Oskar BIDER (1891-1919) – Pionnier suisse de l’aviation de montagne


Pilote de montagne (PDM) rend hommage à une grande figure de l’aviation naissante, le Suisse Oskar Bider, premier aviateur à avoir traversé tour à tour (et à moins de deux mois d’intervalle) les Pyrénées, puis les Alpes suisses dans leur grande largeur.

UNE VOCATION D’AGRICULTEUR

Oskar Bider naît le dimanche 12 juillet 1891 à Langenbruck, un petit village idyllique au pied du Jura bâlois (canton de Bâle-Campagne [Basel Land]), et rien ne le prédestine à devenir un pionnier de l’aviation de montagne. En effet, son père est un drapier relativement aisé qui entend bien qu’Oskar prenne sa relève, comme il se doit. Sa mère, Frieda Marie, est la fille d’Albert Glur, l’instituteur du village. Selon la chronique locale, c’est « une femme affectueuse, profondément ancrée dans la religion chrétienne »… La croyance marque également Oskar. Il est encore jeune lorsqu’il perd sa mère en 1907. Quant à son père, il quitte Langenbruck après la disparition de sa femme et décède quatre ans plus tard, en 1911. La mort prématurée des parents renforce les liens entre Oskar et son frère, et surtout avec sa jeune sœur Julie Hélène (Leny).

Bien que personne de la famille n’appartienne au monde agricole, Oskar veut absolument devenir paysan. C’est pourquoi il fréquente, dès 1910, l’école d’agriculture de Rütti, près de Berne.

Comme tout Suisse en âge de porter les armes, il effectue l’école de recrues, et ceci dans les troupes de cavalerie à Zurich.

Après le décès de son père (en 1911 donc), Oskar quitte la Suisse et émigre temporairement dans le Gran Chaco, au nord de l’Argentine. Là, il trouve un emploi dans le ranch d’une famille suisse connue. Dans ses lettres, il décrit avec enthousiasme à sa sœur Leny l’étendue du pays, qu’on peut traverser à cheval. Pourtant, même loin de sa patrie, il n’oublie pas ses racines. En correspondance avec le reste de la famille, il mentionne à plusieurs reprises sa mère défunte et son attachement à sa religion.

L’APPEL DES AIRS

Cette vie d’éleveur aurait pu se dérouler tranquillement si Oskar n’avait pas intériorisé l’exploit malheureux d’un autre jeune homme dans son pays natal. En effet, le mardi 23 septembre 1910, le pilote péruvien Jorge Chavez-Dartnell, dit « Géo », réussit la traversée des Alpes entre Brigue (Brig), dans le Valais, et Domodossola, en Italie, aux commandes d’un Blériot XI. Au moment de l’atterrissage à Domodossola, les ailes de l’avion se brisent devant un large public venu saluer le nouveau héros qui, souffrant de graves blessures, meurt finalement quatre jours plus tard. C’est véritablement de cette tragédie que naît la vocation aéronautique d’Oskar. Dans une lettre à Leny datant d’août 1911, il lui annonce son « intention de faire l’école d’aviation ».

De retour en Suisse, il travaille quelques mois dans une ferme à Münsterlingen, en Thurgovie, puis s’inscrit, le vendredi 8 novembre 1912, à l’école d’aviation Blériot de Pau (France/Basses-Pyrénées), où il fait merveille. En effet, après un mois d’instruction seulement, il obtient, le dimanche 8 décembre 1912, son brevet de pilote suisse puis, le lundi 30 décembre, le brevet de pilote français numéro 1194.

Dans les lettres à sa famille, il se présente dès lors comme un « aviateur ». Toujours fin décembre 1912, il commande à Louis Blériot (qui est à la fois directeur de l’école de pilotage de Pau et un constructeur de renom), et ce pour la modique somme de 26 000 Francs (suisses), un Blériot XI, comme Chavez… Il s’agit d’un monoplan équipé d’un moteur Gnome de 7 cylindres en étoile rotatif et de 70 cv, qui peut atteindre une vitesse de 110 km/h, sur lequel il peint lui-même la crosse épiscopale de Bâle-Campagne (cette crosse est rouge alors que celle de Bâle-Ville est noire…) ainsi que le nom de son village natal, « Langenbruck », sur la gouverne.

LA TRAVERSÉE DES PYRÉNÉES

Mais que faire une fois le brevet de pilote obtenu, sinon tenter, à son tour, un exploit. Nous sommes encore à l’ère des pionniers, des défricheurs. « Géo » Chavez ayant effectivement vaincu les Alpes, Oskar décide d’être le premier à franchir la chaîne de montagnes la plus proche, en l’occurrence, les Pyrénées, en avion. À l’époque, la perspective d’un vol Pau-Madrid représente une véritable aventure même si, le mercredi 22 janvier 1906, un aéronaute espagnol Jesus Fernandez Duro, avait déjà réalisé une grande première en les traversant avec son ballon, baptisé « El Cierzo », dans le cadre d’un raid Pau-Cadiz.

Cette entreprise semblant tout de même risquée, Oskar prépare minutieusement son vol en effectuant d’abord le trajet en train afin de graver en mémoire les points tournants ainsi que la topographie susceptible d’induire des effets thermiques.

En ce vendredi 24 janvier 1913, levé dès quatre heures du matin, Bider décolle du terrain de Pau à 7 h 19, très précisément. C’est à environ 11 483 pieds (environ 3 500 mètres d’altitude) qu’il franchit les Pyrénées, à l’est du pic du Midi, poursuivant ensuite son vol jusqu’à Madrid (après une petite escale à Guadalajara), pour finalement se poser sur l’aérodrome de Cuatro Vientos, destination finale d’un raid de 512 kilomètres bouclé en 5 heures et 35 minutes. Un exploit réalisé le jour même de la mort accidentelle de Charles Nieuport et de son mécanicien René Guyot à Étampes, lors d’un vol d’essai d’un appareil militaire, ce crash étant imputable à une avarie au niveau d’une pédale de gauchissement.

Immédiatement, Oskar Bider devient, malgré lui, un héros international de l’Aviation naissante, alors qu’il ne rêve que de servir sa petite Patrie. Lorsque, quelques semaines plus tard, il traverse en avion la frontière suisse, il est accueilli avec enthousiasme, ce qui l’encourage à redécoller pour réaliser, en mars 1913, le premier vol postal entre Bâle et Liestal. Pour ceux qui ne connaissent pas le pays, il s’agit là d’un véritable saut de puce, mais Oskar Bider peut être considéré comme le fondateur de la poste aérienne suisse.

Fort de sa renommée, il réalise ensuite de nombreux baptêmes de l’air, dont le produit est destiné à la « création d’une aviation militaire suisse ».

PREMIER VOL AU-DESSUS DES ALPES

Cependant, le plus grand succès d’Oskar Bider est incontestablement la traversée complète des Alpes, de Berne à Milan, une réelle performance pour l’époque. Pour rappel, le samedi 25 janvier 1913, franco-péruvien Jean Bielovucic Cavalié achève la course Brigue-Milan que Chávez n’a pas pu réaliser jusqu’au bout. Bider fera donc beaucoup mieux que ses illustres prédécesseurs.

Cette entreprise nécessitant une préparation approfondie, il se documente sur la région et effectue plusieurs vols de longue durée, principalement pour ajuster sa consommation en huile et en carburant. En effet, devant monter entre 3 000 et 4 000 mètres d’altitude, il doit maîtriser les pressions de ces deux éléments alors que la pression de l’air diminue, tout en anticipant l’influence des turbulences.

Pour vérifier les données rassemblées, il entreprend un vol d’essai entre le Wildstrubel et Sion (Valais), qu’il accomplit avec succès. De ce test, il ressort cependant qu’il faut alléger l’appareil pour atteindre les altitudes requises. Pour cette raison, Oskar ne fait pas le plein de son avion et planifie, comme « Léo » Chavez près de trois ans avant lui, une escale à Domodossola, pour reprendre du carburant. Ainsi, malgré une performance réduite de son moteur due à l’altitude, il espère pouvoir réussir la traversée.

Le dimanche 13 juillet 1913, soit un jour après son vingt-deuxième anniversaire, Oskar Bider décolle de Berne et se lance dans l’aventure. Après avoir effectué plusieurs boucles aériennes devant le col de la Jungfrau, il prend de l’altitude et traverse les Alpes entre la Jungfrau et le Mönch, à une altitude moyenne de 3 500 mètres. Après une courte escale d’avitaillement à Domodossola, il rallie Milan en quatre heures et demie. Grâce à ce nouveau succès, le modeste paysan de Langenbruck confirme son expertise montagne, ce qui lui vaut une reconnaissance du public, mais aussi de toutes sortes d’autorités. Ainsi, à Milan, il est reçu par le maire de la ville, auquel il remet une lettre de son homologue bernois.

Le dimanche 27 juillet, reliant Milan à Bâle, il bat au passage le record suisse d’altitude (3 600 mètres). À son arrivée à Bâle, trois conseillers gouvernementaux et une foule en liesse sont là pour l’accueillir sur la Schützenmatte, la prairIe des chasseurs. Plus tard dans la journée, à Berne, des milliers de personnes souhaitent voir ce pilote intrépide. Dans une lettre, le Conseil fédéral le remercie « Pour ses excellentes performances dans le domaine de la technique aérienne » et le gratifie d’un chronomètre en or. Cependant, malgré des succès aéronautiques notables, Oskar Bider maintient ses liens avec le monde agricole et ses proches.

Oscar Bider est un pilote audacieux, mais pas téméraire. Avant chacun de ses exploits, aussi bien au-dessus des Pyrénées que des Alpes, il s’est renseigné très consciencieusement sur les conditions météorologiques et les vents. Pourtant, même les plus prudents des pilotes ne sont pas à l’abri des atterrissages forcés et les accidents. Oskar en fait l’amère expérience peu après son vol transalpin. En effet, le mercredi 10 septembre 1913, le capitaine Real (son observateur) et lui-même sont désorientés dans le cadre d’un vol militaire nocturne. Lors de l’atterrissage d’urgence à Oberlindach (canton de Berne), le Blériot de Bider heurte un poteau et se retrouve réduit en pièces. Bider et Real ont de la chance dans leur malheur, car ils s’en sortent indemnes tandis que la Confédération pourvoit au remplacement de son appareil.

En décembre 1913, à bord d’un nouveau monoplan Blériot, il effectue une liaison directe Paris-Berne tout en battant le record suisse de distance en parcourant les 451 km en quatre heures et 21 minutes.

En avril 1914, il réalise le premier survol des Alpes avec passagers.

LE CHEF-PILOTE ET L’INSTRUCTEUR

Jusqu’au déclenchement de la première guerre mondiale, les autorités civiles et militaires suisses négligent notoirement l’aviation naissante. Non seulement l’armée ne possède pas d’avions, mais il n’existe aucun plan pour créer des Forces aériennes nationales. Les responsables politiques chargés des questions militaires ne reconnaissent vraiment l’importance des Forces aériennes qu’au moment où leurs voisins les emploient à grande échelle.

C’est donc tout naturellement qu’Oskar Bider fait partie des huit premiers pilotes de cette nouvelle unité. En 1915, il est promu à la fois lieutenant et chef-pilote de la toute jeune troupe d’aviation et en devient l’instructeur durant le reste de la guerre. Comme d’autres pilotes privés, il met son avion personnel à disposition de l’Armée, qui les reprend finalement à son compte en dédommageant leurs propriétaires.

Oskar Bider, l’artiste de l’air, devient donc, malgré lui, l’acteur majeur du développement de forces aériennes nationales opérationnelles.

APRÈS-GUERRE ET FIN TRAGIQUE

Cependant, dans tous les pays, la fin de la guerre met tous les aviateurs au défi de la reconversion professionnelle. Souhaitant poursuivre son aventure aéronautique, Oskar Bider ambitionne de fonder, avec ses camarades militaires, une société d’aviation privée. D’ailleurs, il est sur le point de se rendre en Italie afin d’y réceptionner un hydravion. Malheureusement, le destin en décide autrement.

En effet, le dimanche 6 juillet 1919, Bider passe la soirée au restaurant zurichois Bellevue, avec sa sœur Leny et ses amis. Le lendemain, lundi 7 juillet, il se rend, avec une partie de ses compagnons, à Dübendorf (canton de Zurich), où il offre, au casino, un buffet froid arrosé de quelques bonnes bouteilles de vin. Vers 16 h 30, il se propose d’effectuer une démonstration des capacités de son avion de chasse, un Nieuport 21. Après un décollage rapide, il enchaîne des figures acrobatiques déjà classiques, jusqu’à ce que l’avion, lors d’un tonneau, parte en vrille pour s’écraser au sol. Le pilote meurt sur le coup. Accident que l’on doit probablement imputer à son état d’ébriété au moment du vol, son appareil ne présentant aucune anomalie de fonctionnement.

Si la disparition prématurée d’Oskar Bider provoque un choc en Suisse, elle constitue également une tragédie familiale pour sa sœur Leny qui, désespérée, se suicide deux jours plus tard, ce qui met fin à la carrière d’une étoile montante du cinéma suisse. Le jeudi 10 juillet, le pilote est enterré à Langenbruck où, depuis lors, il repose auprès de sa sœur, qui l’y a rejoint…

Même si Oskar Bider perd la vie beaucoup trop tôt, il devient (grâce à son courage, à ses aptitudes et à ses qualités humaines, fondées avant tout sur la tradition helvétique et sur une conviction chrétienne profonde) l’un des grands pionniers de l’aviation suisse.

Dans une lettre à sa « tante Glur », de Liestal, Oskar Bider écrit, le jeudi 31 octobre 1918 :

« Je peux te dire que sans cette foi, je n’aurais pas pu voler. Lorsqu’en 1913, je réalisai mes grands vols, j’ai prié comme les anciens Confédérés. J’ai souvent connu des nuits blanches. Lorsque je suis allé à Milan pour reconnaître la piste d’atterrissage, je suis aussi allé dans la cathédrale et j’ai prié pour réussir le vol. »

RECONNAISSANCE EN SUISSE

Le lundi 27 janvier 1977, la Poste helvétique émet, dans une série consacrée aux pionniers suisses de l’aviation, un timbre polychrome (édité à 13 858 000 exemplaires) intitulé Oskar Bider (1891-1919) & Bleriot monoplane’.

Le jeudi 24 janvier 2013, la Monnaie fédérale (« Swissmint ») émet une pièce de monnaie commémorant le Centenaire de la première traversée complète des Alpes en avion par le pionnier suisse de l’aviation, Oskar Bider. Créée par l’illustrateur suisse Angelo Boog, cette pièce a une valeur nominale de 20 francs (suisses) et elle est disponible dans la gamme « non mise en circulation ».

ÉPILOGUE

La courte vie d’Oskar Bider est exemplaire à plusieurs titres.

Tout d’abord, un jeune villageois se destinant à l’agriculture, puis à l’élevage extensif en Amérique du Sud, se découvre une vocation d’aviateur à la lecture des exploits d’un jeune Sud-Américain dans son pays natal.

Ensuite, on peut noter que la volonté et la motivation du jeune-homme lui permettent d’obtenir, après un mois d’instruction seulement, deux brevets de pilotes, d’acheter un avion, puis de réaliser deux exploits (des premières…) au retentissement international.

Cependant, il faut bien se rendre compte que, bien que spectaculaires pour l’époque, ces exploits ne consistent qu’en des traversées de massifs montagneux à des altitudes encore modestes, marquant les débuts d’une aviation qui, pour être véritablement « de montagne », nécessite encore d’expérimenter l’atterrissage sur et au cœur des massifs, qui plus est sur terrain enneigé…

Enfin, la fin tragique d’Oskar Bider met en évidence la nécessité, aujourd’hui bien reconnue de la communauté des pilotes, de faire preuve d’une sobriété exemplaire à l’approche d’un vol, ou de s’abstenir de voler si cette règle n’a pas pu être respectée.

Éléments recueillis par Bernard AMRHEIN


Sources

  • Alpenflug von Oskar Bider (1963) | SRF Archiv

 

 

 

 

 

 

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