15 NOVEMBRE 1957 – Un bombardier B-29 américain s’écrase sur un glacier en Alaska


Ce mois de novembre est l’occasion de se souvenir de nombreux accidents de bombardiers alliés en montagne. Pendant la guerre froide, nombreux sont les appareils à s’écraser du fait de mauvaises conditions météorologiques, en Europe comme ailleurs. Aujourd’hui, Pilote de montagne (PDM) reprend un article de Frank Baker paru dans le Mountain Echoes, un journal paraissant en Alaska, le 17 août 2017. Le rédacteur nous conte, avec force détails, l’accident dont a été victime l’équipage d’un bombardier Boeing B-29 de retour de mission dans le Nord…

L’ARTICLE

Le vendredi 15 novembre 1957, vers 18 h20, un bombardier B-39 appartenant à la Elmendorf Air Force Base et emportant un équipage de 10 membres retourne à son point de départ après une mission de calibrage-radar dans le Nord.

Entretemps, la météorologie s’est détérioré et Le plafond descend en-dessous de 5 000 ft (soit 1 523,9 mètres) alors qu’ils font route vers le Sud en passant à la verticale de Talkeetna. Un message radio de routine de l’avion rend compte qu’il n’y a rien à signaler. L’avion doit arriver à Elmendorf vers 19 h 00.

Alors âgé de 34 ans, le sergent-chef (Staff Sergeant) Calvin Campbell est affecté au poste d’observation de droite, à mi-chemin environ dans l’avion, juste à l’arrière des moteurs. L’une de ses tâches consiste à surveiller les deux moteurs du côté droit. Le sergent-chef Robert McMurray a des fonctions analogues du côté gauche. Le lieutenant (1est Lieutenant) William J. Schreffler occupe le siège du pilote.

Le Captain (capitaine) Erwin Stolfich occupe le siège du co-pilote. Le commandant de bord est l’officier le plus gradé, le commandant (Major) Robert A. Butler, alors âgé de 41 ans. Les autres officiers à bord sont le Captain Edward Valiant, le Captain Oliver Johnson et le Captain Richard Seaman.

Dans une interview téléphonique réalisée en l’an 2000 ; Campbell, alors âgé de 77 ans et vivant alors en Californie, décrit ce qui s’est passé par la suite :

« Nous descendions vers Elmendorf à pleine vitesse lorsque nous avons percuté le sol sans alerte préalable. Tout devint noir… Je veux dire vraiment noir. Ensuite, nous avons percuté une nouvelle fois le sol et j’ai ressenti le froid. J’ai ressenti comme si les ailes se tordaient et lorsque je me suis extirpé de la carlingue, j’ai constaté que le fuselage était cassé en deux. Nous reposions sur un champ de neige – je ne savais pas, à ce moment-là, que c’était un glacier. Tout était si calme. Le sergent-chef Bob McMurray se trouvait juste en-dessous de moi, coincé entre le fuselage et le poste d’observation. Je l’ai sorti de là. Le lieutenant-navigateur Claire Johnson s’était traînée hors de l’avion et s’était effondrée dans la neige à proximité. Je les ai enveloppés dans des parachutes et ai mis Johnson dans un sac de couchage que j’ai trouvé dans la soute.

Je pouvais entendre le sergent Samuel Garza, le mécanicien de bord, crier de plus en plus fort sur la pente. Il se trouvait toujours à l’intérieur de la section du nez de l’avion. Le nez s’était cisaillé et s’est retrouvé en haut de la colline, environ 500 pieds (150 m) plus haut.

Lorsque je me suis approché de Garza, j’ai vite compris qu’il était le seul autre survivant — nous n’étions que quatre. Le pilote, le copilote et trois autres officiers avaient péri instantanément. Je crois que le sixième officier, le commandant Butler, a survécu à l’écrasement, mais qu’il est mort plus tard cette nuit-là.

Garza pesait environ 140 livres (soit 63,5 kg)… c’était difficile de le sortir. Je l’ai placé sur un morceau de toile et je l’ai traîné jusqu’aux autres. Il avait un bras cassé et une jambe cassée. Je suis retourné à la soute et j’ai pris plus de sacs de couchage, puis je nous ai sortis de l’épave — il faisait très froid, mais j’avais des vêtements de vol supplémentaires pour nous aider à nous couvrir. »

D’après le rapport d’accident de l’U.S. Air Force, l’avion s’est disloqué au moment de l’impact, mais il n’y a eu ni incendie ni explosion, un facteur clé de la survie des quatre aviateurs.

Une autre survivant, la lieutenant Claire Johnson, donne les détails suivants : « J’étais de retour avec Campbell et McMurray pour prendre un café », déclare Madame Johnson. « Quand nous l’avons heurté le sol, cela m’a fait rebondir autour du filet à cargaison. Je volais partout. »

Johnson affirme que les actions rapides de Calvin Campbell l’ont sauvée, elle et ses compagnons d’équipage.

« Il virevoltait dans le noir pour prendre soin de nous comme une mère poule », se souvient Johnson. « Il nous a enveloppés, nous a protégés du vent. Nous lui devons la vie. »

Pendant ce temps, les secours s’organisent. Une équipe de sauvetage est réunie à Elmendorf dès que le B-29 disparaît du radar, mais les conditions météorologiques contrecarrent cet effort initial.

Au lever du jour, le lendemain matin, une recherche se concentre sur la dernière position connue du B-29. À 9 h 30, on localise le lieu du crash — sur une large pente glaciaire à 5 600 ft (1706,8 m d’altitude) — à environ un mille au nord-est du lac Reed supérieur.

Aux commandes d’un hydravion Grumman SA-16 Albatross, le lieutenant Jack A. Wolf est le premier à repérer l’épave. Le Capitain Melvin Swendels et le 1st Lieutenant Thomas Seebo pilotent les hélicoptères Piasecki SH-21 du 10e Groupe de sauvetage aérien qui portent secours aux survivants.

Grâce aux actions décisives de Campbell, les blessés ont survécu à la nuit. Ils sont acheminés à l’hôpital d’Elmendorf.

« Je pense que nous avons dévié d’environ 17 degrés de notre trajectoire », se souvient Campbell. « Trop à l’est, ce qui nous a engouffré dans ces hautes montagnes. »

Plus tard, les données radar indiquent que l’avion se trouvait à environ 27 milles à l’est de la trajectoire prévue vers Elmendorf. Un rapport indique que l’avion avait dévié de sa trajectoire en raison d’une combinaison de facteurs, y compris la détérioration des conditions météorologiques et la possibilité d’une erreur humaine de la part du pilote.

Campbell dit qu’à part une égratignure sur l’œil, il était indemne. Cependant, plus tard, il souffre de complications pour ses pieds gelés et perd l’usage de plusieurs orteils.

Peu de temps après l’accident, Calvin K. Campbell reçoit une distinction spéciale du président Dwight D. Eisenhower, la Médaille du soldat (Soldier’s Medal), une décoration pour bravoure en situation de non-combat. Il prend sa retraite de l’U.S. Air Force en 1968.

« Je ne me considérais pas comme un héros ou quoi que ce soit d’autre », déclare Campbell. « J’ai simplement fait ce que j’avais à faire. Les autres gars auraient fait la même chose pour moi. »

Aujourd’hui, le bombardier brisé repose toujours sur le glacier, comme un mémorial apaisé dédié aux six hommes qui sont morts là il y a un demi-siècle.

J’y ai effectué de la randonnée avec des amis à plusieurs reprises au fil des ans, en empruntant le sentier du lac Reed supérieur, puis en passant par le col. L’épave semblait surréaliste, comme déplacée. Voilà 50 tonnes de métal déchiré et tordu, avec des ailes s’étendant sur environ la moitié de la longueur d’un terrain de football. La fierté de l’armée de l’air des États-Unis d’Amérique pendant la seconde guerre mondiale se trouvait maintenant en vrac sur un glacier, pliée et repliée, déchirée, éparpillée, exposée aux caprices de la nature.

Nous nous sommes promenés sur le site pendant un certain temps, nous avons pris quelques photos, craignant de toucher quoi que ce soit. Six hommes étaient morts ici. Tout était surnaturellement calme, comme Calvin Campbell l’avait décrit. Une rafale de vent frais remontait vers le haut de la vallée. J’ai senti qu’elle nous incitait à passer à autre chose. Lors d’une autre randonnée, nous avons trouvé des morceaux de l’épave éparpillés au loin, le long du glacier, et faisant maintenant corps avec un océan de glace en constante évolution.

Après cette première visite, je me suis engagé à en savoir plus sur l’accident et, grâce à une recherche sur Internet, j’ai finalement localisé Calvin K. Campbell qui, bien que santé précaire, était plus que disposé à parler de cette expérience.

Six membres d’équipage ont péri dans le crash :

  • Major Robert A. Butler.
  • Captain Richard O. Seaman.
  • Captain Erwin Stolfich.
  • Captain Edward A. Valiant.
  • 1st Lieutenant William J. Schreffler.
  • Airman Basic James R. Roberson.

Le Staff Sergeant Calvin K. Campbell a sauvé la vie des trois autres survivants :

  • Staff Sergeant Robert J. McMurray.
  • Technical Sergeant Manuel Garza.
  • 1st Lieutenant Claire W. Johnson.

Un projet du service des scouts, initié par Tyler Adams en 2005 et soutenu par les autres membres de la Troop 25 ainsi que plusieurs compagnies, par le Représentant Don Young et les parcs de l’État de l’Alaska, a abouti à la fabrication de deux plaques commémoratives en 2006. L’une de ces plaques a été apposée au Alaska Veterans Memorial, au Mille 147,2 de la route des Parcs. L’autre a été apposée 70 miles plus au sud, dans les montagnes de Talkeetna, sur le site de l’accident.

Le site de l’accident est accessible, à partir du Reed Lakes Trail, par la route du Hatcher Pass. Le sentier mesure neuf milles (une vingtaine de kilomètres) aller-retour et il faut six à huit heures pour parcourir le trajet. Le mauvais temps est le problème le plus récurrent sur ce sentier peu difficile. La période de juillet à septembre est la saison de randonnée la plus populaire. La montée de l’Upper Reed Lake à ce qu’on appelle maintenant officieusement le ʺglacier Bomberʺ est beaucoup plus difficile et ne convient certainement pas à des personnes inexpérimentées en randonnée raide en tout terrain.

Frank E. Baker est un écrivain indépendant vivant à Eagle River (Anchorage) avec son épouse Rebekah, une enseignante à la retraite de Birchwood ABC Elementary School. Pour joindre Frank, envoyez un courriel à frankebaker@yahoo.com

Article de Frank Baker paru dans le Mountain Echoes le 17 août 2017

Traduit de l’américain par Bernard Amrhein

ÉPILOGUE

Dans cet accident, c’est la thèse de l’erreur humaine qui prédomine. Le pilote, le copilote et le commandant e bord ne se rendent pas compte que l’appareil a dérivé, et c’est l’impact.

Fort heureusement, si l’on peut dire, le bombardier s’écrase sur la partie supérieure d’un glacier, ce qui amoindrit un choc par ailleurs très violent. L’appareil aurait-il évolué quelques mètres plus haut, qu’il aurait certainement percuté les rochers, voire la falaise, qui limite le rebord supérieur du glacier. Dans ces conditions, il semble bien qu’aucun des membres d’équipage n’aurait pu survivre…

Éléments recueillis par Bernard Amrhein


PODCAST

Certaines parties de cet article avaient été rédigées par l’auteur pour réaliser un podcast radio sur son programme antérieur, “Conversations Continued”, sur la station KLEF plusieurs années auparavant.


SOURCE


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