30 août 1961 – La feuille d’avis de Neuchâtel relate la tragédie de la Vallée blanche


Le mardi 29 août 1961, un chasseur-bombardier ‘Thunderstreak’ (coup de tonnerre) F-84F de l’armée de l’air française effectue un vol programmé destiné à tester sa capacité à échapper aux radars en zone montagneuse. Décollant d’Annecy-Meythet, l’appareil s’engouffre dans la vallée Blanche et sur le glacier du Géant, dans le massif du Mont Blanc. Soudain, c’est l’horreur. Le pilote aperçoit les câbles et les cabines du Télécabine ʺPanoramicʺ, mais c’est trop tard. Dans sa manœuvre d’évitement, il accroche et arrache le câble porteur, ce qui entraîne la chute de trois cabines et la mort de six passagers. Le lendemain, mercredi 30 août 1961, La ‘Feuille d’avis de Neuchâtel’ (Suisse), publie un article livrant les détails de cette tragédie en haute montagne…

Attention, l’article ci-dessous respecte la typographie originale employée par le journal.

L’ARTICLE

  • Feuille d’avis de Neuchâtel, n° 201 du mercredi 30 août 1961.
  • Nouvelle tragédie dans le massif du Mont-Blanc.
  • Un avion à réaction coupe un câble du télécabine de l’Aiguille du Midi.
  • Premier bilan : six morts et de nombreux blessés.
  • Plusieurs bennes sont tombées dans le vide tandis que 80 personnes restaient suspendues au-dessus de l’abîme.

« CHAMONIX (ATS, AFP et UPI). – Six morts, plusieurs blessés, quatre-vingt-six personnes suspendues dans une situation critique au-dessus des séracs de la Vallée-Blanche, à quelque 3500 mètres d’altitude, tel est, selon les premiers renseignements parvenus à Chamonix, le bilan de l’accident survenu au début de l’après-midi d’hier, non loin de l’Aiguille-du-Midi, au cœur du massif du Mont-blanc.

Il était 13 h 45, le télécabine qui, partant de la station de l’Aiguille du midi, rejoint la pointe Helbronner, l’un des pics délimitant, à 3463 mètres d’altitude, le col du Géant, convoyait vers ce sommet sa cargaison habituelle de touristes et de skieurs. En effet, cette installation, l’une des plus audacieuses du monde, permet d’une part aux touristes d’avoir sur la Vallée-Blanche, la Combe-Maudite et les Aiguilles-du-Diable, une vue incomparable et, d’autre part, au skieur, de pratiquer, au cœur de l’été, son sport favori.

 

LE DRAME

Accrochées à 500 mètres l’une de l’autre, au câble qui relie les deux stations terminales, distantes de près de 5 kilomètres, les petites bennes – qui contiennent quatre places assises – s’élevaient le long de l’Aiguille-du-Midi avant de survoler le chaos glaciaire de la Vallée -Blanche. Tout à coup, ce fut le drame.

Avant même que les passagers des bennes aient pu comprendre ce qui se passait, dans un vacarme étourdissant, un avion de chasse à réaction survenait et heurtait le câble qui soutient les cabines. Une benne s’écrasait contre une paroi rocheuse, d’autres s’abîmaient en contrebas sur le glacier, d’autre enfin, où se trouvaient 80 personnes, s’immobilisaient à plusieurs dizaines de mètres au-dessus des séracs. Six personnes étaient tuées sur le coup, plusieurs autres étaient blessées.

LA DIFFICILE TÂCHE DES SAUVETEURS

Les secours s’organisèrent aussitôt pour gagner les lieux de la catastrophe : deux membres de l’école de haute montagne, groupe de gendarmerie de secours, élèves de l’école nationale de ski et d’alpinisme étaient alertés. De son côté, la base d’hélicoptères du Bourget-du-Lac mettait en route des appareils pour participer aux secours.

La tâche des sauveteurs est difficile. Il s’agit pour eux, d’une part d’atteindre les blessés qui se trouvent dans les cabines.

Mais la situation la plus tragique reste celles des passagers des autres bennes qui se sont miraculeusement arrêtées à différentes altitudes. Ils sont à la merci de la moindre intempérie, car leurs bennes sont simplement accrochées au câble porteur qui, quoiqu’assez solide, peut se rompre sous un coup de vent.

Aucun moyen mécanique ne peut être utilisé pour arriver à proximité des bennes, le câble ne devant supporter que le minimum de secousses.

LE RESPONSABLE : UN AVION A RÉACTION

C’est l’avion ʺF.84ʺ (Thunderstreak), de la base de la quatrième escadrille de chasse de Luxeuil (Haute-Saône) qui a occasionné ce tragique accident. Le pilote, qui a pu regagner sa base sain et sauf, en dépit des avaries subies par l’appareil, avait reçu comme mission de faire des passages à basse altitude et il semble qu’il se soit conformé à son « programme ».

L’agence italienne ʺAnsaʺ donne une autre version de la cause de cet accident. Pour elle, l’avion n’a pas heurté le câble, mais ce sont les vibrations provoquées par son passage qui ont sectionné le câble tracteur dû télécabine.

UNE TRENTAINE DE PERSONNES SAUVÉES DANS LA SOIRÉE

Dès qu’a été connue à Courmayeur, la catastrophe dû télécabine de la Vallée-Blanche, les guides de Courmayeur sont partis aussitôt, sous la conduite de Walter Bonatti en direction de la pointe Helbronner, afin de collaborer aux opérations de secours.

Les équipes de secours qui sont au travail depuis hier après-midi, ont obtenu déjà un magnifique succès en sauvant 33 passagers, dans la soirée.

L’opération, admirablement organisée et coordonnée, comprend deux parties. Dans la première, une équipe s’est employée à dégager les six morts des trois cabines écrasées contre la falaise rocheuse.

Pendant qu’on dégageait les victimes, d’autres sauveteurs, 80 environ, s’activaient auprès des bennes suspendues les plus accessibles. C’est ainsi qu’en lançant des cordes sur les câbles, ils grimpèrent à bord des cabines et là, montrant aux passagers la technique de la descente par onde par corde, ils sauvèrent ainsi peu à peu 33 d’entre eux. Le moral de tous ces rescapés était excellent car on pense à tout dans le secours en haute montagne : des haut-parleurs ont diffusé pendant tout l’après-midi et la soirée des encouragements aux passagers.

Mais cette remarquable performance ne peut être rééditée avec les autres cabines, dont certaines sont suspendues à 220 mètres du sol.

À cet effet, les équipes de secours ont envisagé de les récupérer à l’aide d’un câble tracteur à partir de l’Aiguille-du-Midi. Mais pour ce faire, il a fallu sectionner le câble déjà existant et le tirer au moyen d’un treuil secondaire. Ainsi, on pense qu’aujourd’hui, vers 9 heures du matin, tous les passagers prendront pied à l’Aiguille-du-Midi.

Mais malheureusement ils seront obligés de passer la nuit sans nourriture et sans vêtements chauds.

De toute les façons, les opérations qui avaient démarré avec quelques difficultés sont maintenant en bonne voie, et les 80 sauveteurs travaillent d’arrache-pied. Ils seront relevés ce matin par d’autres équipes.

L’AVION A ÉTÉ SAISI

Le ʺThunderstreakʺ qui accroché le câble du téléphérique de la Vallée -Blanche était pilote par le capitaine Ziegler. Cet officier appartient à la base aérienne de Luxueil-Saint-Sauveur. Il était seul à bord.

Dès l’atterrissage, l’appareil a été saisi sur décision du juge d’instruction de Montbéliard. Une commission rogatoire a été nommée à la sécurité de l’air de la première région aérienne qui vérifiera l’appareil et entendra le pilote. »

ÉPILOGUE

Bien que relativement éloigné de la catastrophe, le journal donne beaucoup de détails, justes, sur le déroulement des faits. En revanche, la thèse des vibrations générées par le passage de l’avion n’a pas tenu longtemps puisque, dès l’atterrissage sur la base de Luxeuil, les autorités militaires, tout comme le pilote, peuvent constater les dégâts occasionnés sur l’appareil.

Au final, cet article met bien en relief le danger que représentent les câbles, de toute nature, tendus au-dessus des vallées ou parcourant les flancs des montagnes.

Au bilan, cet accident aura permis d’expérimenter différentes méthodes de sauvetage des personnes bloquées dans des cabines arrêtées à grande hauteur. Ainsi, le 9 juillet 1966, le même télécabine est le théâtre d’une opération du même type et, chaque année (ou presque) dans les Alpes ou aileurs, des passagers doivent être évacuées grâce à une technique désormais éprouvées.

Éléments recueillis par Bernard Amrhein


SOURCE

  • Feuille d’avis de Neuchâtel, n° 201 du mercredi 30 août 1961.
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