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    28 juin 1943 – Un bombardier Boeing B-17 des USAAF s’écrase dans les Bighorn Mountains (Wyoming)

    Dès qu’il le peut, le site Internet Pilote de montagne (PDM) relate les accidents, civils ou militaires, survenus en milieux montagneux depuis l’apparition des aéronefs, qu’ils soient motorisés ou non. Pour nous, il s’agit de nourrir une base de données « accidentologie » permettant d’informer (et d’instruire) les pilotes et le public sur les dangers inhérents à la montagne. Aujourd’hui, intéressons-nous au crash d’un bombardier Boeing B-17 ‘Flying Fortress’ (‘Forteresse volante’) dans les montagnes du Wyoming, en plein cœur des États-Unis d’Amérique…

    ÉLÉMENTS DE CONTEXTE

    Après l’attaque japonaise sur la base navale américaine de Pearl Harbor (Hawaï), le dimanche 7 décembre 1941, les États-Unis d’Amérique entrent résolument dans un conflit qui devient, ainsi, mondial. Dotés d’une industrie extrêmement performante pour l’époque, ils développent toute une série de matériels et les produisent, à très grande échelle et rapidement, dans le cadre d’un effort de guerre sans précédent dans l’histoire de l’humanité.

    Bien entendu, cet effort ne se cantonne pas aux matériels terrestres. En effet, pour mettre hors service les outils de production japonais et allemands, les Américains doivent disposer d’une marine de guerre et marchande nombreuse et, surtout, d’une aviation de bombardement puissante, performante et à long rayon d’action.

    C’est ainsi que le bombardier Boeing B-17 ‘Flying Fortress’ (‘Forteresse volante’), une fois monté en Californie, doit rejoindre le Texas pour y être modifié, puis Grand Island, dans le Nebraska, pour y recevoir certains équipements complémentaires.

    L’ENCHAÎNEMENT DES ÉVÉNEMENTS

    En provenance du Texas aux commandes d’un B-17 flambant neuf (le n° 42-3399, surnommé ‘Scharazad’), le pilote de bombardier Billy Ronaghan atteint le terrain de Pendelton, dans l’Oregon, tard dans l’après-midi du lundi 28 juin 1943, pour y récupérer la majeure partie de son équipage. De là, le bombardier et son équipage devront rejoindre l’est du pays, puis l’Angleterre, pour y remplacer, au sein du 383d Bombardment Group, les appareils abattus au-dessus de l’Europe occupée.

    Le bombardier quitte l’Oregon le soir-même équipé de mitrailleuses et de munitions. Il est supposé survoler le Nebraska en compagnie d’un autre B-17, mais l’équipage ayant perdu 10 minutes au décollage, il ne réussit pas à rejoindre son accompagnateur. Ce dernier rejoint Grand Island sans encombre et dans les temps impartis, mais on reste dans nouvelle de Ronaghan. Au bout de quelques heures, l’appareil et, surtout, ses membres d’équipage, sont portés disparus.

    Le B-17 ayant appelé pour la dernière fois le sol à proximité de Powder River (c’est-à-dire pile sur la trajectoire théorique de l’axe Pendelton/Grand Island) vers minuit, il est très difficile de déterminer la trajectoire qu’il a suivie ensuite. C’est pourquoi on lance des recherches à l’aveugle dans tout l’État du Wyoming, ce qui ne donne, comme il fallait le prévoir, aucun résultat. Cependant, nous sommes au cœur du second conflit mondial et l’appareil, tout comme les membres d’équipage, passent momentanément par pertes et profits.

    UNE DÉCOUVERTE FORTUITE…

    L’année suivante, en 1944 donc, une autre expédition de recherche est montée par l’United States Army (armée de Terre des États-Unis d’Amérique). L’Absaroka Range, les Big Horns et la Wind River sont méthodiquement explorées, mais sans que l’épave ne soit retrouvée.

    Ce n’est que le  lundi 12 août 1945 que le regard de deux cowboys faisant paître leurs troupeaux dans la région des Bighorn Mountains (monts Bighorn), non loin du champ de bataille (de sinistre mémoire) de Little Big Horn, est attiré par des éclats de lumière provenant d’une arête sommitale du Cloud Peak. Une rapide reconnaissance débouche sur une macabre découverte, ce dont les autorités sont prévenues sans délais.

    Le mercredi 15 août 1945, une colonne de recherche atteint le Misty Moon Lake à cheval, puis se fraie un chemin à travers les pierriers jusqu’à l’épave. C’est le V-J Day (‘Victory over Japan Day’), mais les membres de l’équipe de recherche n’apprendront la reddition du Japon qu’à leur retour à leur base. Sur le lieu du crash, les enquêteurs découvrent un spectacle de désolation car l’avion s’est totalement disloqué sous la violence du choc, qui a dû être terrible.

    Le rapport d’enquête mentionne que le pilote a probablement aperçu l’arête rocheuse au dernier moment, qu’il a tenté de redresser son appareil mais que la queue du bombardier a tapé en premier. Ensuite, l’appareil a été catapulté vers l’autre côté de l’arête, disséminant des débris sur près d’un kilomètre carré. Toujours selon ce rapport, l’un des membres d’équipage portait un masque à oxygène, ce qui semble indiquer que l’avion était censé évoluer à haute altitude au moment du crash.

    De l’équipage, il ne reste plus que des parties de corps déchiquetées et il semble d’emblée très difficile d’identifier les dépouilles. Les enquêteurs font donc de leur mieux pour restituer aux familles des restes de leur être cher. Les dépouilles sont enfin évacuées et la carcasse de l’appareil est abandonnée à son sort…

    LE SORT DE L’ÉPAVE

    Après que les vétérans du Wyoming aient lancé une pétition, le United States Forest Service (USFS) renomme le lieu du crash ‘Bomber Mountain le jeudi 22 août 1946 tandis qu’une plaque commémorative est installée sur les rives du Florence Lake, à 1,5 miles (soit 2,4 km) du lieu de l’accident.

    Malheureusement, au fil des ans, des randonneurs ont pillé le site, emportant même quelques hélices pesant plus de cent livres (45,35 kg). Certaines autres reliques, comme des mitrailleuses, ont été déposées anonymement devant la porte du Johnson County Jim Gatchell Memorial Museum de Buffalo (Kansas), où elles sont désormais exposées avec la permission de l’USFS.

    Ce qui reste sur les pentes de la montagne, ce sont principalement les équipements lourds, comme les moteurs par exemple. Ils font désormais corps avec les rochers et servent de mémorial dédié aux dix victimes de ce crash.

    LES CAUSES PROBABLES DE L’ACCIDENT

    Dès leur arrivée sur zone, les enquêteurs s’intéressent aux moteurs pour savoir si leur défaillance n’aurait pas causé le crash. Malheureusement, ceux-ci sont très abimés par l’impact au sol et il faut étudier d’autres pistes.

    Tout d’abord, la météo orageuse du moment aurait pu créer des turbulences faisant dériver l’avion vers la montagne.

    D’autre part, le décollage ayant eu lieu le soir, l’accident serait survenu de nuit, ou dans la pénombre du tout petit matin. L’appareil n’ayant rien à faire à 150 miles (240 km) au nord de sa trajectoire, on pourrait également invoquer une panne de l’un des instruments de bord, voire même une banale erreur de navigation de la part du jeune navigateur, Leonard Phillips, fraîchement formé.

    MYTHES ET LÉGENDES

    Comme c’est le cas pour de nombreuses histoires locales, les rumeurs deviennent des mythes et les mythes des légendes partagées à l’envi. L’histoire la plus répandue sur le crash de Bomber Mountain veut que l’un des membres d’équipage aurait survécu et aurait attendu, seul, la mort. En effet, l’un des corps est retrouvé appuyé contre un rocher, tenant un portefeuille et des photos à la main, une Bible ouverte à ses côtés…

    Sylvia Bruner, la directrice du musée, conteste formellement cette version des faits. En effet, la colonne de secours n’a retrouvé aucune dépouille intacte. D’ailleurs, le rapport d’enquête-accident stipule bien que, « d’après leur apparence, [les membres d’équipage] avaient tous été tués sur le coup ».

    L’autre légende ayant pris corps au fil des ans rapporte que l’équipage transportait des fonds et même des lingots d’or. Selon cette version, un vieux montagnard aurait trouvé le magot et serait devenu riche…

    LES MEMBRES D’ÉQUIPAGE

    Les victimes de ce tragique accident sont :

    • Billy Ronaghan servait déjà au sein de la Garde nationale et n’était donc pas appelé à rejoindre l’armée, d’autant plus qu’en tant qu’officier de police new-yorkais, il en était exempté. Pourtant, lorsque les Japonais bombardent Pearl Harbor, lui et ses deux frères se sont engagés spontanément. Comme il était en outre pilote privé, il a tout naturellement rejoint les United States Army Air Forces, qui deviendra plus tard l’U.S. Air Force (U.S.A.F.). Il avait tout juste 24 ans quand, le lundi 28 juin 1943, il percuta les pentes d’une montagne de 12 841 pieds de haut dans la Bighorn National Forest, dans le Wyoming.

    • Tony Tilotta, 22 ans, était son copilote. Il travaillait comme mécanicien aéronautique avant de s’engager, était marié et père d’un garçon, son épouse Elsie étant enceinte de leur second enfant.
    • Leonard Phillips, 22 ans, était navigateur. D’après ses camarades de collège, il était sympathique et ambitieux et n’aimait pas perdre son temps pour des choses futiles, comme les copines par exemple. Il s’était engagé dans l’armée en 1940 et a été muté dans les USAAF en 1943.
    • Originaire de Californie, James Hind était le technicien de bord. On en sait très peu sur lui hormis le fait qu’âgé de 25 ans, il était le plus âgé des membres d’équipage.
    • Surnommé ‘Vaughn’, Lee Vaughn Miller, était l’assistant mécanicien de bord. Il avait grandi en Virginie occidentale et avait rejoint le Civilian Conservation Corps (Corps civil de protection de l’environnement) avant de s’engager dans l’USAAF. Lui et sa fiancée Ruth avaient tenté de se marier la dernière fois qu’il était en permission dans ses foyers, mais l’un des ponts de la région avait été submergé et ils n’avaient pas pu rejoindre le tribunal. Il était âgé de 24 ans.

    • Orginaire d’Alabama, Ferguson Bell Jr., 21 ans, était l’opérateur-radio.
    • L’assistant opérateur-radio Charles Newburn Jr., surnommé ‘Junior’, avait 21 ans et était originaire de l’Oklahoma. Il s’était également engagé pour pouvoir se marier.
    • Surnommé ‘Suppie’, le bombardier Charles Suppes II était natif de Pennsylvanie. Il avait 22 ans et n’était alors qu’un enfant passionné d’art dramatique au collège.
    • Le mitrailleur Jake Penick, 22 ans, de Waneta, au Texas, avait déjà servi au sein du Civilian Conservation Corps avant de rejoindre l’armée. Il provenait d’une famille de militaires – ses quatre frères s’étaient aussi engagés.
    • Originaire de Floride, l’assistant mitrailleur Lewis Shepard, 25 ans, était le plus âgé des cinq garçons. Il écrivit à sa mère religieusement. Il mesurait six pieds trois pouces et était connu comme un ‘tombeur’. Son frère expliqua à Bruner qu’il avait emprunté des patins à roulettes pour rencontrer des filles avant de rejoindre son affectation. Dans une lettre à sa mère, qu’il avait débuté la deuxième de son entraînement du fait de l’accélération des efforts pour envoyer des équipages de remplacement vers l’Europe.

    LE LIEU DU CRASH

    La Bomber Mountain n’est pas une montagne à proprement parler mais la partie supérieure d’une arête rocheuse. Aujourd’hui, rejoindre ce sommet représente une randonnée certes difficile, mais surtout inoubliable dans la Cloud Peak Wilderness.

    Le trail peut être rejoint depuis la West Tensleep Trailhead et constitue une randonnée de 22 miles nécessitant deux à trois jours de marche. Un petit mémorial a été érigé au pied de la montagne et, en grimpant en direction du sommet, le randonneur découvre les décombres disséminés, en vrac. La vidéo ci-dessous montre l’étendue du site du crash :

    [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=FjcxksKf8rk[/embedyt]

    LE MARQUAGE DE L’APPAREIL

    L’encart d’accueil de notre article ainsi que la première photo in texto représentent un bombardier B-17 arborant une cocarde bleu-foncé portant une étoile blanche. Comme le montre l’encart ci-dessous, ce signe distinctif a beaucoup évolué entre 1917 (année de l’entrée des États-Unis d’Amérique dans le premier conflit mondial) et 1947 :

    En effet, dès l’entrée en guerre, l’United States Air Corps adopte une cocarde blanc-bleu-rouge. Celle-ci est quasiment identique à la cocarde impériale russe (dans laquelle le cercle blanc est proéminent) et c’est pourquoi, avant l’attaque japonaise sur Pearl Harbor, l’insigne national était composé d’un disque rouge à l’intérieur de l’étoile blanche, comme on le voit ci-dessus. Le disque rouge a été rapidement remplacé par l’étoile blanche à l’intérieur d’un champ bleu, afin de ne pas confondre le signe de reconnaissance américain avec le disque rouge du soleil levant nippon.

    ÉPILOGUE

    Si de très nombreux bombardiers Boeing B-17 sont abattus dans le cadre d’une mission opérationnelle en territoire ennemi, une part non négligeable s’écrase aussi durant des phases d’exercice ou de transit.

    Comme le montre la carte des lieux de crash, beaucoup de ces bombardiers s’écrasent dans l’Ouest nord-américain, dans des zones isolées et escarpées, ce qui rend les recherches particulièrement difficiles, surtout en temps de guerre, alors qu’il ne s’agit pas d’une priorité absolue.

    Ce qui est triste dans cette histoire, c’est qu’une dizaine d’hommes jeunes ont péri lors d’un simple transit sur le territoire national, et non dans le cadre d’une mission de combat. Victimes d’un banal accident aérien, ils n’auront même pas pu mourir en héros…

    Éléments recueillis par Bernard Amrhein


    SOURCES

    CARTE DES SITES DE CRASHES DE B-17 À TRAVERS LE MONDE

    PdM
    PdM
    Pilote de montagne (PDM) est une association à but non lucratif accueillant tous les amoureux de l’aviation en général, et du vol en montagne en particulier.

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