19 mars 1922 – L’Allemand Franz HAILER se pose sur la Zugspitze (2 962 m)


En France, on a du mal à s’intéresser à l’Histoire des autres pays, surtout si ces derniers sont limitrophes… et qu’ils ont été nos ennemis… héréditaires.

Comme nous l’avons déjà souligné sur notre site Internet Pilote de montagne (PDM), l’Histoire de l’aviation de montagne se limite, pour la plupart des personnes s’intéressant à ce domaine très particulier, aux exploits de quelques pionniers, de préférence nationaux… en temps de Paix…

Toujours pour sortir des sentiers battus, intéressons-nous aujourd’hui à un pionnier de l’aviation militaire en montagne et au premier pilote allemand à s’être posé dans les Alpes bavaroises, sur le plus haut sommet d’Allemagne, sans s’être entraîné, au préalable, sur aucun glacier : Franz Hailer…

PASSÉ MILITAIRE

Franz Hailer a un passé militaire dont les traces les plus anciennes remontent à 1907, lorsqu’il est cité comme lieutenant.

L’annexe intitulée « Une carrière militaire bien remplie » (voir à la fin de l’article) liste les postes successivement occupés par cet officier, avant et pendant le premier conflit mondial.

 

La guerre aérienne dans les Alpes

L’officier participe à l’ensemble du premier conflit mondial, dans le cadre duquel il occupe divers postes de commandement et d’instructeur en école (voir annexe). Son expérience éclaire d’un jour nouveau (au moins pour moi) les combat en haute montagne, où s’affrontent Austro-Hongrois et Italiens, mais aussi Allemands (la preuve) et des Français, alliés des Italiens, détachés sur le front de Vénétie.

On découvre donc que le conflit n’y est pas seulement terrestre et alpestre, mais aussi aérien. Si l’on en juge par les rares documents disponibles, les aviateurs allemands opèrent depuis le Sud Tyrol autrichien (voir la photo ci-dessous) pour attaquer les troupes au sol et les infrastructures militaires ennemies.

 

Certes, les machines avec lesquelles les Bavarois arrivent sur place disposent d’une puissance nettement supérieure à celle du moteur de 50 CV du Blériot XI de Jorge Chávez Dartnell. Cependant, les biplans du type Otto LVG se révèlent d’emblée inaptes à l’utilisation des terrains. C’est ainsi qu’on utilise les monoplans ailes hautes du type Pfalz-Parasol A1.

 

Il s’agit d’une construction sous licence d’un modèle français, dont le moteur de 80 CV atteint une vitesse de 135 km/h et propulse les avions à 800 mètres d’altitude en six minutes. À la fin, les avions n’ont besoin que d’une distance de décollage de 100 mètres.

« Nos trois parasols se tenaient déjà devant les tentes », retient Potempa de ses souvenirs de pilote. « Bien sûr, la prairie humide, d’environ 150 mètres de long, avec une bosse surélevée en son centre et entourée de marécages, n’avait rien d’un aérodrome… le décollage et l’atterrissage ont toujours été un tour de passe-passe. »

Les machines bavaroises sont principalement engagées comme avions de reconnaissance. Pour que les appareils atteignent l’altitude nécessaire, le siège arrière de l’observateur doit rester vacant et le pilote doit aussi remplir les missions de ce dernier. Naviguer dans les vallées étroites et contre des vents extrêmes exige, en soi, toute la concentration des pilotes. L’utilisation de jumelles et de blocs-notes s’avère suicidaire. La tentative d’intervenir dans les combats avec des grenades comme, par exemple, contre la gare de Cortina d’Ampezzo, s’avère peu efficace.

 

Au bilan, les pertes en homme et en matériel sont disproportionnées par rapport au résultat et le chef de la division aéronautique, l’Oberleutnant (lieutenant) Franz Hailer, en informe ses supérieurs :

« Après cinq années d’activités aériennes ininterrompues … je ne suis plus en mesure d’effectuer des vols efficaces d’une durée de plusieurs heures… Ce n’est pas la maladie des nerfs brisés par la guerre qui me contraint à me confesser, mais l’heure arrive, pour chaque aviateur de dire : ʺJe n’en peux plus…ʺ »

Franz Hailer

Chef de la Section 9b

On peut donc dire que les pilotes militaires allemands peuvent être, eux aussi, considérés comme des pionniers de l’aviation de montagne.

Fin de guerre

Après le Sud-Tyrol, les aviateurs bavarois sont affectés sur le front des Vosges, dans une Alsace encore allemande.

En juin 1918, Hailer reprend une fonction à l’École militaire d’aviation et, à partir du 1er janvier 1920, commande l’Escadrille d’aviation de la police n° 1.

Certainement une opération commode pour soustraire un certain nombre de moyens aériens aux contraintes rigoureuses imposées par le Traité de Versailles

L’EXPLOIT

En ce dimanche 29 mars 1922, le capitaine d’aviation de la police scrute, sans grand espoir, le ciel au-dessus du village d’Oberschleißheim, en Bavière. Pourtant, la journée avait débuté sous un soleil radieux, promesse d’une météo aéronautique parfaite.

Au sol, il règne une certaine excitation car Hailer et ses deux compagnons veulent enfin réaliser un projet initié depuis plus de dix ans. Le décollage a déjà dû être reporté à deux reprises les jours précédents, aussi bien en raison du mauvais temps que de problèmes techniques. Ce dimanche-là, son avion est prêt à décoller. La météo ne semble pas s’améliorer, car le vent soufflant du Nord-Ouest est assez fort. L’essai doit-il être reporté ?

Malgré les incertitudes météorologiques, Franz Hailer décide de décoller et à 8 h 30. L’avion est très chargé car il emporte trois hommes. En effet, Hailer est accompagné de l’aviateur Theo Rockefeller, ingénieur chez le constructeur aéronautique Rumpler, et du photographe aéronautique Willi Ruge.

 

Son avion est un Rumpler-C.-I, un biplan/biplace de reconnaissance mis en service en 1915, doté d’un moteur Mercedes D.III six cylindres en ligne refroidi par liquide développant 160 CV, d’une vitesse maximale de 152 km/h et d’un plafond de 5 030 m. Pour atterrir sur la neige, l’appareil est équipé de patins.

La Zugspitze, le plus haut sommet d’Allemagne (2 962 m d’altitude), marque la frontière entre la Bavière et le Tyrol autrichien. Le terrain aux alentours du sommet étant très accidenté, il est décidé d’atterrir environ 50 mètres en contrebas, sur la partie supérieure d’un petit glacier appelé le Schneeferner.

 

Cependant, alors qu’elle est bien engagée, cette première tentative d’atterrissage dans les Alpes bavaroises tourne mal. Le glacier est légèrement en pente et l’hélice se brise sur la glace et la neige. La seule solution pour récupérer l’appareil est de le démonter et de le transporter en pièces détachées jusque dans la vallée.

 

 

LES TENTATIVES ULTÉRIEURES

Ernst Udet aux premières loges (comme toujours)…

Le mercredi 27 avril 1927, l’As allemand de la première guerre mondiale Ernst Udet décolle depuis le Schneeferner avec un planeur et atteint, après 25 minutes de vol, le village de Lermoos. L’appareil avait été acheminé en pièces détachées par téléphérique. C’est donc le scénario inverse de celui du mercredi 19 mars 1922 que l’on joue.

Sans que nous puissions corroborer cette information à ce stade, Ernst Udet (toujours et encore lui), réussit à atterrir dans la partie supérieure du Schneeferner le vendredi 23 février 1923 avec un avion chaussé de skis. C’est du moins ce que suggère une photographie disponible sur le site de la Staatsbliliothek (bibiliothèque de l’État) de Bavière, Bavaríkon :

 

 Développement touristique de la Zugspitze

Pendant l’hiver 1931/1932, un bureau de la Reichspost est établi au sommet de la Zugspitze. Celui-ci existe encore de nos jours au sein du restaurant Sonnalpin 2600’, à l’adresse 82475 Zugspitze. Quatre ans après l’envol du planeur en question, c’est un ballon qui décolle de ce sommet.

COMMÉMORATION

En 1958, la presse et, en particulier, la société d’actualités cinématographiques ‘British Pathe’, relatent l’hommage rendu au capitaine Hailer sur les lieux mêmes de son exploit, trente-six ans plus tôt.

https://www.britishpathe.com/video/alpine-plane-landing/query/Zugspitze

Ce reportage est également visible dans les actualités cinématographiques UFA-Wochenschau 88/1958 du 2 avril 1958.

https://www.filmothek.bundesarchiv.de/video/584278?q=&xf%5B0%5D=all_personsinfilm&xo%5B0%5D=EQUALS&xv%5B0%5D=Hailer%2C+Franz

ÉPILOGUE

La tentative de Franz Hailer de se poser sur le plus haut sommet d’Allemagne peut être considérée comme une victoire… à la Pyrrhus. En effet, s’il s’écrase (bien plus qu’il ne se pose) sur le Schneeferner, il ne peut pas en redécoller, et l’appareil doit être démonté pour être redescendu, en plusieurs fardeaux, dans la vallée. Comment analyser cet échec relatif ?

Les rares sources disponibles ne parlent, à aucun moment, de skis ou de roues. Cependant, décollant depuis un village situé en plaine, il semble logique que l’appareil ait décollé sur roues. Pour rappel, René Grandjean a bien évolué sur le lac gelé de Davos (Canton des Grisons/Suisse) en 1952, mais les skis rétractables n’ont été inventés, par le Suisse Hermann Geiger, qu’en 1952. L’atterrissage s’effectue donc (très probablement) sur roues et sur skis, comme le suggère l’analyse de l’encart d’accueil. En effet, on y distingue bien une sorte de latte au niveau de la roue droite, a priori équilibrée par des câbles tenseurs. Cependant, avec un avion très chargé (trois personnes à bord), se posant, en outre, sur un terrain en pente, il n’est pas étonnant que celui-ci se soit « planté ».

Cela n’empêchera pas que Hailer ait pu être célébré, un temps, en héros, bavarois et, dans une moindre mesure, allemand, avant qu’Ernst Udet, personnage bien plus médiatique, ne lui souffle la vedette… En effet, l’aviateur tombe dans un certain anonymat et il n’est pas possible de retracer son parcours personnel et professionnel, particulièrement sous le Troisième Reich, jusqu’à la commémoration de son « exploit » de début 1958. C’est sur cette éclipse que nous tenterons de nous concentrer dans les prochaines semaines et dans les prochains mois…

Éléments recueillis par Bernard Amrhein


SOURCE


ANNEXE –UNE CARRIÈRE MILITAIRE BIEN REMPLIE

Bien qu’il ne semble pas s’être illustré comme un As de l’aviation militaire allemande, Franz Hailer a commandé plusieurs unités.

  • 8 mai 1907 : Leutnant (sous-lieutenant).
  • 1er juillet 1911 : Flugzeugführer-Schule (École des commandants de bord) de Döberitz.
  • 1er avril 1914 : Militär-Flieger-Schule (École militaire d’aviateurs bavaroise) de Schleißheim.
  • 2 août 1914 : Feldflieger-Abteilung 3b (Section d’aviation de campagne 3b).
  • 9 août 1914 : Oberleutnant (lieutenant).
  • 20 décembre 1914 : Commandand de la Militär-Flieger-Schule (École militaire d’aviateurs) de Schleißheim.
  • 13 avril 1915 : Commandant de la Feldflieger-Abteilung 1b (Section d’aviation de campagne 1b).
  • 26 avril 1915 : Militär-Flieger-Schule (École militaire d’aviateurs bavaroise) de Schleißheim.
  • 4 mai 1915 : Commandant de l’Armee-Flug-Park (Parc d’aviation) de Strantz.
  • 30 mai 1915 : Commandant de la Feldflieger-Abteilung 9b (Section d’aviateurs de campagne 9b).
  • 21 juin 1916 : FEA 1b Schleißheim
  • 19 juillet 1916 : Commandant de la Militär-Flieger-Schule 3 (École militaire d’aviateurs bavaroise 3).
  • 1er août 1916 : FEA Schleißheim – Commandant de la bay. Militär-Flieger-Schule 1 (École militaire d’aviateurs bavaroise 1) de Schleißheim.
  • 27 septembre 1916 : Hauptmann (capitaine).
  • 22 janvier 1917 : Commandant de la Fliegerabteilung (A) 292b (Section d’aviateurs [A]292b).
  • 1er juin 1918 : FEA 1b Schleißheim.
  • 28 juin 1918 : Militär-Flieger-Schule.
  • 31 janvier 1920 : Commandant de la Polizeifliegerstaffel 1 (Escadrille d’aviateurs de la Police 1).
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