1928-1929 / La première évacuation aérienne de l’Histoire se déroule à Kaboul (Afghanistan)


L’évacuation de personnes civiles directement menacées par des combats entre parties rivales (à pied ou par bateau…) est une préoccupation constante à travers les âges. Cependant, avec l’intensification de la puissance de feu au cours des conflits mondiaux du siècle dernier, cette capacité devient cruciale, voire même primordiale pour l’ensemble des belligérants. Si l’évacuation de ressortissants par voie aérienne devient monnaie courante à partir des années 1960, il ne faut pas oublier que la Royal Air Force (RAF) innove littéralement en établissant un pont aérien entre Kaboul, en Afghanistan, et l’Inde britannique entre la fin décembre 1928 et la fin du mois de février de l’année suivante. Histoire d’une opération militaire spéciale largement oubliée en France et ailleurs…

RÉSUMÉ

En 1928, tandis que le chef de tribu Habibullah Kalakâni, défavorable au roi d’Afghanistan Amanullah Khan, attaque la capitale, Kaboul, les Britanniques craignent que leur légation soit encerclée et prise en otage.

Le pont aérien vers Kaboul est une opération d’évacuation de la capitale afghane, de diplomates britanniques et européens, de leurs familles et de leur personnel militaire et civil, conduite par des éléments de la RAF entre le dimanche 23 décembre 1928 et le lundi 25 février 1929. Il s’agit de la première évacuation aérienne d’envergure de l’Histoire. 586 personnes de onze nationalités différentes sont prises en charge et transportées vers l’Inde par voie aérienne[1].

Commandée par Sir Geoffrey Hanson Salmond[9], l’opération est dirigée par le Group captain Reginald Parcy Mills[9]. Pour mémoire, c’est l’Air Vice-Marshal Robert Brooke-Popham, commandant des forces aériennes britanniques en Irak, qui avait farouchement défendu l’acquisition de l’avion de transport Vickers Victoria[9].

Pour cette opération d’envergure, Salmond parvient à mobiliser les appareils suivants :

–   sept Vickers ‘Victoria’ ;

–   un Handley Page (HP) Hinaidi ;

–   24 Airco DH.9A ;

–   deux Westland Wapitis[2].

Cette évacuation est à la fois audacieuse et périlleuse, car il s’agit de survoler et de traverser l’Hindou Kouch, un massif montagneux culminant à 10 000 pieds (3 048 mètres) d’altitude, et ce dans des conditions hivernales et une température de – 17° Celsius.

LES RAISONS DU SOULÈVEMENT

Après l’assassinat d’Habibullah Khan, son fils Amanullah Khan prend le pouvoir en février 1919. Quelques mois plus tard, ce dernier déclenche la troisième guerre anglo-afghane, un bref conflit permettant de rendre à l’Afghanistan sa complète indépendance vis-à-vis du Royaume-Uni (traité de Rawalpindi). Embrassant le programme de Mahmoud Beg Tarzi (à la fois son beau-père et son ministre des Affaires étrangères), le nouvel émir ouvre son pays au monde et le dote de sa première constitution en 1923.

Le vaste programme de réformes d’Amanullah Khan (amélioration de la condition des femmes par l’abolition de la polygamie et du ‘purdah’, lutte contre la corruption, création de passeports et de cartes d’identité, encouragement à l’investissement privé…) suscite de nombreux mécontentements en Afghanistan. En 1924, la rébellion des Mangals est réprimée dans le sang.

Amanullah Khan adopte le titre royal de ‘Shâh’ en 1926.

De retour d’une tournée-marathon en Europe en compagnie de sa jeune épouse, Soraya Tarzi, il tente d’introduire une nouvelle série de changements politiques, destinés à introduire le mode de vie « à l’occidentale » dans le pays[5]. Optant pour des solutions radicales plutôt que pour la mise en œuvre de réformes à doses homéopathiques, il institue un parlement élu par tous les Afghans alphabétisés et, malgré une opposition farouche des factions conservatrices, prononce plusieurs discours devant les représentants du peuple en septembre et en octobre de la même année. Le pays connaît alors de nombreux soulèvements menés par les mollahs, le roi étant dénoncé comme un ‘kâfir’ (c’est-à-dire un mécréant)[6].

Vidéo :

https://www.britishpathe.com/asset/100604/

L’ATTITUDE DES BRITANNIQUES

Craignant une guerre civile généralisée, le ministre britannique à Kaboul (Sir Francis Humphrys, un ancien pilote de la RAF) se convainc que les lignes de communication de la légation britannique ne sont plus sûres[6]. Or, ce n’est pas la première fois que les Britanniques se voient contraints d’évacuer la capitale afghane. En effet, en janvier 1842, 4 500 soldats et 12 000 auxiliaires, membres de leurs familles et domestiques, sous la direction du général William George Keith Elphinstone, veulent franchir la passe de Khyber en passant par Jalalabad pour échapper aux tribus hostiles. Tous les évacués sont tués ou faits prisonniers entre le jeudi 6 et le jeudi 13 janvier lors de la bataille de Gandamak. Le seul survivant est le docteur William Brydon. Il est donc inenvisageable de renouveler cette tragique expérience…

Le lundi 3 décembre, Humphrys adresse un message au Commandant de la RAF en Inde, Geoffrey Hanson Salmond, lui demandant de maintenir la liaison postale aérienne vers Kaboul, tout en se tenant prêt à intervenir avec de nombreux avions en cas de nécessité[6]. Salmond acquiesse mais souligne le manque d’appareils capables de transporter des passagers en grand nombre. En effet, il ne dispose que de 24 biplaces Airco DH.9A hors d’âge et de deux Westland Wapitis[6]. Le seul avion approprié que Salmond pourrait préempter, un Handley Page (HD) Hinaidi, est malheureusement stationné à Bagdad et temporairement affecté au transport de Sir Denys de Saumarez Bray, l’Indian Foreign Secretary (Secrétaire indien aux Affaires étrangères)[6]. C’est pourquoi il réquisitionne le le seul Vickers Victoria détaché par la RAF en Irak, qui rallie l’Inde[6][7] le 17 décembre.

LA GUERRE CIVILE AFGHANE (1928-1928)

La première insurrection contre Amanullah est menée par la tribu pachtoune des Shinwari, outrée par la promulgation de différentes lois, dont celle imposant les vêtements à l’occidentale, celle imposant un quota de filles à envoyer pour éducation à Kaboul, ainsi que l’introduction de taxes (l’impôt n’existant pas jusque-là)[8]. Les Shinwari attaquent Jalalabad, coupant par la même occasion la route de Peshawar[8]. Amanullah riposte en engageant sa force aérienne naissante, qui comprend des pilotes pilotes soviétiques, et bombarde les insurgés. L’engagement des « infidèles » étrangers pour soumettre des musulmans pousse d’autres tribus à la révolte et le pays bascule dans la guerre civile[6].

IMPACT SUR LA LÉGATION BRITANNIQUE

Les éléments dispersés de la rébellion se regroupent autour du charismatique Habibullah Kalakâni, aussi appelé Bacha-e-Saqâo (le « fils du porteur d’eau »), une sorte de Robin des Bois descendant du nord avec quelque 3 000 guerriers[6]. Ces derniers viennent rapidement à bout de l’armée royale et s’approchent dangereusement de Kaboul. Le vendredi 14 décembre, les insurgés capturent deux anciens forts turcs plantés de part et d’autre de l’enceinte de la légation britannique[6]. De là, il poursuivent vers le Koh-e Asamai, une colline de 2 126 m d’altitude (prise par les Anglais en décembre 1879, lors de la seconde guerre anglo-afghane) située à l’ouest de la légation britannique. Bientôt, la « ligne de front » s’y installe. Alors que les tirs à l’aveugle causent d’importants dommages aux bâtiments et que les femmes et les enfants s’accroupissent sous la table de billard, Sir Francis Humphrys se tient courageusement aux portes de la légation, prêt à affronter Bacha-e-Saqâo directement.

Le dimanche 16 décembre, après avoir envoyé un dernier message demandant l’évacuation des femmes et des enfants, la légation perd les communications sans fil avec l’Inde britannique[6].

LE TRANSPORT AÉRIEN MILITAIRE BRITANNIQUE

Les circonstances exigeant de tels transports aériens nécessitent souvent une intervention militaire. En 1928, c’est naturellement à la RAF qu’il incombe de remplir cette mission innovante.

Les Forces armées britanniques sortent de la Grande Guerre de 1914-1918 avec une organisation très différente de celle avec laquelle elles y étaient entrées. Une innovation marquante est la création, en 1918, d’un nouveau service, la Royal Air Force (RAF). Après un conflit extrêmement meurtrier et ruineux au plan financier, on note tout naturellement une tendance au désarmement, ce qui conduit la British Army et la Royal Nayy à se concurrencer pour l’obtention de ressources budgétaires en très forte diminution, une situation que l’apparition d’un troisième larron n’arrange guère. Heureusement pour la RAF, la signature des différents traités de paix débouche sur une extension du Commonwealth au détriment des empires allemand et ottoman, ce qui, au-delà d’une forte expansion territoriale, induit une élongation supplémentaire des lignes de communication et de transport logistique.

Pour jouer dans la cour des grands, la RAF n’a d’autre solution que de s’inventer de nouvelles missions (comme l’Air Policing [Police du ciel] aux confins de l’Empire) et de miser sur le développement d’un transport aérien longue distance garant de compression des durées de trajet.

En 1921, le Vickers Vernon est le premier avion de transport lourd de la RAF. Il reprend les ailes du bombardier Vickers Vimy, montées sur un nouveau fuselage, mais son rayon d’action de 270 milles marins (soit 435 kilomètres) et sa vitesse de croisière de 65 nœuds (soit 120 km/h) sont dérisoires. Cependant, son cockpit ouvert le limite aux vols par beau temps et les missions longue distance (comme le vol postal de Bagdad au Caire par exemple) exigent que les équipages suivent des routes émaillée de fréquents arrêts pour avitaillement. La RAF pressentant des applications militaires au Moyen-Orient et commande 55 Vernon, dont la cabine peut accueillir onze sièges en toile montés sur les côtés intérieurs du fuselage.

Rapidement, le Vernon se rend indispensable auprès des deux autres services. Ainsi, en 1923, le Vernon du Squadron 70 de l’Iraq RAF Command transporte des troupes sikhes (les chiffres varient de 280 à 500 PAX) de Kingarban à Kirkouk, contribuant à mater un soulèvement kurde. Il s’agit-là du premier pont aérien militaire opérationnel. L’expérience acquise par cette unité au Moyen-Orient au cours des années 1920 servira bientôt un peu plus à l’Est…

Le premier vol du Victoria’ a lieu en 1922, seulement un an après celui du Vernon, mais le nouvel appareil accueille 22 passagers sur des sièges en toile disposés sur les côtés d’un fuselage bien plus vaste, les pilotes opérant malheureusement toujours dans un cockpit ouvert, à l’ancienne.

Ce cockpit donnant directement dans la carlingue, les passagers sont bien ventilés… et bien frigorifiés…

Le Victoria est également équipé d’une nouvelle voilure, d’une structure métallique et de moteurs Napier Lion plus puissants, offrant une vitesse accrue (96 nœuds, soit 178 km/h) et un plus grand rayon d’action (670 milles, soit 1 078 km). Le Squadron 70 de Bagdad commence à s’équiper de Victoria en 1926 et dispose bientôt d’un parc hétéroclite d’avions en bois et en métal. Les bombes peuvent être transportées sous les ailes, mais le Victoria s’illustre surtout dans le transport aérien grâce à une carlingue capable de transporter indifféremment des marchandises, du courrier ou du personnel. Des moteurs de rechange peuvent même être montés sur l’aile. En tant que plus grand transport militaire de son époque, il s’agit de l’avion parfait pour évacuer Kaboul.

LES TRIBULATIONS D’UN FRANÇAIS À SHERPUR

Pour se rendre compte de l’état du terrain d’aviation de Sherpur, on peut se référer au témoignage du Français René François Drouillet, un aviateur militaire français venant de terminer son contrat (et futur pilote de l’Aéropostale), pressé de louer ses services.

Fin 1928, soucieux de contrer les tribus rebelles, Amanullah crée une aviation militaire et envoie des officiers en Russie, en Grande-Bretagne, en Italie et en France pour étudier les différentes organisations en vigueur. Le Potez 25 (qui, au passage, est l’avion de Jean Mermoz et d’Henri Guillaumet…), dont un exemplaire, offert par le gouvernement français, lui a été livré par air par le capitaine René Weiser au mois d’août. Les événements s’aggravent et la rébellion assiège Kaboul à la mi-décembre tandis que les Britanniques évacuent leurs ressortissants par avion. Les combats semblant se calmer et Kaboul étant dégagée, l’ambassade d’Afghanistan en France qui, à la recherche d’avions de combat, a acheté un Potez 25 aux Domaines, propose à Drouillet d’en assurer le convoyage aérien.

Pour cette mission, Drouillet embauche un mécanicien qui, mi-britannique, mi-afghan, parle anglais et pachto. Il survole l’Italie, suit la côte adriatique avant de mettre le cap sur Salonique, en Grèce. Alors qu’il survole la mer, une bielle coulée le contraint à atterrir d’urgence. Il trouve de justesse un îlot en cherchant à atteindre Corfou et, après deux jours de réparation sur place, repart vers Kaboul.

Cependant, en Asie, le Français n’arrive pas à rassembler d’informations actualisées sur la situation en Afghanistan. Il se pose donc près de Kaboul au crépuscule, sur un terrain « dont l’aménagement rappelle vaguement un aérodrome », mais ne sait pas qui est au pouvoir et pense s’être trompé de terrain. D’après un rapport datant d’août 1928, l’aérodrome de Kaboul, sous influence russe et allemande, est bien équipé et comporte 10 hangars pour quatre avions, ainsi qu’un bon atelier de réparation.

Prenant les hommes en armes et sans uniformes qui l’accueillent pour des volontaires de l’armée royale, il se recommande du roi Ammanullah… Mal lui en prend, car il vient d’atterrir en plein milieu des guerriers rebelles qui, immédiatement, incendient le Potez. Tandis que son mécanicien prévient l’ambassade, Drouillet devient l’hôte forcé et inquiet des rebelles pendant une dizaine de jours, au terme desquels il est libéré grâce aux interventions de l’ambassade de France.

LES SOURCES

Publié dès 1929, le récit de Sir Geoffrey Salmond[2] mentionne que l’opération s’est déroulée en quatre étapes successives[2] :

–   Phase 1, du mardi 18 au samedi 22 décembre 1928, rétablissement des communications[2].

–   Phase 2 : du dimanche 23 décembre 1928 au lundi 1er janvier 1929, évacuation des femmes et des enfants des légations britanniques et étrangères[2].

–   Phase 3,entre le mercredi 2 et le samedi 19 janvier 1929 : évacuation de la famille royale.

–   Phase 4, entre le dimanche 20 janvier et le vendredi 25 février 1929 : évacuation des autres ressortissants étrangers et retrait des légations britannique, allemande, française et italienne[2].

En 1975, la fille de Sir Geoffrey Salmond, Anne Baker, publie le récit de l’évacuation de Kaboul par les airs dans l’ouvrage intitulé The First Airlift[10].

PRÉLIMINAIRES

Le premier ‘Victoria’ quitte Bagdad le samedi 15 pour atterrir à Karachi le lundi 17 décembre. Piloté par le Squadron Leader Reginald Stuart Maxwell, l’appareil rallie ensuite Quetta, où il doit subir son premier test. En effet, l’essentiel de l’expérience opérationnelle du Squadron 70 consiste à voler depuis des terrains d’aviation proches de la mer. Or, Kaboul (mais aussi Quetta), sont situées 6 000 pieds (1 800 mètres) plus haut, l’évacuation requérant de passer des montagnes culminant à 10 000 pieds (3 048 mètres) d’altitude.

Redoutant ce qu’il devra affronter, Maxwell effectue une série de vols d’essais au-dessus de Quetta. Bien que déjà très spartiates, les ‘Victoria’ sont délestés de tous les équipements jugés superflus (ce qui inclut l’opérateur TSF), les vols opérés depuis Kaboul devant se limiter à dix passagers par appareil. Le Squadron Leader Maxwell pilote lui-même le Victoria jusqu’à l’aérodrome de Risalpur (près de Peshawar).

Le ‘Hinaidi’ connaît une aventure différente. Respectant l’ordre de rallier la base de Peshawar dès que possible, le Flt Lt Anderson décolle d’Irak dès l’aube. Après trois heures de vol, l’un de ses moteurs rend l’âme et le pilote doit opérer un atterrissage d’urgence dans le désert iranien. Heureusement, il se trouve à seulement 10 miles (soit un peu plus de 16 km) d’une raffinerie de l’Anglo-Persian Oil Company (APOC), qui lui envoie un camion pour le tirer d’affaire en hissant l’appareil (par la queue) sur le plateau et l’amener dans ses ateliers. Il faut un certain temps pour réparer le moteur Bristol ‘Jupiter’ qui avait « avalé l’une de ses soupapes d’échappement ».

Anderson reprend enfin sa mission de convoyage et doit passer 12 heures dans les airs le jour de Noël. Après son vol de sauvetage de Kaboul, le samedi 29 décembre, on estime que l’avion a vraiment besoin de nouveaux moteurs.

La passe de Khyber une fois fermée, le dernier moyen de sortir d’Afghanistan est l’avion. Les moyens de communication normaux via la station sans fil de la ville sont en panne, mais, providentiellement, Sir Francis dispose d’un petit poste de radio qu’il avait acheté sur un coup de tête lors de sa dernière visite à Londres. Il contacte la RAF en Inde et requiert, dans un premier temps, un service de courrier aérien ainsi que la planification d’une éventuelle évacuation aérienne.

Malheureusement, les ressources de Salmond sont limitées. En effet, il ne dispose que de 24 HD.9A pour la police du ciel, deux Wapitis récemment détachés pour des essais opérationnels et un avion de transport HP Hinaidi, de retour à Bagdad après une mission en Égypte.

À peine 10 jours auparavant, un seul avion de transport Victoria’ était arrivé pour des essais à haute altitude et avait déjà été dépouillé de l’équipement jugé superflu. Salmond diffuse un message demandant que les 10 ‘Victoria’ du Squadron 70, normalement basés en Irak, soient dépêchés en Inde, un voyage de 2 800 miles (soit un peu plus de 4 500 km) comportant des arrêts fréquents pour le ravitaillement.

Toujours le lundi 17 décembre, le ‘Victoria’ réquisitionné quitte l’Irak et atterrit à Karachi. Le jour suivant, il rallie Quetta et, après un vol local de contrôle, rejoint Risalpur deux jours plus tard.

PHASE 1 / RÉTABLISSEMENT DES COMMUNICATIONS

Le mardi 18 décembre, Salmond ordonne au Fliying Officer (Fg Off) Claude Trusk d’effectuer un vol de reconnaissance au-dessus de Kaboul avec son DH.9A. Décollant de Kohat, Trusk prend le Leading Aircraftsman (LAC) George Donaldson (un caporal) comme opérateur TSF et emporte un Popham panel qui lui permettra d’effectuer de la signalisation air-sol[4][6]. Il s’agit d’un panneau blanc recouvert de lattes peintes en vert, comme un store vénitien. L’ouverture des lames découvre un côté blanc afin qu’il puisse être utilisé pour transmettre des messages en code Morse international.

À Kaboul, Lady Gertrude (‘Gertie’) Mary Humphrys a anticipé la nécessité d’envoyer des signaux à n’importe quel avion et avait mobilisé les dames pour découper des bandes de papier dans le but de former sur la pelouse le message suivant : « NE PAS ATTERRIR – VOLEZ HAUT – TOUT VA BIEN ».

Lorsque Trusk arrive sur les lieux, il aperçoit le message sur la pelouse ainsi que l’Union Jack flottant sur le mât, mais ne décèle aucun signe de vie. Il descend donc pour larguer le panneau air-sol et, ignorant la position des rebelles aux alentours, est pris sous un feu nourri de tireurs le prenant pour un pilote russe. Soudain, Trusk est recouvert de pétrole. Il s’éloigne et tente de prendre de la hauteur avant que le moteur ne grippe, tandis que Donaldson envoie le message suivant : « Touché. Radiateur éclaté. Atterrissage Sherpur »[6].

Bien que l’aérodrome soit toujours occupé par la Force aérienne afghane, Trusk et Donaldson sont traités sans ménagement et considérés comme des espions. Il sont traînés vers le bureau du commandant de la base, un géant portant une cagoule et une bandoulière. Celui-ci salue les prisonniers et leur a offre le déjeuner. Surgit un pilote russe en quête d’une bombe… Le commandant se lève de table et cherche une bombe Cooper de 20 livres dans un coffre-fort et le Russe l’emporte dans une valise. Plus tard, les aviateurs britanniques sont stupéfaits du mauvais état des avions afghans : les dommages infligés aux appareils ne sont pas réparés et des instruments manquent dans les tableaux de bord, criblé d’impacts.

Ils sont ensuite emmenés dans un hôtel voisin, où on leur attribue une chambre, dont la porte est verrouillée et gardée. Pendant la nuit, les rebelles entent par effraction dans le bâtiment, la sentinelle est abattue et l’hôtel est saccagé. Fort heureusement, les attaquants n’enjambent pas le corps de la sentinelle et n’entrent dans la pièce.

Entre le mercredi 19 et le samedi 22 décembre, plusieurs DH.9A survolent la légation[6]. Aucune tentative d’atterrissage n’a lieu mais un kit complet de transmission sans fil et d’autres équipements sont parachutés[6].

Au bout de quatre jours, le vendredi 21 décembre donc, Trusk et Donaldson sont enfin récupérés par le porteur de Sir Francis, qui leur conseille de retourner leur veste afin de ne pas ressembler aux pilotes Russes, et s’enfuient d’abord en voiture, puis à pied avant d’atteindre la légation britannique. Arrivés presque à bon port, ils sont pris sous les feux croisés des belligérants, mais réussissent à pénétrer dans la légation sous les applaudissements de plusieurs enfants et de leurs gouvernantes.

Donaldson, qui a pu emporter quelques équipements radio pris dans le DH.9A, grimpe, une fois la nuit tombée, sur le mât du drapeau et (toujours sous le feu), répare l’antenne. À l’aide de la batterie de la Rolls Royce de Humphrys, il établit la liaison avec Peshawar, bien que les signaux soient partiellement bloqués par la colline située à proximité de la légation. Un Major de l’état-major de la légation, formé comme artilleur antiaérien, le relève occasionnellement à la radio. Heureusement, l’opérateur de Peshawar ne transmet que huit mots par minute au lieu des 20 wpm (ou plus) usuels….

Tandis que Trusk et Donaldson étaient bloqués à l’aérodrome, les combats autour de la légation faisaient fait rage. Les rebelles avaient capturé des canons et, maintenant, des obus tirés les deux parties opposées frappaient le complexe, causant des dommages à de nombreux bâtiments. Alors que les rebelles savent pertinemment que les occupants de la légation sont des non-combattants étrangers, l’armée afghane, en revanche, pense que le bâtiment a été pris par les rebelles, et tire sur tout ce qui bouge.

C’est pourquoi Lady Humphrys prend le contrôle de l’intérieur de la légation et fait déplacer les magasins et la nourriture dans les chambres, à l’étage, au cas où les entrepôts extérieurs seraient pillés. Des fournitures médicales et des bandages sont préparés et les baignoires sont remplies d’eau  au cas où l’approvisionnement normal serait interrompu. Avec ses grandes baies vitrées, la salle à manger principale est gravement endommagée et les repas sont maintenant servis dans une pièce plus petite située du côté le moins vulnérable du bâtiment.

Le film Carry On Up the Khyber (soit dit en passant, un navet de première bourre) retrace ces événements dramatiques, même si le scénario exagère la situation lorsque l’acteur Sid James se rit du plâtre qui tombe et du verre qui se brise (une scène risible, comme l’ensemble de cette œuvre prétendument cinématographique). En plus des dommages causés par les armes légères, 59 obus explosent sur le bâtiment, et beaucoup plus dans l’enceinte de la légation. Deux domestiques afghans sont tués par balle et un autre blessé.

De son côté, l’ambassadeur tente de négocier aussi bien avec les forces royales qu’avec les rebelles pour utiliser l’aérodrome en toute sécurité. Parfois, les négociations s’effectuent sous la menace d’une arme à feu. Lorsqu’un élément de l’armée pénètre par les portes principales, celui-ci est accueilli par l’ambassadeur, qui persuade son chef de quitter les lieux. Pour imposer le respect et dédramatiser la situation, il apparaît, avec calme et prestance, pipe aux lèvres. Une attitude qu’il affiche tout au long du siège.

Pour sa part, la RAF continue d’envoyer des DH.9A de reconnaissance pour évaluer la situation et lire les panneaux disposés sur la pelouse. Dans la légation, deux Allemands sont aperçus pour la première fois tapis dans un fossé, agitant un drapeau allemand attaché à un bâton de marche, mais ils sont rappelés à l’intérieur du bâtiment pour leur sécurité. Après quelques jours, pendant une accalmie dans les combats, ils peuvent retourner dans leur propre légation qui, sise de l’autre côté de la ville, ne subit aucun siège. Certains Allemands parviennent à s’échapper dans un Junkers F.13 acquis par le roi lors de sa tournée européenne.

Ayant reçu la visite d’un fonctionnaire du ministère afghan des Affaires étrangères, porteur d’une lettre du roi s’excusant humblement des dommages causés à la légation par les forces afghanes et acceptant que les dames puissent partir de l’aérodrome dans « le grand avion », Sir Francis décide qu’il est temps d’appeler la RAF à la rescousse. Le samedi 22 décembre au soir, Donaldson réceptionne un message annonçant que les avions se tiennent prêts à Risalpur, l’aérodrome de la RAF situé près de Peshawar.

PHASE 2 / ÉVACUATIONDES FEMMES ET DES ENFANTS

Au matin du dimanche 23 décembre, un ‘Wapiti’ décolle pour reconnaître l’aérodrome de Sherpur et s’assurer que tout est dégagé. Il est suivi par un ‘Victoria’ piloté par le Squadron Leader Reginald Maxwell, du Squadron 70, et par trois DH.9A chargés d’emporter les bagages.

En parallèle, un petit groupe de femmes et d’enfants quitte la légation à 5 h 30, escorté par quelques soldats afghans. Pendant plus d’une heure, l’équipée se fraie un chemin entre les lignes adverses tout en évitant les bâtiments endommagés et les cadavres pour rejoindre la légation italienne, qui se situe juste en-face de la piste d’aviation. Une fois sur place, des femmes et des enfants d’autres légations, épargnées par les combats, se joignent à la colonne. Au moment opportun, tout le monde est conduit en véhicule vers l’aérodrome pour rejoindre lorsqu’un Vickers ‘Victoria’ et quelques avions de moindre envergure atterrissent à Sherpur à 9 h 30, et embarquent les exfiltrés moteurs tournants[6].

En préparant sa mission sur la base de Risalpur, Maxwell avait estimé qu’il pouvait confortablement emporter 10 passagers. Finalement, ce sont vingt-trois rescapés qui montent à bord de son appareil, difficilement il est vrai, car tout le monde porte au moins trois manteaux pour contrer un froid rigoureux. Le ‘Victoria’ quitte le sol à 9 h 45, suivi de près par les biplans monomoteurs. L’avion grimpe haut dans un air turbulent pour voler entre les montagnes et, bien que le voyage ne soit censé durer que deux heures, les passagers sont enveloppés dans de lourds manteaux et des couvertures. Non seulement le fuselage du ‘Victoria’ n’est ni chauffé, ni pressurisé, mais il faut se préparer à un éventuel crash dans la passe Khyber. Pour certains, il s’agit d’un baptême de l’air particulièrement mouvementé. L’équipage passe des seaux en toile, les vidant régulièrement sur le côté…

Tous les désagréments s’estompent lorsque, deux heures plus tard, l’appareil se pose enfin à Risalpur.

Cependant, le Sergeant (Sgt) Peters, du Royal Corps of Signals, avait été laissé sur le terrain de Sherpur. Il était venu à bord de l’un des HD.9A avec un puissant poste de radio à ondes courtes qui, une fois installé dans la légation, améliore grandement la liaison avec Peshawar. Il est utilisé pour organiser un autre vol d’évacuation le lendemain.

Après la première mission d’un Victoria revenant de Kaboul, on se rend compte que les Britanniques sont seuls capables d’évacuer tous les citoyens étrangers de la capitale afghane.

Le lundi 24 décembre, la deuxième mission d’évacuation est lancée avec un Victoria, un Wapiti et pas moins de onze DH.9A. Les avions évacuent 16 femmes et enfants allemands, 10 Français, un Suisse et un Roumain.

Le même jour, deux autres Victoria arrivent d’Irak.

Aucun vol n’a lieu le jour de Noël. Curieusement, les combats ont pratiquement cessé, car Bacha-e-Saqâo, qui a été blessé à l’épaule, est parti se faire soigner. En même temps, ses combattants ont été regroupés pour attaquer la ville dans une zone différente.

Le mercredi 26 décembre, un Victoria revient à Kaboul avec quatre DH.9A pour évacuer 23 femmes et enfants. Une Allemande est grièvement blessée par l’hélice d’un DH 9A et voit son évacuation retardée.

Le jeudi 27décembre, le Handley Page Hinaidi de 10 sièges arrive en Inde britannique et, le samedi 29 décembre, effectue sa première mission d’évacuation. Un deuxième Victoria se joint aux vols d’évacuation le lendemain.

Les jeudi 27 et vendredi 28 décembre, de sévères chutes de neige interdisent toute activité aérienne.

Le samedi 29 décembre, Sir Francis réquisitionne des combattants des deux parties pour déneiger la piste. Le ‘Victoria’ alors embarque 23 passagers puis est rejoint par le ‘Hinaidi’. Trente et un Italiens, Indiens, Allemands, Turcs et Syriens sont évacués par le ‘Hinaidi’ et les HD.9A. Cependant, des limites de poids sont imposées pou les bagages : 20 livres par adulte, 15 livres par enfant.

Le dimanche 30 décembre 1928, deux ‘Victoria’ évacuent 22 femmes et enfants.

Le mardi 1er janvier 1929, profitant d’une accalmie dans les combats, un ‘Victoria’ délivre du courrier et évacue une Allemande et cinq femmes turques, tandis qu’une fois réparé, le DH.9A de Trusk est rapatrié en Inde. Pendant cette période de répit, la RAF effectue l’indispensable maintenance de ses aéronefs de transport.

À cette date, toutes les femmes et les enfants étrangers (soit 132 personnes en tout) ont été évacués de Kaboul.

Tout en procédant à l’évacuation des femmes et des enfants des différents légations, les ‘Victoria’ poursuivent leur service postal et de ravitaillement. Les combats s’intensifiant, il devient évident que même le personnel masculin des représentations diplomatiques et des entreprises civiles doit être, lui aussi, évacué.

PHASE 3 / ÉVACUATION DE LA FAMILLE ROYALE

C’est pourquoi, au matin du lundi 14 janvier, un convoi composé de sept voitures quitte le palais royal et fonce en direction de Kandahar, la ville natale du roi Amanullah, qui vient d’abdiquer.

Amanullah a désigné son frère Inayatullah comme successeur alors que Bacha-e-Saqâo se proclame, incidemment, émir sous le nom d’Habibullah Khan. Le nouveau roi décide d’envoyer un émissaire à Bacha-e-Saqâo afin de lui proposer des discussions de paix, qui se déroulent finalement aux abords de la légation britannique, littéralement sous les yeux de Sir Francis, ce que décrit exhaustivement un rapport circonstancié transmis par Donaldson.

Une Ford ‘T’ chargée d’une demi-douzaine de personnes arrive en arborant un drapeau blanc, mais les rebelles accueillent l’aréopage avec un feu nourri, ce qui fait fuir la délégation officielle. Cherchant à encercler la voiture, des rebelles grimpent sur le mur de légation britannique et y pénètrent, ce qui contraint Sir Francis à les chasser. Bien entendu, les rebelles ne comprenne pas l’anglais et c’est, fort heureusement, Bacha-e-Saqâo lui-même, qui surgit sur son cheval blanc. Comprenant approximativement l’anglais, il demande à ses hommes de respecter l’Union Jack et de quitter l’enceinte de la légation.

Le roi Inayatullah est bientôt encerclé dans une forteresse royale inexpugnable avec 5 000 de ses soldats et assez de vivres pour tenir un an. Dehors, 16 000 rebelles occupent la capitale et le terrain d’aviation, tandis que d’innombrables groupes insurgés, indépendants de chacune des deux parties en présence, guettent l’opportunité d’un pillage.

En réponse à un ultimatum, Inayatullah, qui n’a jamais souhaité monter sur le trône, répond qu’il ne se rendra que lorsque lui-même, ses épouses et les membres de son gouvernement restés fidèles quitteront le pays à bord d’un avion britannique. Un accord est rédigé, dans lequel le nouveau roi déclare que, quand il sera assis dans l’avion et quand celui-ci aura décollé, il abdiquera en faveur d’Habibullah Khan. Après la signature, Sir Francis en rend compte à ses supérieurs en Inde.

C’est ainsi que, les vendredi 18 et samedi 19 janvier, deux ‘Victoria’, pilotés par le Sqn Ldr Maxwell et le Flt Lt Ronald Ivelaw-Chapman évacuent « le roi de trois jours » et son entourage pour les mettre en sécurité.

Habibullah Khan occupe le palais royal et pourchasse les ministres et les fonctionnaires du gouvernement d’Amanullah. Après les avoir torturés, il extorque leurs richesses, annule toutes les réformes initiées par l’ex-roi, ferme les écoles dirigées par les Français et les Allemands et recrute des troupes auprès de tribus auxquelles qu’il pense loyales. Les brigands sans foi ni loi sont chassés de la ville et les pillards appréhendés sont abattus en public.

Habibullah pourrait consolider sa position à Kaboul, mais il semble peu probable qu’il soit accepté par le reste du pays. En effet, nombreux sont les rivaux possibles, Amanullah lui-même pouvant revenir sur son abdication. Tout le monde s’attend à une généralisation du conflit au moment de la fonte des neiges.

Logiquement, les responsables des légations étrangères estiment qu’il serait raisonnable d’évacuer les femmes et les enfants jusqu’à ce qu’un semblant de stabilité soit rétabli. La passe de Khyber étant toujours fermée, il n’y a qu’une seule issue et un seul homme pour organiser l’évacuation. Cependant, Sir Francis doit se montrer neutre envers le nouveau roi afin que son armée (les ex-troupes rebelles réorganisées contrôlant l’aérodrome) permette aux Victoria’ d’atterrir sans leur tirer dessus.

Cette deuxième phase de l’évacuation vient à peine de commencer que s’installe un doute. En effet, le mardi 29 janvier, un Victoria en route pour Kaboul n’arrive pas à destination. Tard le lendemain, un message parvient à Sir Francis signalant laconiquement que le Victoria se trouve près de Saroli.

À peine passé le col, les deux moteurs du Victoria tombent en panne. Le seul terrain relativement plat de la zone est un petit plateau ne dépassant pas les 60 mètres de long, avec des pentes abruptes sur trois côtés. Le pilote, le Flt Lt Ivelaw-Chapman (qui finira Air Chief-Marshal), descend à la finesse max et amorce délibérément le décrochage à 10 pieds (un peu plus de trois mètres) au-dessus du sol. Le train de roulement s’enfonce dans le sol et le Victoria stoppe net sa course, sans glisser. En un rien de temps, l’équipage est encerclés par une foule lourdement armée. Heureusement, survient un personnage vêtu d’un long manteau militaire, un brigadier qui comprend l’ourdou limité de Chapman. Malgré l’étiquette signalant leur groupe sanguin, leurs uniformes bleus de type russe les rendent suspects. Avant de quitter l’épave, Chapman vérifie les moteurs et constate que les filtres à carburant sont obstrués par de la glace, cause de la panne moteur.

Les deux aviateurs vivent alors une aventure extraordinaire lorsqu’ils passent d’un groupe à un autre, apparemment sur le chemin du retour en Inde. Après six jours, Chapman trouve un champ assez long pour y créer une piste d’atterrissage. Un Bristol F.2 y est dépêché et les deux pilotes sont enfin rapatriés en Inde.

Le temps s’est maintenant refroidi et les tempêtes de neige sont fréquentes. Par conséquent, les ‘Victoria’ doivent être mieux préparés. Par exemple, l’eau contenue dans le carburant utilisé (un mélange de benzol différent de celui utilisé par les DH.9A et les ‘Wapitis’) gèle et les réservoirs doivent être fréquemment purgés. On donne l’ordre de filtrer le carburant deux fois avant de le mettre dans les réservoirs des avions. À la fin d’une journée de vol, les filtres à carburant sont nettoyés et les réservoirs remplis à ras bord. Avant s’envoler pour Kaboul, le ‘Victoria’ effectue un vol d’essai dans lequel le carburant est puisé, à tour de rôle, dans chacun des réservoirs. À l’atterrissage, tous les réservoirs sont remplis et les filtres à carburant nettoyés à nouveau. Tout cela par un temps glacial, de sorte que les équipes au sol apportent une contribution significative au succès de l’opération. De la sorte, il n’y a plus de problème de givrage.

À ce moment-là, le ‘Hinaidi’ rénové rejoint la flotte et s’envole vers Kaboul mais, au milieu de la finale, ne supportant pas la faible température, l’un des moteurs cale. Sir Francis s’en vient à la rescousse avec des toiles, des conduits et des braseros à charbon de bois récupérés dans les magasins de la légation. Malheureusement, ce système de réchauffage ne fonctionne pas très bien et doit être modifié à plusieurs reprises. Il faut attendre le dimanche 3 février 1929 pour que les moteurs puissent démarrer en toute sécurité.

Chaque fois que le temps le permet, trois ‘Victoria’, pilotés par Maxwell, Ivelaw-Chapman et le Fg Off Anness (plus le ‘Hinaidi’, piloté par Anderson) font la navette entre Risalpur et Kaboul. À Kaboul, Sir Francis poursuit une diplomatie délicate et organise l’embarquement des passagers, le nombre de demandes d’évacuation augmentant à mesure que les combats tribaux éclatent de manière sporadique. Trouver des gens pour déblayer une neige parfois haute de 17 pouces (soit 43,18 centimètres) constitue une tâche constante. Pendant ce temps, un autre pilier de l’équipe, Donaldson, assisté du sergent Peters, s’occupe des transmissions.

L’évacuation de Kaboul met involontairement la lumière des projecteurs sur autre aviateur. Bien que celui-ci ne soit pas directement impliqué dans le transport aérien, son histoire mérite d’être racontée. Le Flifht C du Squadron 27 est alors basé à Miranshar, un petit aérodrome isolé situé non loin de Risalpur. Cet aviateur a pour habitude de présenter toutes les correspondances et tous les messages pour signature à son chef avec la réponse déjà rédigée à la machine à écrire. Il apprécie cette nouvelle vie et passe son temps libre à traduire des textes en grec ancien pour un contact à l’Université d’Oxford. Il s’agit de l’aviateur Shaw, pseudonyme du Colonel Thomas Edward Lawrence

En Grande-Bretagne, la situation en Afghanistan est toujours suivie de près par le gouvernement, le Parlement et la presse. Incidemment, un quotidien dévoile l’initiative de Shaw/Lawrence et publie un article affirmant qu’il se serait ferait passer pour un saint homme du nom de Pir Karam Shah afin d’infiltrer la rébellion afghane, ce qui embarrasse Sir Francis. C’est pourquoi Sir Hugh Trenchard prend la décision de ramener Lawrence en Angleterre, au grand dam de l’opinion publique.

PHASE 4 / ÉVACUATION DES AUTRES RESSORTISSANTS

Vers la mi-février, sept ‘Victoria’ et ‘Hinaidi’ opèrent toujours depuis Risalpur mais Kaboul est recouverte d’ épais manteau de neige. Des éléphants et des dromadaires sont réquisitionnés pour nettoyer la piste et, le dimanche 24 février, quatre ‘Victoria’ débarquent les derniers membres des légations française, allemande et italienne. Les seuls étrangers restant à Kaboul sont des membres de la légation britannique.

Le lundi 25 février à 19 h 45, sept ‘Victorias’ et le Handley Page ‘Hinadai’ décollent de Risalpur et disparaissent dans les montagnes, à l’ouest de la piste. Ils évoluent entre les pics enneigés surplombant la passe de Khyber et survolent l’Afghanistan avant de descendre sur Kaboul et de se poser sur un aérodrome encore sûr.

Moteur tournant, ils sont rejoints par les membres de la légation britannique, le dernier arrivant étant Sir Francis, qui était retourné à la légation pour récupérer l’Union Jack flottant sur le bâtiment pendant le siège. Enfin, l’appareil peut décoller, destination Peshawar[8].

AU BILAN

Les huit avions de transport rejoignent Risalpur sains et saufs. Au total, 586 personnes auront été évacuées en deux mois et en 84 sorties[3] : 268 hommes, 153 femmes et 165 enfants, au nombre desquels 23 Britanniques, 344 Britanniques Indiens, 58 Turcs, 58 Allemands et un nombre réduit d’Afghans, de Français, d’Italiens de Syriens, un Australien, un Américain, un Suisse et un Roumain.

En incluant la distance parcourue par les huit ‘Victoria’ et un ‘Hinaidi’ venu d’Irak, 57 438 milles auront été parcourus. Le mardi 26 février, les avions et leurs équipages défilent à Risalpur avant d’être envoyés à Dehli pour une autre cérémonie, organisée le lendemain. Après avoir couvert les 600 miles (soit 965 km) vers la capitale de l’Inde britannique, ils reçoivent un nouvel accueil enthousiaste avant de retourner à leurs missions de routine en Irak.

De nombreuses aviateurs ont excellé lors de l’évacuation. Les pilotes du Squadron 70 – ainsi que les pilotes de la RAF en Inde avec leurs DH.9A, Wapitis et Hinaidi – ont surmonté l’hiver afghan et la passe de Khyber pour évacuer 586 personnes, sans aucune perte humaine. Deux avions ont été perdus : un Victoria, privé de carburant, et un DH.9A abattu au-dessus de Kaboul au début du siège, ensuite réparé et évacué. Les opérateurs sans fil britanniques de la légation britannique constituent, pour la plupart, le seul lien avec le monde extérieur et assuraient que des gens comme le Vice Air Marshall Sir Geoffrey Salmond, savaient exactement quoi envoyer à Kaboul. Alors que l’hostilité des armées rebelles et afghanes a forcé les citoyens étrangers à évacuer, l’hospitalité du peuple de Kaboul a été essentielle pour garder l’aérodrome ouvert pendant l’évacuation. Mais certaines des plus grandes réalisations sont venues des techniciens – mécaniciens, avitailleurs et autres corps de métier nécessaires pour maintenir l’avion en vol.

L’essentiel de l’expérience du Squadron 70 avec les Victoria avait été acquise dans la chaleur d’un désert du Moyen-Orient, où les équipages coupaient immédiatement leurs moteurs à l’atterrissage qui, sinon, risquaient la surchauffe. Bien au contraire, pendant le pont aérien de Kaboul, les appareils ont été confrontés à des conditions de givrage, à la contamination du carburant et à des performances de moteur dégradées dans un nouvel environnement opérationnel. D’innombrables réparations ont été effectuées pendant les nuits de cet hiver glacial, y compris de nombreux changements de moteur en plein air, car les Victoria et les Hinaidi étaient beaucoup trop grands pour les hangars locaux. Les performances et le succès de ces avions témoignent du travail acharné de ces techniciens.

AMBIANCE

Fin février 1929, nombreuses sont les personnes ayant un motif de satisfaction au sortir de cette première opération militaire aérienne spéciale couronnée de succès.

Outre les personnes évacuées, il y a bien entendu les équipages confrontés à des conditions de vol exceptionnellement éprouvantes, mais aussi l’ensemble du personnel au sol (planificateurs de l’opération, personnel de maintenance, personnel chargé des approvisionnements…).

La personne la plus ravie de ce succès (qui plus est à moindre frais) est sans conteste l’Air Marshall Hugh Trenchard, le commandant de la RAF. En effet, il s’était tant battu pour imposer la création d’une armée de l’air autonome et avait essuyé tant de critiques que la gratitude exprimée par plusieurs grandes Nations vient à point nommé pour développer ses forces de manière encore plus opérationnelle.

RÉCOMPENSES

Après une ‘première’ particulièrement réussie, le gouvernement britannique ne peut que montrer sa gratitude envers les principaux artisans de ce succès éclatant, tant au plan national qu’international.

Ainsi, le Squadron leader Reginald Maxwell, les Lieutenants D. F. Anderson et Ronald Ivelaw-Chapman, et les Flying officers L. H. Anness et Claude Trusk se voient décerner l’Air Force Cross[9] tandis que le LAC G. George Donaldson reçoit l’Air Force Medal[9].

À l’été, sir Francis et son épouse s’agenouillent côte à côte devant le roi George V. Sir Francis devient Chevalier dans l’Ordre de Saint-Michel et Saint-Georges (Knight Commander of the Most Distinguished Order of St Michael and St George [KCMG]) tandis que Lady Humphrys est promue Dame of the British Empire.

ÉPILOGUE

Compte tenu des performances limitées des aéronefs de l’époque, de plus évoluant au milieu d’une guerre civile, d’un froid glacial et d’un relief montagneux, on ne peut que saluer la prouesse réalisée par les organisateurs et les artisans de cette opération hors norme[12]. Il ne faut pas oublier que nous sommes encore dans le premier tiers du XXe siècle et que la technologie aéronautique, si elle évolue très vite, est encore assez rudimentaire.

Ce qui frappe, également, c’est l’ampleur de cette opération militaire qui, avec 84 sorties, sans compter le convoyage des avions depuis l’Irak, représente un coût financier que personne n’aura osé mettre en avant. En effet, l’obsession des autorités britanniques, en Inde comme en Angleterre, c’est de ne pas renouveler la déconvenue de la colonne Elphinstone et de ne pas subir, au-delà des pertes humaines, une nouvelle humiliation face à des insurgés en guenilles et mal chaussés. D’où la débauche de moyens aériens consentie pour éviter les embuscades sur la route de Jalalabad et dans la passe de Khyber.

Revenons aux aspects techniques d’une opération lancée dans la rigueur de l’hiver afghan. Premier enseignement de cette épreuve, physique celui-ci, c’est que même si les pilotes et leurs équipages sont de rudes gaillards, le maintien des cockpits ouverts, héritage de l’âge des pionniers (pensons à la Française Adrienne Bolland franchissant les Andes le 1er avril 1921), ne peut plus se justifier dans le cadre de vols à longue distance s’effectuant en altitude et dans des conditions météorologiques éprouvantes. En outre, s’agissant de l’évacuation de civils, dont nombre de femmes et d’enfants, un minimum de confort s’impose, ce qui ne pourrait être préjudiciable à des militaires engagés dans une opération aéroportée à longue distance.

Enfin, n’oublions pas que nous sommes encore à l’heure des découvreurs et qu’il reste bon nombre de zones blanches sur les cartes du village-monde. L’Empire britannique entendant maintenant s’imposer dans les airs comme sur mer, c’est en avril 1933 que la Houston Everest Expedition entreprend de survoler le troisième pôle, c’est-à-dire le plus haut sommet du monde, les membres d’équipage disposant, sur leurs Houston-Wallace, d’un cockpit et d’une cabine fermés et pressurisées, ainsi que d’appareils respiratoires permettant de survivre à des altitudes record. Des savoir-faire qui s’avéreront particulièrement utiles dans le cadre des bombardements opérés pendant la Seconde guerre mondiale

Éléments recueillis par Bernard Amrhein

 

 

SOURCES

  • Kabul airlift of 1928-1929’

Wikipedia

https://en.wikipedia.org/wiki/Kabul_airlift_of_1928%E2%80%931929

  • ‘Airlift from Kabul’

https://www.a-e-g.org.uk/airlift-from-kabul.html

  • ‘66 days Kabul’

https://eamonh.wordpress.com/2013/04/14/64-days-in-kabul/

  • René Drouillet (1898 – 1974), ‘le pilote à l’as de trèfle’

https://www.crezan.net/pag_aby/abyssinia_pil_drouillet.html

  • Afghan Civil War (1928–1929)

https://en.m.wikipedia.org/wiki/Afghan_Civil_War_(1928%E2%80%931929)

  • Red Army intervention in Afghanistan (1929)

https://en.m.wikipedia.org/wiki/Red_Army_intervention_in_Afghanistan_(1929) 

VOIR ÉGALEMENT

FILM

  • ‘Carry On Up the Khyber’ (1968)

https://www.youtube.com/watch?v=MMGYfQlpGj0&ab_channel=ShaneBarnes

RÉFÉRENCES

[1] Baker, Anne; Ivelaw-Chapman, Sir Ronald (1975). Wings Over Kabul: The First Airlift. London: William Kimber & Co. Limited. p. 15. ISBN 0-7183-0184-6.

[2] Salmond, Sir Geoffrey (1929). Report on the Air Operations in Afghanistan Between December 12th, 1928, and February 25th, 1929. p. 11.

[3] Jefford, Jeff (2000). « The bomber transport and the Baghdad air mail » (PDF). Royal Air Force Historical Society. Oxford: Professional Book Supplies Ltd: 26. ISSN 1361-4231.

[4] Philpott, Ian M. (2005). The Royal Air Force: The Trenchard Years, 1918–1929. Vol. I. Barnsley, South Yorkshire: Pen and Sword Aviation. pp. 145–147. ISBN 1-84415-154-9.

[5] Baker, Kevin James (2011). War in Afghanistan. Rosenberg. p. 154. ISBN 978-1-921719-12-7.

[6] Roe, Andrew (2012). « Evacuation by Air: The All-But-Forgotten Kabul Airlift of 1928-29″. Air Power Review. Air University Press. 15 (1): 21–38. ISSN 1463-6298.

[7] Napier, Michael (2018). « 2. Policing the empire 1923-1938 ». The Royal Air Force: A Centenary of Operations. Bloomsbury Publishing. p. 54. ISBN 978-1-4728-2539-1.

[8] Baker, Anne (2003). « 7. By Imperial Airways to India 1926:Crisis in Kabul; rescue over the mountains ». From Biplane to Spitfire: the life of Air Chief Marshal Sir Geoffrey Salmond KCB KCMG DSO. Barnsley, South Yorkshire: Lee Cooper. pp. 196–215. ISBN 0-85052-980-8.

[10] Hildred, William (February 1976). « Wings over Kabul — The First Airlift. Anne Baker and Air Chief Marshal Sir Ronald Ivelaw-Chapman ». The Aeronautical Journal. 80 (782): 86. doi:10.1017/S0001924000033571. ISSN 0001-9240. S2CID 115800604.

[11] « AFGHANISTAN (KABUL EVACUATIONS). (Hansard, 6 March 1929) ». api.parliament.uk. Retrieved 17 August 2021.

[12] Farmer, Ben (25 February 2009). « Afghanistan: 80 years since the British evacuation of Kabul ». The Telegraph. Archived from the original on 18 February 2010. Retrieved 16 August 2021.

AUTRES LECTURES

LIENS EXTERNES

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