1er juin 1959 – L’Émeraude a disparu…


Au quotidien, Pilote de montagne (PDM) s’intéresse aux accidents aériens survenus en milieu montagneux depuis les débuts de l’aéronautique afin de pouvoir, à terme, en déduire des conclusions pertinentes. Aujourd’hui, nous mettons en ligne, in extenso, un article publié par Sylvaine Romanaz dans Le Dauphiné Libéré (DL) le 9 juin 2019 et traitant de la disparition d’un avion de tourisme le 1er juin 1959…

ARTICLE DU DAUPHINÉ LIBÉRÉ

« Il avait le nom d’une pierre précieuse : l’Émeraude. Mais il ne transportait aucun de ces bijoux, comme quelques années plus tard le Boeing d’Air India victime d’un crash dans le mont Blanc.

Simple petit avion de tourisme, l’Émeraude disparu en 1959 fut donc oublié par l’histoire. Pourtant cette année-là, de juin à août, il tint les Alpes en haleine.

RETOUR 60 ANS EN ARRIÈRE

Le 1er juin [2019], alors qu’à Grenoble est organisé le Ve Rallye aérien de l’aéro-club du Dauphiné, le Dauphiné Libéré consacre bien un de ses articles à l’aviation, mais avec un titre beaucoup moins léger : « Un avion de tourisme Émeraude disparaît dans le massif de l’Oisans« .

Dans cet avion, deux personnes. Le pilote, Henri Guignard, est membre d’un aéro-club de Seine-et-Oise. Arrivé le 30 mai [1959] pour participer au rallye, il a souhaité faire un tour au-dessus du massif de La Meije et a demandé à Yves Thouvard, vice-président de l’aéro-club du Dauphiné, d’être son co-pilote.

Le dimanche 31 mai, vers 11 heures du matin, les deux hommes prennent donc place à bord de l’Émeraude et s’envolent, accompagnés par un autre avion piloté par M. Jeanvoine. Arrivé à La Meije, ce dernier décide de rentrer sur Grenoble. L’Émeraude continue seul sa balade. Il est 11 h 45. Le ciel est bouché en haute altitude mais sous les nuages la visibilité est bonne.

TROIS HEURES DE VOL, ET APRÈS ?

Le dernier témoin du vol des deux petits avions est le gardien du refuge de l’Alpe de Villar-d’Arène. Il voit l’Émeraude continuer son périple, sans difficultés apparemment.

Sauf qu’à 14 h 30, à l’aérodrome de Grenoble, on constate que l’appareil et ses deux occupants ne sont toujours pas de retour. Or l’Émeraude a un réservoir lui permettant environ trois heures de vol…

 

On alerte donc le chef-pilote Henri Giraud, qui décide de partir faire un vol de reconnaissance. Et on prévient la préfecture de l’Isère, la sous-préfecture de Briançon, les secours en montagne et même le district aéronautique.

Comme les heures passent, on déclenche aussi le plan Sater, permettant de mobiliser des avions militaires depuis Aix-en-Provence, et l’on appelle les homologues italiens, au cas où.

L’ÉCOLE DES PUPILLES DE L’AIR APPELÉE A LA RESCOUSSE

Mais quand arrive le soir, les conclusions des avions mobilisés ou des caravanes terrestres sont les mêmes : aucune trace de l’Émeraude nulle part.

Seule avancée, un avion volant à basse altitude dans le brouillard a été entendu vers Monêtier-les-Bains.

Le 1er juin, un important plan de recherche est mis en place. Dès 7 heures du matin, quatre hélicoptères et une dizaine d’avions légers sont mobilisés. Certains proviennent de la base du Bourget-du-Lac, d’autres de la gendarmerie. Même l’école des pupilles de l’Air prête son concours.

 

Henri Giraud prend place, lui, dans le Choucas du secours en montagne, équipé pour se poser sur la neige si besoin. Un témoin affirmant avoir vu l’Émeraude voler vers le glacier Blanc, dans les Écrins, c’est sur cette zone que le chef-pilote décide de se focaliser lors d’un second vol. Et c’est en passant et repassant au-dessus du glacier qu’il constate qu’une énorme avalanche a dévalé un des versants.

À son retour il émet l’hypothèse la plus crédible à ce moment-là: et si l’Émeraude avait heurté la montagne, provoqué l’avalanche et s’était retrouvé enfoui dessous ?

 

Henri Giraud se veut convaincant: « J’ai vu une grande plaque lisse d’où le rocher s’est détaché, ce qui pourrait être le point d’impact de l’avion. En dessous de la muraille il y a sur la neige une trace bien marquée comme si quelque chose de lourd y avait glissé » raconte-il dans les colonnes du Dauphiné Libéré. « Je suis persuadé qu’ils sont là » martèle-t-il.

 

 

Mais quand l’hélicoptère de la protection civile dépose des hommes sur place, aucune trace de débris. Pas le moindre signe que l’appareil a pu se crasher. Peu convaincus par la théorie d’Henri Giraud, les secours décident malgré tout de sonder l’avalanche le lendemain pour en avoir le cœur net. Et ce d’autant plus que toutes les autres recherches effectuées dans le Dévoluy, le Champsaur, Belledonne… n’ont rien donné.

« Ils sont peut-être vivants et on ne peut rien pour eux faute de les repérer. »

Le 2 juin, le bal des hélicoptères et des avions reprend. Mais à chaque retour à la base de Grenoble, les conclusions sont les mêmes : pas de trace de l’Émeraude.

« Ce qu’il y a de plus terrible c’est de penser qu’ils sont peut-être vivants encore, qu’ils ont besoin de secours et que l’on ne peut rien pour eux faute de pouvoir les repérer », se désole un membre de l’aéro-club devant les journalistes.

Si l’on ne sait pas où est l’Émeraude, on commence en revanche à savoir où il n’est pas. Quatre alpinistes ont sondé l’avalanche du glacier Blanc et ausculté la paroi. Pas de trace d’huile ou d’essence, pas de débris métalliques, rien… Les montagnards sont même formels : l’avalanche n’est pas récente. L’état de la neige, qui a fondu puis regelé, prouve que la coulée date d’au moins un mois. Aucune chance qu’Henri Guignard et Yves Thouvard soient dessous.

LES ALPES SCRUTÉES DANS LES MOINDRES DÉTAILS

Vers Névache, vers le Galibier, le Pelvoux… on fouille inlassablement les Alpes. Mais chercher un petit avion sur une telle étendue est pire que trouver une aiguille dans une botte de foin. Les secouristes le savent, sans témoignages pour les aider, la tâche est quasiment impossible.

 

Pour délier les langues, la famille Thouvard décide d’ailleurs de tenter le tout pour le tout. Une prime de 250 000 francs sera donnée à quiconque permettra de retrouver l’avion. On veut alors encore garder espoir. Dans certains accidents, des rescapés ont été retrouvés après plus de 10 jours. Alors pourquoi pas les deux disparus ?

À CHAQUE MORCEAU MÉTALLIQUE QUI BRILLE, L’ESPOIR

Le 3 juin, l’exploration des montagnes continue. À chaque fois qu’un témoin croit avoir vu briller un morceau métallique dans la montagne, on survole la zone. Pour constater à chaque fois que ce n’était qu’un effet du soleil ou un toit d’abris confondu avec un hypothétique morceau d’avion. Ce qui ne fait que conforter Henri Giraud dans son opinion : il faut retourner vérifier au glacier Blanc. Pas dans l’avalanche mais dans les rochers.

Selon Henri Giraud, si l’appareil a été pris dans des courants rabattants, « il a pu être plaqué au rocher et serait alors tombé comme un caillou au bas de la muraille, sans se déchiqueter, et aurait été recouvert de pierres ». Ce qui expliquerait l’absence de débris.

C’est donc décidé le lendemain on retournera au glacier Blanc. Cette fois avec des détecteurs de mines pour établir s’il y a des pièces métalliques sous les roches.

Au soir du 4 juin, la déception est de nouveau de mise : le ratissage méticuleux n’a rien donné : pas d’Émeraude au glacier Blanc.

Peu de témoins… à cause de la fête des Mères.

Quant aux témoignages demandés, ils sont bien maigres. Le dimanche midi quand l’avion a disparu, la plupart des familles célébraient la fête des Mères. Cela ajouté à la grisaille, il n’y avait pas grand monde dehors pour entendre ou voir passer un petit avion.

On rappelle que la prime de 250 000 francs a été portée à 500 000 francs, que les appels téléphoniques sont à faire en PCV et donc gratuits, mais malgré tout l’enquête piétine. On perd même du temps à cause du faux témoignage d’un bûcheron italien.

C’est en fait du côté des Hautes-Alpes que finalement les témoignages les plus pertinents arrivent. Vers Orcières, deux enfants qui gardaient un troupeau de vaches auraient entendu vers midi un « grand fracas » le jour de la disparition. Une histoire confirmée par un paysan qui a lui aussi entendu comme une « explosion ».

Alors on reprend les recherches en avion et à pied. Dans les Hautes-Alpes mais aussi entre France et Italie au col du Fréjus ou au mont Thabor. On va même vers le col de la Croix de Fer sur les indications d’une radiesthésiste. Toujours en vain.

Mais plus les témoignages s’accumulent, finalement, plus on acquiert la certitude que c’est vers les Hautes-Alpes qu’il faut se concentrer. L’avion a été vu à Champoléon et a sans doute poursuivi sa course le long du Drac, fuyant les nuages et l’orage venant du nord. N’ayant quasiment plus de carburant, l’Émeraude a sans doute fini son vol silencieusement.

La mort dans l’âme, s’en remettre au hasard…

Mais si son périple se précise, si les habitants des Hautes-Alpes se mettent à participer aux recherches, tout ceci n’est que peine perdue.

Après des jours de recherches il faut bien l’admettre : il faut arrêter les grandes opérations. Les secouristes s’en vont vers d’autres missions et les aéro-clubs arrêtent aussi leurs survols la mort dans l’âme. Tous le savent, seul le hasard pourrait permettre désormais de retrouver Henri Guignard et Yves Thouvard.

Et c’est bien le hasard qui se manifestera, deux mois plus tard.

 

Le 2 août, Louis Gonnet, jeune agent des PTT de Briançon, décide d’aller ramasser du génépi dans le massif du Combeynot. Il est 9 heures du matin quand il trouve à ses pieds un petit carnet. Le nom de son propriétaire est marqué dedans : Henri Guignard. Louis Gonnet a suivi les recherches depuis juin et comprends aussitôt de quoi il s’agit. Surtout qu’en poursuivant sa marche le cueilleur de génépi trouve une sacoche et différents papiers.

Jumelles en main, il scrute alors la zone. Et voit au milieu des rochers une roue puis d’autres débris.

 

Sûr de sa découverte, il redescend alors prévenir les autorités à Monêtier-les-Bains. Et dès la fin de matinée, les équipes de secours sont à pied d’œuvre en avion et par caravane terrestre.

En à peine 2 h 30, les marcheurs parviennent sur le lieu de l’accident. Ce lieu qui avait été longuement exploré en juin sans que personne n’aperçoive l’appareil. Caché sous une vire, celui-ci était en fait impossible à détecter depuis les airs.

Ce 2 août, on retrouve dans l’habitacle broyé les deux occupants, chacun assis à sa place, soutenu par ses sangles. À voir le piton dentelé qui surplombe une large échancrure dans la montagne, on comprend que dans le brouillard, l’Émeraude a percuté une des aiguilles rocheuses devenues invisibles. La mort des deux hommes a dû être instantanée.

 

En fin d’après-midi les cordées reviennent, transportant sur des perches Barnaud les corps de Henri Guignard et Yves Thouvard, que l’on installe dans la chapelle du Casset.

L’Émeraude, elle, restera dans la montagne. Épave trop petite pour que l’histoire se soucie d’elle. »

Sylvaine Romanaz


SOURCE

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