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    Début des années Trente – Une expérimentation originale du 35e RA : « L’avion à skis »

    Si, de nos jours, les skis font partie intégrante de la panoplie de l’avion de montagne, il ne faut pas oublier qu’ils ont eu beaucoup de mal à s’imposer. N’oublions pas qu’en 1951 on tentait encore de se poser sur roues au dôme du Goûter, sur les pentes du mont Blanc. Pourtant, toutes les connaissances sur l’emploi des spatules pour glisser sur la neige, et même le meilleur usage à en faire, avaient été découverts par des Français dans la première moitié des Années Trente. Pour illustrer cette avancée technique, Pilote de montagne (PDM) retranscrit un article de Daniel Gerbe, paru dans ‘Tableau de bord’ n° 19 de décembre 2008, relatant les expérimentations effectuées en montagne par le 35e Régiment d’aviation (RA) de Lyon-Bron, avant d’en tirer des conclusions originales…

    L’ARTICLE DE DANIEL GERBE

    « Du fait de son implantation géographique, proche des Alpes, une partie de l’activité du 35e R.A a été orientée, tout naturellement vers la montagne. Missions d’observation, lors des manœuvres des unités alpines, couverture photographique aérienne du massif alpin, étude des conditions de vol en montagne, conduisant à Challes-les-Eaux, à la création de la célèbre « École des remous », sous la direction du Capitaine Joseph Thoret, tels furent les domaines expérimentés par les équipages du 35e R.A.

    Son ancien chef, devenu le général Benoist, a d’ailleurs publié en 1934, « L’Aviation de Montagne », qui est en quelque sorte, une synthèse des expériences réalisées par cette unité. L’une d’elles, dans le 35e R.A a joué un rôle précurseur indéniable, concerne « l’avion à skis ». Cette expérimentation qui ne fut pas exempte de difficultés, d’incidents et même d’accidents graves, voici comment le général Benoist l’a relatée dans son ouvrage : « Quelques essais ont été faits près de Chamonix, au terrain des Praz, et à celui du Fayet/Saint-Gervais. A priori, l’emploi des skis, expérimentés avec succès dans les pays nordiques, ne s’impose pas dans les Alpes françaises. Il faut de plus, remarquer que les skis alourdissent l’avion, en le rendant moins maniable. Cependant en hiver, et sur terrains d’altitude de dimensions suffisantes, l’avion à skis pourrait seul atterrir sur la neige. Une solution mixte parait devoir donner satisfaction. C’est le train d’atterrissage à roues, et à skis. Il a été essayé en février 1932, sur Hanriot 431 à moteur Lorraine de 240 CV. L’avion partit de Lyon-Bron et s’est posé au Fayet, non enneigé, puis aux Praz, recouvert de 30 cm de neige. Il a glissé 80 m en moyenne, à l’atterrissage. Il a décollé en 60 m. Une seconde expérience, au terrain des Praz, recouvert d’une couche de neige compacte de 80 cm, a eu pour conclusion la rupture des skis à un point d’attache, à la suite de la résistance. Il a décollé en 60m. Une seconde expérience, au terrain des Praz, recouvert d’une couche de neige compacte de 80cm, a eu pour conclusion la rupture des skis à un point d’attache, à la suite de la résistance violente de la neige accumulée contre leurs cornes ».

    C’est le Hanriot 431 N°14, F-ALDC, qui fut utilisé pour cette expérimentation. Chez Hanriot, c’est l’ingénieur Jean Biche, qui étudia cet équipement. Le pilote Haegelen, en effectua les premiers essais, puis il semble que ce soit le lieutenant Nique, du 35e R.A, qui convoya l’avion au Fayet, non sans problème… Nous le retrouverons quelques années plus tard, pilotant les MS 500, alias Fieseler Storch, de l’Aviation des Alpes, en 1944-45.

    Le célèbre pilote d’essais Jacques Lecarme, d’ailleurs ancien Sous-lieutenant pilote du 35e R.A, puis pilote d’essais au C.E.M.A à l’époque, nous donne un témoignage fort différent dans sa forme et sur le fond, dans le chapitre d’anthologie intitulé « L’école des noeuds », de « L’Histoire des essais en vol », de Louis Bonte. Plus tard, rédacteur technique de la défunte revue ‘Aviation-Magazine’, il revient sur ce sujet, avec une plume souvent trempée dans le vitriol.

    Laissons lui exprimer sa vision de ces essais :

    « Par une aberration curieuse, il (le colonel Benoist) réclame, pour virer dans les vallées, un avion à faible puissance : le choix fut malheureux. Il se porta sur un affreux biplan Hanriot, le moteur Salmson 230 CV était, pour l’époque endurant, mais la cellule médiocre. De plus, le 35e R.A simplifia le problème, et fit monter deux skis sur l’axe des roues, de part et d’autre de chaque roue. Peu sûr de l’accueil du C.E.M.A, on court-circuita ce dernier. Sans essais, au premier convoyage, les skis se braquèrent en aéro-freins, et l’avion s’engagea en piqué incontrôlable. On découvrit alors la nécessité des sandows et câbles raidisseurs.

    L’hiver suivant (1933-34), on monta ce système de skis jumelés, sur un Potez 25, et sur un Morane 230, mieux choisis en qualités de vol. Au premier atterrissage sur neige vierge, aux Praz de Chamonix, les roues non relevables, bourrent, et dès l’impact, les deux avions passent sur le dos.

    Ce fut à la suite de ces erreurs, qu’il fut demandé à la Société Messier, la réalisation d’une roue à 2 positions, côte à côte avec le ski. En 1936, cet ensemble est monté sur un MS 230, court en voilure pour l’altitude, et sur le prototype MS 330, mieux voilé-le F-AKGU- .Le MS 230 ne peut redécoller de la neige lourde et doit être démonté, le MS 330 va fort bien, et nous y faisons notre apprentissage. La conclusion est rapide à tirer, il est stupide d’utiliser un terrain plat, il faut utiliser les pentes. Mais les promoteurs de l’utilisation des pentes, sont vertement rappelés à l’ordre, par les autorités du 35e R.A, pour l’incongruité de leurs conclusions. Tout cela tomba dans l’oubli, avec la guerre… »

    Comme on le voit, c’est par tâtonnements, en expérimentant successivement deux skis de part et d’autre de la roue, puis un seul, fixe et monté sur l’axe, puis enfin le combiné ski-roue Messier caréné, où le ski mobile descend sous la roue, et comporte une échancrure centrale, permettant le passage de celle-ci, que l’on arriva à un résultat acceptable et pratique.

    Après la guerre, en Suisse, Herman Geiger, « le pilote des glaciers », sera le pionnier de l’utilisation en montagne, de l’avion à skis, réalisant des prodiges de sauvetage, avec son petit Piper-Cub. En France, Firmin Guiron (qui s’illustra au sein de l’Aviation des Alpes, en 1944-45), utilisant un Auster, équipé de skis en bois de fabrication artisanale ; Henri Giraud de Grenoble, qui ouvrit la première école de pilotage en haute montagne, furent les pionniers de cette nouvelle discipline, accomplissant également, de beaux exploits.

    Plus tard, des altiports et des altisurfaces proches des stations de ski, sont créés. Il existe actuellement une douzaine d’altiports, et on recense plus d’une centaine d’altisurfaces !

    Souvenons-nous cependant que ce sont les aviateurs du 35e RA qui, par leurs essais, ouvrirent la voie du vol en montagne, tel qu’il se pratique aujourd’hui ! »

    Daniel GERBE

    AURAIT-ON PU ALLER PLUS LOIN ?

    De cet article vraiment très bien documenté, le lecteur peut retirer plusieurs leçons très intéressantes.

    Tout d’abord, il est à noter que, comme dans bien d’autres domaines (comme l’introduction du ski de randonnée dans les massifs montagneux en tant que  moyen de déplacement des Troupes alpines, par exemple), ce sont les militaires qui font œuvre pionnière. En l’occurrence, les aviateurs de la base d’aviation de Lyon-Bron et, singulièrement, son commandant, le colonel Benoist, étudie les possibilités d’évolution des avions en milieu montagneux et recherche les moyens d’atterrir sur des surface planes, en fond de vallée s’entend.

    Comme bien souvent, la théorie est démentie par la pratique, qui demeure le seul moyen de progresser de manière empirique. Rapidement (on parle de quelques années seulement), l’idée d’équiper les avions de skis retenus par des sandows tout d’abord, puis d’un dispositif de skis relevables pour décoller sur roues, atterrir sur skis en terrain enneigé, puis atterrir sur roues au retour sur terrain en herbe ou en dur, fait son chemin.

    Ensuite, il faut bien noter que les responsables des essais se gardent bien de rendre compte aux instances techniques compétentes (en l’occurrence, le CEMA…) de certaines des expérimentations prévues, de peur de se voir refuser le droit de les effectuer.

    En outre, dès 1936, les expérimentateurs écrivent noir sur blanc, dans leur rapport, qu’il faut utiliser les avantages intrinsèques des pentes enneigées (gain de freinage à l’atterrissage, gain de portance au décollage. Dans le domaine de la découverte et de l’invention, il est certainement vain d’avoir raison avant tout le monde et, surtout, beaucoup trop tôt. Notre exemple illustre aussi qu’une idée doit non seulement rencontrer un (ou plusieurs) cerveau(x) au bon moment, mais aussi que ce(s) cerveau(x) doit (ou doivent) disposer des appuis et des encouragements, techniques, financiers…) nécessaires à un développement technique et à des expérimentations plus poussées, sans parler des qualifications et des certifications étatiques et internationales.

    N’oublions pas, non plus, que l’Aviation qui, jusqu’au lundi 2 juillet 1934, faisait partie de l’armée de Terre, est devenue une armée à part entière, et que sa principale préoccupation est de se démarquer de ses attaches antérieures. Au nom du principe « plus haut, plus vite, plus fort », exit les rêves d’aviations en et de montagne, jusqu’à l’apparition de l’hélicoptère et la création de l’Aviation légère de l’armée de Terre (le lundi 22 novembre 1954), en fait…

    Enfin, ne négligeons pas le rôle moteur qu’un concept d’emploi peut jouer dans le développement d’un produit innovant. En effet, le colonel Benoist aurait-il imaginé de déposer des commandos de haute montagne sur les glaciers ou sur les pentes enneigées, afin de gagner des délais pour leur mise en place, ou permettre leur extraction, que les réflexions en eussent été enrichies d’autant. On s’est contenté d’imaginer le survol des massifs en mode reconnaissance/surveillance, ainsi que l’établissement d’une base aérienne avancée en altitude, mais en fond de vallée, sans faire de véritable prospective opérationnelle.

    ÉPILOGUE

    En résumé, tous les ingrédients étaient là, dès 1936, pour que les aviateurs français deviennent les promoteurs d’une aviation de montagne motrice en Europe, et partout ailleurs dans le monde. Les débouchés ne manquaient pas. En effet, outre les applications militaires, cette technologie pouvait facilement devenir duale, pour les travaux en haute altitude, voire pour le tourisme et la dépose des skieurs au plus près des sommets enneigés. Tout cela eût été possible si le responsable des recherches s’était révélé comme un chef visionnaire, capable de dépasser ses propres limites intellectuelles et sa peur du « qu’en dira-t-on ? ». Un défaut difficile à surmonter lorsqu’on est militaire, au milieu des Années Trente… et qu’on vient de changer d’armée d’appartenance.

    Malheureusement, en matière de techniques et d’industrie, une année n’est rien. On enterre le projet en France et ce sont d’autres, en particulier les Soviétiques (mais pas seulement), qui reprennent à leur compte le concept skis-roues de Messier pendant la seconde guerre mondiale. Après ce conflit, la France a bien d’autres problèmes à résoudre, et c’est donc le Suisse Hermann Geiger, « l’Aigle de Sion » qui, en 1952, sera le premier à mettre en pratique des concepts imaginés 16 ans plus tôt.

    Ainsi va la vie. L’Histoire éclaire certes le passé, mais elle ne peut influer sur le futur qu’à travers la prospective (par l’établissement de différents scénarios possibles) ou l’uchronie (c’est-à-dire la réécriture de l’Histoire à partir d’un point de rupture débouchant sur un ou plusieurs scénarios plus ou moins crédibles). Ce qui manque, la plupart du temps, c’est une vision globale et un esprit « systématique » permettant de capitaliser sur les inventions passées…

    Éléments recueillis par Bernard Amrhein


    SOURCES

    • TDB19 ord – SLHADA, PDF.
    • Général Benoist, L’Aviation de Montagne, étude alpine, Arthaud 1934.
    • Aviation Magazine n°617 (septembre 1973) et n°653 (mars 1975).
    • Louis Bonte, DOCAVIA n°3, Histoire des Essais en Vol, disponible à SLHADA.
    • Photothèque SLHADA.
    • Mathevet, Henri Giraud, Tableau de Bord n°4 de juin 2001, p.2et3.
    • Avions légendaires

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    Pilote de montagne (PDM) est une association à but non lucratif accueillant tous les amoureux de l’aviation en général, et du vol en montagne en particulier.

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