ÉDITORIAL 9 – Un aviateur suisse atterrit au dôme du Goûter


Dans le climat régnant actuellement sur nos belles montagnes, le titre de l’éditorial de ce dimanche est volontairement provocateur. En effet, dans la même logique qui nous a conduit à rappeler à nos lecteurs que 2021 marquait le Centenaire de la traversée de la Cordillère par Adrienne Bolland, ‘la Déesse des Andes’, nous lançons un appel à commémoration pour le Centenaire du premier posé/décollage d’un avion dans un massif montagneux.

L’EXPLOIT D’UN AVIATEUR SUISSE

En ce matin du samedi 30 juillet 1921, le Genevois François Durafour décolle de la piste d’aviation de La Blécherette (Lausanne/Canton de Vaud/Suisse) à 6 h 10 matin à bord d’un Caudron G.3, le même modèle d’appareil que celui utilisé par notre héroïne le 1er avril. Arrivé à la verticale de Thonon-les-Bains (74/Haute-Savoie), l’aviateur vire en direction du massif du Mont-Blanc tout en prenant de l’altitude.

Après avoir atteint une altitude de 5 300 mètres, il arrive à hauteur du sommet du mont Blanc, qu’il contourne, mais redescend de plus de 1 000 mètres. À plusieurs reprises, déstabilisé par des courants erratiques, il manque de s’écraser contre la pente. Cependant, s’il perd de l’altitude, c’est sciemment, car il a rendez-vous au dôme du Goûter (4 304 m d’altitude) avec trois amis censés préparer le terrain pour le premier atterrissage en montagne de l’Histoire. Un peu en avance sur le planning, il atterrit seul et sans heurts à 7 h 10 très précises. En effet, la colonne de ses amis censés être montés la veille pour préparer le terrain en posant une croix en drap rouge ainsi que l’opérateur cinématographique est, pour sa part, très en retard.

Fort heureusement, il est rejoint par trois randonneurs, dont le président du Club alpin français (CAF), qui atteste de l’exploit en griffonnant sa carte de membre. Enfin rejoint par ses amis, le héros du jour se plie à une séance photos pour immortaliser l’événement, puis on repositionne l’avion pour préparer le décollage, qui a lieu à 7 h 50. Le nouveau recordman prend son temps pour descendre dans la vallée de Chamonix. Il savoure sa victoire, mais ses évolutions aériennes permettent également de signaler sa présence au plus grand nombre. C’est donc devant un public nombreux qu’il atterrit à proximité de la ville…

CÉLÉBRATION DU 95e ANNIVERSAIRE

En août 2016, afin de commémorer le 95e anniversaire de cet exploit historique, la façade Est de la copropriété des Ancolles, visible à hauteur du numéro 130 de l’avenue du Mont d’Arbois à Saint-Gervais-les-Bains (en plein centre-ville) est recouverte d’une immense fresque réalisée par les deux artistes d’art urbain Zoer et Irsut. Cette œuvre monumentale reproduit l’une des photographies prises par Henri Brégeault, alors secrétaire général du CAF.

 

Ce dernier atteste de l’exploit en griffonnant sur sa carte de membre du CAF : « Henri Brégeault, secrétaire général du Club alpin français a photographié François Durafour, atterrissant au col du Dôme le 30 juillet 1921 à 7 heures 15 minutes, atterrissage réussi en tout point, exploit remarquable ». Entre Paul Rouyer (membre de la section des Alpes maritimes) et Léon Orset (un porteur de Saint-Gervais alors âgé de vingt ans. Eugène Henssler (un architecte) lance le moteur… L’aéronef atterrit à Chamonix à 9 h 30.

QUID DU CENTENAIRE ?

Le vendredi 30 juillet 2021 marquera le centième anniversaire du premier atterrissage et du décollage d’un avion au cœur d’un massif montagneux et à haute altitude. Un centenaire est, par définition, un événement, pour ne pas dire un jubilé, qui se fête de manière solennelle.

Or, dans le cas qui nous intéresse, il semblerait bien que rien ne soit officiellement prévu dans la commune concernée… On pourra toujours arguer du fait que nous sommes encore en pleine pandémie, que c’est la réponse à la crise sanitaire qui prime et que l’anecdote du posé au col du Dôme n’est pas la préoccupation du moment. Certes, mais la réalité est que nous sommes, malgré des statistiques toujours alarmantes et malgré l’apparition d’un variant indien, en plein « déconfinement », annoncé à grand renfort de publicité dans la presse régionale par le Président de la République en personne.

On nous objectera peut-être que c’est un Suisse qui s’est lancé à l’assaut du dôme du Goûter et que son exploit nous concerne peu ici, en France. Ce serait alors faire injure à François Durafour, pionnier et breveté de l’aviation française naissante, l’un des fondateurs de l’aviation militaire suisse qui s’engage dans l’armée française en 1915 pour y devenir pilote réceptionniste des avions neufs en compagnie du sergent Marcel Bloch, l’inventeur, avec Henry Potez, de la célèbre hélice Éclair

Au moment même où les professionnels du tourisme peuvent envisager une saison d’été exceptionnelle en montagne, comment interpréter un éventuel boycotte d’un événement aussi remarquable ? Doit-on établir un lien avec le récent communiqué de presse conjoint des maires de Chamonix et de Saint-Gervais-les-Bains mettant en demeure l’État de durcir la réglementation de la pratique de l’aviation de tourisme dans l’ensemble du massif du Mont-Blanc ? On n’ose même pas l’imaginer.

APPEL SOLENNEL À COMMÉMORATION

Soulignons bien que le centième anniversaire du posé et du décollage d’un avion sur le dôme du Goûter est simplement le rappel d’un événement historique qui s’est déroulé… il y a cent ans, une époque qui croyait encore aux bienfaits du progrès et dans un monde qui ne connaissait pas encore ses limites.

C’est tout simplement l’esprit pionnier en général, et l’esprit montagnard en particulier qu’il s’agit de célébrer, l’invention de l’aviation de montagne qu’il s’agit de saluer. En effet, peut-être sans en être véritablement conscient, François Durafour est le précurseur de tous les aviateurs qui, en tentant de se poser dans la neige fraîche, soufflée, gelée ou tôlée, en avion tout d’abord, en hélicoptère ensuite, ont permis de développer les secours en montagne.

C’est pourquoi j’appelle tous les acteurs du pilotage en montagne, quels que soient les modes de déplacement considérés, à célébrer, à leur manière, cet événement. J’appelle également tous les communicants, quels que soit leur mode d’expression, à annoncer ce Centenaire, à publier des articles, des témoignages, des reportages traitant de ce sujet. J’appelle tous les historiens, diplômés ou amateurs, à organiser des conférences là où ils le peuvent…

ÉPILOGUE

À l’heure où j’écris ces lignes, il reste moins de trois mois pour se mettre en ordre de bataille pour rappeler, dignement, ce haut fait.

Gageons que ce sera assez pour une prise de conscience.

Bernard Amrhein


SOURCE

  • Il y a 95 ans, un frêle biplan se posait dans le Mont-Blanc, par Catherine RICHARD, le Dauphiné Libéré, 6 septembre 2016.

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