Depuis la fin du mois de septembre 1910, une nouvelle étoile brille au firmament de l’aviation. Disparu beaucoup trop tôt, disparu beaucoup trop jeune, le Péruvien Jorge Antonio Chávez Dartnell ouvre une ère de conquêtes aériennes à travers les massifs montagneux en devenant le ‘Vainqueur des Alpes’. Retour sur les motivations profondes de cet ingénieur pris de passion pour un sport nouveau…
L’ARGENT, MOTEUR DU PROGRÈS
Devenir aviateur, le rêve de tout enfant d’hier et d’aujourd’hui, filles comme garçons… Dans la période historique dont nous parlons, que certains dénommaient alors, et à juste raison, la ‘Belle Époque’, tous les rêves de développement technique et humain étaient permis, même si le fait de voler était encore réservé à une certaine élite, à des casse-cou à ou des trompe-la-mort. Manifestement, notre héros était de cette trempe là, celle des pilotes en quête perpétuelle de nouveaux records, dans tous les domaines.
Seulement, pour faire avancer l’aviation balbutiante, rien de tel que de stimuler l’entreprenariat aéronautique et les initiatives individuelles en créant des prix, symbolisés, pour la plupart, par des coupes sportives en argent ou en vermeil et au goût plus ou moins douteux, mais bien dans l’air du temps. À ces objets décoratifs censés témoigner de la virtuosité et du courage du récipiendaire, s’ajoutent des sommes d’argent permettant aux vainqueurs de vivre de leur art ou de poursuivre une aventure. Les grandes marques de Champagne sont pionnières dans ce domaine, leur soutien à l’aéronautique naissante leur permettant, en retour, d’accéder à une renommée mondiale.
Il faut souligner ici le rôle de la presse écrite qui, toujours à l’affût de sensationnel, émaille ses pages de manchettes et de photos de plus ou moins grande qualité rapportant les hauts faits des héros modernes, et sur tous les continents, pratiquement en même temps. L’aviation devient donc rapidement un bon moyen d’accéder à la célébrité et, par conséquent, de remporter des contrats lucratifs.
Et de l’argent, il en faut pour acquérir un avion performant, à défaut de le construire soi-même, pour participer à des épreuves sportives dans lesquelles la concurrence est rude, pour recruter une équipe de mécaniciens compétents, pour se faire assister ou soutenir par des « plumes » capables de préparer le terrain médiatique et de rapporter les moindres faits et gestes de leur vedette. Bref, une équipe de communicants avant l’heure.
LA SPIRALE INFERNALE
Après avoir battu le record d’altitude de 8 septembre (1910), « Géo » Chávez sait qu’il peut, qu’il doit aller plus loin et, surtout, « plus haut, toujours plus haut ! », comme il le dira sur son lit de douleur. Il s’inscrit donc pour participer à la course Brigue (Valais) – Milan (Lombardie) qui, dotée d’un prix de 80 000 francs or (soit un peu plus de 32 millions d’euros actuels), lui assurera un avenir prometteur. Comme on le sent bien à l’époque, rallier deux villes situées en plaine peut être considéré comme un jeu d’enfant. Cependant, malgré les dangers encourus, il faudra bien se résoudre à traverser les massifs montagneux, et principalement les Alpes, qui représentent encore un obstacle majeur à la communication aérienne internationale.
Donc, en 1910 et encore bien des années plus tard, parler d’aviation de montagne aurait paru bien incongru à des aventuriers ne rêvant que d’effacer lesdits massifs pour, in fine, s’en affranchir totalement. Chávez prend bien de l’altitude, emprunte les vallées, passe le col du Simplon pour descendre vers Domodossola. C’est bien le premier à réaliser un vol de cette nature et c’est en cela qu’il devient le premier aviateur de montagne.
Malheureusement, sa chute brutale lors de l’étape de Domodossola met fin à une aventure dont on n’a pas idée. En effet, unanimes dans l’encensement du jeune ange déchu, les narrateurs s’arrêtent à ses funérailles à Paris, plus rarement au transfert de son corps vers l’aéroport de Lima, au Pérou. Personne ne cherche à tracer la trajectoire initiée par le ‘Vainqueur des Alpes’. Ces dernières constituaient-elles un horizon indépassable ou aurait-il tenté d’aller plus loin et de ses transporter vers d’autres cieux ?
TENTATIVE D’UCHRONIE
Il est bien entendu extrêmement difficile d’écrire un avenir qui n’a pas existé. Cependant, un exercice de ce style, que les spécialistes appellent une uchronie, peut permettre de mieux comprendre l’enchaînement des faits et de compléter l’arbre des causes. Il est aisé d’imaginer que, fort de son succès et de son prix, le Péruvien Chávez n’aurait pas tardé à se poser la question de la traversée d’autres chaînes de montagnes mythiques, comme les Andes par exemple. Encore eusse-t-il fallu y être incité par la perspective d’une compensation financière suffisante. Or, avant la première guerre mondiale, l’Amérique latine reste à la traîne, sur bien des plans, l’aéronautique n’échappant pas à la règle.
ÉPILOGUE
Comme l’expérimentera deux années plus tard Juan Bielovucic, l’ami de Chávez, inutile de compter sur l’aide des autorités étatiques locales et encore moins sur des mécènes latino-américains. On applaudit des deux mains les héros d’un jour mais sans miser un seul Peso dans l’aventure aéronautique.
Sur ce sous-continent, la conquête des airs sera le fait de militaires du cru, forcément nationalistes, mettant en avant les machines équipant leurs armées respectives, ou encore de militaires étrangers promouvant leur propre industrie aéronautique nationale après le premier conflit mondial. Dans ce contexte, seule la frêle et inconsciente Adrienne Bolland viendra adoucir le tableau… si l’on peut dire…
Non, décidément, les temps ne sont pas mûrs pour une aviation civile typiquement sud-américaine. Dans ce contexte, Chávez aurait-il pu trouver des oreilles assez attentives pour l’écouter et des bourses assez déliées pour l’accompagner dans cette aventure ? Ce n’est pas certain…
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