… mais ne ferme pas la porte, car nous vivons sous le même toit, le plus beau d’Europe. La politique, les étiquettes et les jugements à l’emporte-pièce sont nos pires ennemis, ils cherchent à nous diviser. Apprenons à surmonter ces problèmes main dans la main, avec tolérance, respect et le souvenir que nous avons besoin l’un de l’autre.

Souviens-toi, il n’y a pas si longtemps, le vol montagne était une branche du CAF (Club Alpin Français) ! La Charte du pilote montagne (ci-dessous) respecte avec le même amour que le tien ces faces, ces pentes et ces sommets que nous admirons tous. N’ayons pas la mémoire courte, ne condamnons pas trop vite, car ce qui devient interdit, ne revient jamais. Ne laissons pas fondre la glace de nos libertés, elles sont si fragiles ces derniers temps. Comme toi, je veux continuer à contempler les Grandes Jorasses, la Noire de Peteurey, les Périades, le Linceul, le glacier d’Argentière, les Drus, les Droites, la Dent du Géant et toute l’oronymie qui nous fait rêver rien qu’à l’évocation de leur son. Prenons plutôt ensemble de la hauteur, comme nous aimons si bien le faire dans nos passions communes. Tu le sais toi aussi, quand on est là-haut, on a plus de recul !

Bien à toi !

Jean-Marie Urlacher

Un amoureux de la Montagne, au sol ou en vol (comme tant d’autres…).


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