13 juillet 1944 – Un bombardier ‘HALIFAX’ en mission de parachutage s’écrase sur les pentes du pic de Douly (65/Hautes-Pyrénées)


Pendant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux avions militaires s’écrasent dans les massifs montagneux européens… américains et asiatiques. Dès qu’il le peut, le site Internet Pilote de montagne (PDM) revient sur ces événements tragiques marquant l’histoire de cette époque. Aujourd’hui, intéressons-nous au crash d’un bombardier britannique dans les Pyrénées pendant la Libération de la France…

CONTEXTE

Plus d’un mois après le Débarquement en Normandie, nos alliés anglo-saxons redoublent d’effort pour livrer à la Résistance intérieure française les armes, les munitions et les équipements militaires susceptibles de permettre l’engagement, au moment opportun, d’une force armée significative sur les arrières de l’ennemi.

C’est pourquoi le rythme des parachutages, principalement organisés les nuits de pleine lune, augmente d’une manière spectaculaire sur presque l’ensemble du territoire français.

LA SITUATION LOCALE

En juillet 1944, les Alliés s’enlisent en Normandie. Dans les Pyrénées, la 3201e compagnie des francs-tireurs et partisans français (FTPF), commandée par Louis Torres, dit ‘le Buffle’,reçoit l’ordre d’empêcher le SS-Panzergrenadier-Regiment 3 ‘Deutschland’ du Brigadeführer und Generalmajor der Waffen-SS Heinz Lammerding (commandant la 2. Panzer Division ‘das Reich’) de rejoindre les plages normandes.

Après un raid effectué le lundi 10 juillet, pour récupérer des armes à Lannemezan (65/Hautes-Pyrénées), où sont stationnés 1 200 soldats allemands, il apparaît évident que les deux maquis de Nistos et Esparros, renforcés par 60 guerilleros espagnols du commandant José Cortès, va manquer de munitions.

Contact radio est alors pris le mercredi 12 juillet avec le Special Projects Operations Center (SPOC), créé par les Américains, les Anglais et les Français le mercredi 24 mai pour parachuter de l’aide, depuis l’Afrique du Nord, à la Résistance des Alpes et de Provence. Cependant, jusque-là, le SPOC n’est pas encore intervenu sur les Pyrénées.

VOL DE NUIT

Le jeudi 13 juillet, à 19 h 45, lors du briefing sur la Base aérienne 140 de Blida, en Algérie, l’officier pilote canadien Leslie Arthur Peers (27 ans) annonce à son équipage britannique que la mission sera dangereuse car les vallées pyrénéennes sont plus étroites que celles des Alpes.

Réservistes volontaires, Albert Baythorp (navigateur), Charles Spencer Goble (bombardier), William Wharmby (opérateur), Jack Brooke et Harry Clarke (mitrailleurs) et James Walsh (mécanicien) ont, malgré leur jeune âge, déjà plusieurs opérations spéciales à leur actif au sein de la RAF 624 SD (‘Special Duties’), dite Black Squadron (Escadron noir).

À 21 heures, un bombardier quadrimoteur Handley Page ‘Halifax’ de Blida avec quatre tonnes d’armes et de munitions. L’appareil survole la mer Tyrrhénienne à 100 mètres au-dessus des vagues, afin d’éviter les radars puis, lorsque la nuit tombe, grimpe à 10 000 pieds (soit 3 048 m) pour éviter les batteries de DCA disséminées le long des côtes. Survolant enfin l’intérieur des terres, l’équipage redescend à 150 m d’altitude, avant d’aborder, vers 23 heures, un massif des Pyrénées plongé dans un épais brouillard.

Au cœur de la nuit du jeudi 13 au vendredi 14 juillet, un immense vacarme se répercute de vallée en vallée, du côté de Nistos et de l’Arize : l’unique mission pyrénéenne du SPOC de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale se solde par un crash, à quelques kilomètres seulement du but de la mission, le col de l’Estivère, situé à 1 219 m d’altitude.

Ce n’est que dans l’après-midi du jeudi 17 juillet que la carcasse de l’appareil est découverte par deux jeunes bergers du Haut-Nistos, François Rumeau et Pierre Seube, sur le flanc est du pic de Douly. Un troisième berger, René Rumeau, qui se trouve à proximité, est chargé de descendre prévenir Lucien Rumeau, instituteur dans le Haut-Nistos. Heureusement, ce dernier est en contact avec les résistants.

Le lendemain, vendredi 18 juillet, un groupe composé de Lucien Rumeau et des dénommés Estève, Mousis et Coubry, ainsi que du détachement de Louis Nasare, du maquis, quitte le village au petit jour. À ce groupe se joignent les dénommés Noguès, de Seich, François Bracali, Alexandre Seube, Alphonse et Michel Bracali, Jean et René Rumeau, ce dernier à peine âgé de 15 ans.

Après trois heures de marche, la colonne atteint enfin le lieu du crash.

Il faut une journée entière pour recueillir tous les indices (plaques d’identité, bagues, médailles…) afin d’identifier les corps pour procéder, ensuite, à leur inhumation. Dure mission pour les jeunes du maquis et ces habitants du Nistos. Un à un, les corps sont placés dans des containers de parachutage et déposés dans des fosses. L’inhumation terminée, monsieur Estève fait présenter les armes par les jeunes du maquis. Une minute de silence est observée.

Cependant, il ne faut pas oublier que les Allemands peuvent intervenir à tout moment. Il faut donc garder le secret. Les maquisards savent qu’ils peuvent faire confiance à l’admirable population du Nistos et de l’Arize. Quelques jours après l’enterrement c’est par dizaines que les habitants sont montés se recueillir et fleurir les tombes. De leur côté, informées par un rapport de la gendarmerie de Loures Barousse, daté du lundi 4 septembre, les autorités officielles ne donnent aucune suite…

Ce sont les Anglais, les habitants de la région et les Résistants locaux qui, pendant des décennies, entretiennent le cimetière en évitant, ainsi, qu’il ne tombe dans l’oubli. À chaque date anniversaire, les tombes sont fleuries par les Anglais accompagnés par les habitants. Malheureusement, comme c’est le cas partout dans le monde, la carcasse de l’avion a progressivement été entièrement pillée.

Comme le veut la tradition anglicane, les corps calcinés des sept aviateurs sont immédiatement enterrés, sur le lieu même de leur mort. Les honneurs militaires leur sont rendus par les hommes de José Cortès et le stock récupéré juste à temps. Cela malgré une patrouille de recherche allemande de 600 hommes. Les maquis de Nistos et Esparros doivent saboter la raffinerie de Peyrouzet (31/Haute-Garonne) et bloquer un convoi ferroviaire de 50 000 tonnes de minerai de fer. Enrôlés dans le régiment de Bigorre, certains maquisards participent, ensuite, à la libération de Tarbes (dont Paul Chastelain, qui en devient maire en 1977), de Pau puis de Bordeaux.

LA CÉRÉMONIE DU 13 AOÛT 1954

Dix ans après le drame, une grande cérémonie est organisée par les anciens combattants de la Résistance des Hautes-Pyrénées, la population des vallées et les anciens maquisards.

Dans la matinée, c’est par centaines que les habitants de la région entreprennent la longue montée vers le cimetière par la vallée de Nistos et par la vallée de l’Arize. De très nombreuses familles venues d’Angleterre sont présentes, accompagnées par beaucoup de leurs camarades de la RAF. Certains participants mettent plus de quatre heures pour atteindre le cimetière, quand d’autres n’arrivent qu’en cours de cérémonie…

La manifestation débute à 14 heures. Il fait un temps splendide. Quarante-cinq militaires du 35e Régiment d’Artillerie parachutiste (RAP) de Tarbes, commandés par un lieutenant, rendent les honneurs. On procède tout d’abord à l’inauguration d’une plaque en cuivre offerte par les habitants du Nistos :

Elle rappelle « qu’à cet endroit reposent sept aviateurs anglais et canadien et invite les passants à leur accorder une pensée ».

L’appel des morts est effectué par un anglais et par Jean Bordes, ancien du maquis.

Pour la première fois, un prêtre est présent pour bénir les tombes.

Cette cérémonie, sans discours, devant cette foule nombreuse et les tombes fleuries est des plus émouvantes.

CIMETIÈRE MILITAIRE ET DÉBRIS DE L’APPAREIL

Situé à 1 641 mètres d’altitude, ce lieu de mémoire est le plus petit et le plus inaccessible cimetière du Commonwealth au monde. Á côté des sept tombes, une stèle porte plusieurs plaques rédigées en anglais.

Une plaque, devenue illisible, a été ajoutée par la No. 2 School of Technical Training RAF (École pour l’entraînement technique n° 2 de la RAF) afin de commémorer une opération ‘Halifax Search’, organisée du vendredi 30 mai au vendredi 7 juin 1986.

Quelques débris de l’épave sont encore visibles. Quant aux moteurs, ils sont exposés au Musée aéronautique Léon Elissalde de Bagnères de Luchon (31/Haute-Garonne).

En 1994 le cimetière est rénové selon un projet établi par Norbert Delphin, professeur au lycée de Gourdan, et par Jean Bordes, ancien du maquis, qui a préparé et dirigé la construction du mémorial. Cet ouvrage ne peut être réalisé que grâce au concours de très nombreux bénévoles venus de la Bigorre et du Comminges. Il faut citer particulièrement Louis Torres, Jean Cebollade, ancien du maquis, Alphonse Juanola, Fernand Garcia, du Souvenir Français, Francis Larregola et Patrick Barrere, de Montréjeau.

Le cimetière est inauguré le jeudi 27 août 1994 par André Rumeau, maire de Sacoué, en présence de nombreuses personnalités dont monsieur Roger Virnuls, consul honoraire de Grande-Bretagne et de 32 drapeaux d’associations patriotiques.

En 1998 la famille du Lieutenant Leslie Arthur Peers est enfin informée, au Canada, de sa présence dans ce cimetière. Il était porté disparu depuis 1944.

Le samedi 10 juillet 1999, un hommage au pilote et à ses six compagnons d’infortune est organisé par la préfecture des Hautes-Pyrénées, en présence de la famille de l’officier, entourée d’une importante délégation venue du Canada et conduite par l’Honorable Jerry Pickard, ministre délégué au parlement canadien.

UN FILM POUR RETRACER LE DRAME

71 ans après le drame, en 2015, le réalisateur Francis Bianconi tourne un documentaire sur les lieux même du drame. Un projet ambitieux et difficile car il n’existe plus, à l’époque, de bombardier ‘Halifax’ en état de voler. Ne subsistent alors que trois appareils de musée qui sont utilisés comme décor pour illustrer les scènes de vol.

Francis Bianconi précise : « On va tout reconstituer en 3D, ça va demander un sacré travail, huit à dix mois pour reconstituer en 3D la réalité de ce que représente l’Halifax et le faire voler au-dessus des Pyrénées ».

Intitulé ‘Morts pour la liberté – Le destin tragique du vol C Charlie’ et co-produit par France Télévisions, ce documentaire fait l’objet d’une version anglaise puis est proposé pour une diffusion sur, entre autres, BBC One London, PBS, ICI Radio- Canada et la chaîne TV publique néo-zélandaise TV One.

En 2016, France 3 diffuse un reportage sur l’avant-première de ce film.

ÉPILOGUE

Dès le mardi 18 juillet 1944, et sans interruption depuis le drame, les habitants du Haut-Nistos ont pris l’habitude de fleurir les sépultures de ceux qu’ils considèrent comme les enfants du pays, construisant peu à peu ce qui, à 13 400 mètres d’altitude, est devenu le plus petit, le plus inaccessible et le plus haut cimetière du Commonwealth au monde.

De cette tragédie, on peut retenir qu’il est particulièrement dangereux d’évoluer dans des vallées resserrées, surtout par temps de pluie et de brouillard, ce que Leslie Arthur Peers, le pilote canadien du bombardier, avait d’ailleurs prévenu ses membres d’équipage britanniques.

À retenir également que, pour une raison inconnue, l’officier a été porté disparu pendant près de 54 années, ce qui démontre les difficultés des services administratifs britanniques à recouper les flots d’information recueillis au sein d’archives-papier certainement différentes pour les militaires anglais et ceux relevant des autres pays du Commonwealth. Un type de problème que l’avènement de l’internet aura heureusement permis de résoudre…

Éléments recueillis par Bernard Amrhein


 

SOURCES

  • Le Crash d’un Halifax au Pic de Douly
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