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    16 août 1929 – Pedro Manuel Ficarelli s’écrase dans les collines de Sapucaí (Paraguay)

    Conformément à sa vocation, Pilote de montagne (PDM) a jusqu’ici tout naturellement axé ses recherches concernant les exploits aéronautiques en Amérique du Sud au franchissement aérien de la chaîne des Andes ainsi qu’aux rares atterrissages d’urgences s’y opérant en terrain accidenté. Aujourd’hui, nous rappelons le souvenir d’un pilote émérite d’Aeroposta Argentina, une filiale de l’Aéropostale française, trop tôt disparu en effectuant un vol par mauvaise visibilité dans une zone du Paraguay parsemée de collines. Une occasion de rappeler que c’est bien la météo qui commande le vol à vue…

    JEUNESSE ET DÉBUTS

    D’ascendance italienne, fils de Pedro Ficarelli et de Catalina Agoletti, Pedro Manuel Ficarelli naît le lundi 17 juin 1895 à Villa Casilda (province de Santa Fe/Argentine), un village rural et florissant situé à 50 kilomètres à l’ouest de Rosario.

    L’instructeur

    En 1920, il se voit attribuer le brevet de pilote n° 150 de l’Aero Club Argentino et acquiert un Bréguet XIV équipé d’un moteur Fiat de 300 chevaux, avec lequel il effectue du transport de passagers à partir de l’aérodrome de Rosario. Fin 1921, il est embauché par l’Aéro-Club de Rosario en tant que pilote-instructeur. Le dimanche 23 septembre 1923, son avion est détruit par la tornade qui s’abat sur l’aérodrome et sur l’aéro-club, tout comme les hangars ainsi que la plupart des avions qui y sont abrités.

    Ficarelli poursuit alors ses activités d’instructeur aux commandes de deux Morane-Saulnier MS 35 jusqu’en 1928, année au cours de laquelle il est embauché à la société Aeroposta Argentina (une filiale de l’Aéropostale française) créée par l’industriel et homme politique français Marcel Bouilloux-Lafont en septembre 1927, et dont le directeur n’est autre que le pilote argentin et héros de l’aviation de chasse française Vicente Almandos Almonacid.

    L’explorateur

    Considéré comme l’un des meilleurs pilotes du moment, Ficarelli reçoit pour mission d’entreprendre des vols exploratoires le long de la côte brésilienne, puis vers l’Uruguay.

    L’Argentine lui demande ensuite d’établir la cartographie des emplacements propices au développement de futurs aérodromes en Patagonie. Plus tard, Aeroposta Argentina, pionnière dans l’aviation aérocommerciale, lui demande d’inaugurer le premier vol aéropostal entre Buenos Aires et Asunción, au Paraguay.

    L’ARTICLE D’ALAIN BERGEAUD

    Pour bien comprendre l’ambiance de cette époque particulière, fions-nous à l’article publié par Alain Bergeaud et intitulé ‘L’Aviation française à la conquête des Amériques’ :

    « Après la création de l’Aeroposta Argentina, le [lundi] 5 septembre 1927 par Marcel Bouilloux-Lafont, et son choix pour effectuer la liaison internationale aérienne postale et de passagers Buenos AiresAsunción, son Directeur, Vicente Almondos Almonacid, recrute le pilote argentin d’origine italienne, Pedro Ficarelli, moniteur à l’Aéroclub de Rosario, le [mercredi] 1er février 1928.

    Le [mardi] 3 avril 1928, Pedro Ficarelli avec un Bréguet XIV, au départ de l’aérodrome de Général Pacheco, après une escale à l’Aéroclub de Rosario, effectue une première recherche de terrains d’atterrissage et d’escales dans les provinces d’Entre Rios, Corrientes et Formosa.

    Le [mardi] 5 septembre, après son périple en Bolivie, Jean Mermoz et ses deux mécaniciens rejoignent Asunción et, le [mercredi] 6, Buenos Aires. Le [mercredi] 12 septembre il est de retour à Asunción, pour amener Vicente Almandos Almonacid, qui signe le contrat postal avec le Paraguay, le [vendredi] 14 septembre. Paul Vachet est rappelé à Buenos Aires comme chef de trafic d’Aeroposta Argentina en octobre.

    Pour compléter les pilotes de la ligne du Paraguay, le [jeudi] 11 octobre, Jean Mermoz recrute Leonardo Selvetti, né en 1897 à Artigas (Uruguay), naturalisé argentin, moniteur à l’Aéroclub de Bahia Blanca.

    Le [mercredi] 31 octobre 1928, Paul Vachet aux commandes d’un Bréguet XIV partant de l’aérodrome Général Pacheco à 7 h atterrit sur le terrain d’Asunción à 18 heures, après avoir confirmé le choix de l’escale de Monte Caseros, Province de Corrientes, en Argentine.

    Les ‘vols d’essais’ Buenos Aires/Asunción (janvier 1929)

    Le mardi [mardi] 1er janvier 1929, à 6 heures, deux Laté 25 2-R quittent l’aérodrome Général Pacheco de Buenos Aires, à destination d’Asunción pour l’inauguration de la première liaison aérienne de transports de courrier et de passagers de la société Aeroposta Argentina SA.

    Le Laté 25-2R, n° 619, F-AIFX, avec aux commandes Paul Vachet, le Chef de trafic d’Aeroposta Argentina, Pedro Ficarelli, second pilote, José Oscar Gutierrey, mécanicien, Lydie Vachet, l’épouse de Paul Vachet l’ingénieur Padilla et, après un arrêt à Monte Caseros, atterrit sur le terrain militaire de Campo Grande à Asunción à 15 heures, suivi par le Laté 25-2R, n°631, F-AIJZ, avec aux commandes Leonardo Selvetti, et pour passagers, Ferrano, mécanicien, et Di Sandro, journaliste, qui transporte un peu de courrier et quelques exemplaires du journal ‘La Prensa’.Les aviateurs sont reçus à Asunción par les membres de la mission militaire française, le colonel Coulet, chef de la mission et le commandant Louis Fromont, chef de la mission militaire d’aviation.

    Le premier retour à lieu le lendemain : départ à 6 heures du F-AIFX piloté par Pedro Ficarelli, accompagné du mécanicien José Oscar Gutierrez, avec escale à Monte Caseros, qui atterrit à Général Pacheco à 13 h 35. Le [vendredi] 4 janvier, Pedro Ficarelli effectue à nouveau la liaison Buenos Aires-Asunción avec le même mécanicien et le retour le [lundi] 7, sert à préparer la liaison régulière.

    Jean Mermoz à Asunción (janvier 1929)

    Le [jeudi] 17 janvier, Jean Mermoz est à Asunción où il est le témoin du mariage du commandant Louis Fromont, chef de la mission militaire d’aviation, qui épouse Delphine Coulet, la fille du Chef de la Mission militaire française au Paraguay. Jean Mermoz a été son élève alors qu’il était détaché comme officier contrôleur à l’École civile d’aviation Farman à Toussus-le-Noble. Les mariés effectuent leur voyage de noce à Buenos Aires où ils se rendent avec un avion de l’Aeroposta Argentina. Le [vendredi] 18, ils sont accueillis à Général Pacheco par Jean Mermoz, Marcel Reine et Paul Vachet.

    Le [samedi] 16 février, Ficarelli utilise un Bréguet XIV équipé d’un moteur Renault de 300 CV pour transporter vers Asunción, le Président de la Fédération Aéronautique Internationale, le Comte Henri de la Vaulx, et Vicente Almandos Almonacid. Ils sont de retour le [mercredi] 20.

    Inauguration officielle de la liaison aérienne Buenos Aires / Asunción ([vendredi] 22 mars 1929)

    L’Aeroposta Argentina a commencé les services de courrier et le transport de passagers sans disposer des autorisations officielles du gouvernement argentin qui les a accordés après avoir mis à jour et publié la ‘Réglementation de la navigation aérienne sur le territoire Argentin’, le [mercredi] 27 février 1929.

    Les vols historiques effectuées en janvier sont considérés comme ‘essais’. Le premier vol officiel du service postal Buenos Aires-Asunción a lieu le [vendredi] 22 mars. Pedro Ficarelli aux commandes d’un Laté 25 quitte l’aérodrome Général Pacheco à 6 heures, avec pour passagers, Vicente Almandos Almonacid, Directeur d’Aeroposta Argentina, du Président de l’Aéroclub d’Asunción, le Docteur Eusobio Ayala et son épouse.

    « Trois pilotes chacun à l’arrière d’un capot lourd comme un chaland perdus dans la nuit méditaient leur vol, et, vers la ville immense, descendaient lentement d’un ciel d’orage ou de paix comme d’étranges paysans descendent de leurs montages.… Ainsi les trois avions postaux de la Patagonie, du Chili et du Paraguay revenaient du Sud, de l’Ouest et du Nord vers Buenos Aires. On y attendait leur chargement pour donner le départ, vers minuit, à l’avion d’Europe »

    (Antoine de Saint-Exupéry – ‘Vol de Nuit’ – 1931).

    UNE FIN TRAGIQUE

    Enfin, Ficarelli est affecté à l’exploitation de la ligne du Paraguay et effectue des vols réguliers et sans histoire… Le vendredi 16 août 1929, il décolle de Campo Grande (Asunción) à 5 h 45 du matin aux commandes du Laté 25 2R F-AIFX, accompagné du mécanicien Louis Queirolo et de Raymond Cortés, agent de la société Aeroposta Argentina à Posadas (Argentine). Un épais brouillard règne sur la ligne que doit emprunter le vol, mais Ficarelli décide de prendre l’air car « le courrier n’attentd pas ! »

    C’est le crash…

    Peu de temps après le décollage, tandis qu’il vole entre les localités paraguayennes de Sapucaí et de Caballero, l’appareil accroche la cime de quelques arbres situés au sommet d’une colline. L’impact est violent et l’aéronef vole en éclats en percutant le sol. Ficarelli est grièvement blessé (il a les deux jambes brisées) tandis que ses deux passagers réussissent à l’extraire des décombres de l’appareil en flammes.

    Cependant, Ficarelli refuse d’être soigné et apostrophe l’un de ses compagnons d’infortune : « Sauve le courrier ! » Queirolo s’évanouissant près de Ficarelli sur le lieu de l’accident, c’est donc Cortes qui, légèrement blessé, et selon la légende, sauve le courrier et part chercher de l’aide…

    Malheureusement, à l’arrivée des secours, Ficarelli est déjà mort. Sa dépouille est donc transportée par voie terrestre jusqu’à Asunción et veillée à l’Ambassade d’Argentine par le Dr Olivera et, entres autres, le Président de la République du Paraguay, le Dr José Pedro Guggiari.

    La réaction de Mermoz

    Jean Mermoz est informé de cet accident lors d’une escale d’un vol de la Compagnie Générale Aéropostale reliant le Brésil à Buenos Aires. Arrivé à Général Pacheco, il demande à Almonacid, Directeur de la société Aeroposta Argentina, l’autorisation de partir pour Asunción dans le but de rapatrier la dépouille de Ficarelli. De nombreuses années plus tard, Almonacid se souviendra avoir rappelé à Mermoz que l’entreprise ne disposait pas d’un avion adapté au transport d’un cercueil. En guise de réponse, Mermoz demanda qu’on lui confie un Laté 26 2R, alors l’avion le plus moderne et le plus puissant de la flotte.

    Almonacid ne pouvant refuser, Mermoz décolle le samedi 17 août à 9 h 45 aux commandes du Laté 26 2R F-AILP. Il vole vers Asunción en pleine tempête, mais est contraint de passer la nuit à Posadas (voir carte) et ne rejoint la capitale paraguayenne que le lendemain matin, le dimanche 18 août.

    Bien sûr, Mermoz est pressé de ramener la dépouille de son compagnon et, selon la légende, ne pouvant embarquer normalement le cercueil dans la carlingue, l’y introduit verticalement et l’arrime comme il peut… L’avion ainsi déséquilibré redécolle péniblement de Campo Grande à 10 h 45 mais, les conditions climatiques défavorables poursuivant Ficarelli même après sa mort, Mermoz doit passer la nuit à Monte Caseros, où il arrive à 17 h 45, en venant à bout de vents violents.

    Le Laté 26 2R arrive finalement à l’aérodrome Fisherton de Rosario le lundi 19 août vers 9 h 30, après 3 h 45’ de vol. Il y est accueilli, entre autres, par Alfredo Juan Rouillon Verci, Président de l’Aéro-Club de Rosario, par Paul Vachet et Guillermo Padilla, d’Aeroposta Argentina, et par Eduardo Bradley, de l’Aero Club Argentino. Pedro Manuel Ficarelli est ensuite inhumé au cimetière de ‘La Piedad’ de Rosario. Dans la journée, Jean Mermoz regagne Buenos Aires pour reprendre son service sur la Ligne…

    HOMMAGES

    Ficarelli est considéré comme la première victime de l’aviation commerciale argentine.

    Comme il le raconte dans ‘Le petit Prince’, Antoine de Saint-Exupéry célèbre le premier anniversaire de l’extension de la ligne vers Comodoro Rivadavia en survolant le terrain de Villa Harding Green, à Bahia Blanca, aux commandes du Laté 25 baptisé ‘Piloto Ficarelli’.

    Ce n’est qu’en 1995 qu’une plaque commémorative est apposée à l’aérodrome de Casilda.

    À Rosario, une rue du Barrio Ludueña est rebaptisée ‘Aviador Ficarelli’.

    Toujours à Casilda, la cour reliant la rue Cerrito à la rue 9 de Julio, est rebaptisée Pedro Ficarelli en l’An 2000.

    ÉPILOGUE

    Comme de nombreux articles publiés sur Pilote de montagne (PDM), le récit de la courte carrière d’aviateur de Pedro Manuel Ficarelli relève de l’anecdote, bien loin des hauts faits d’un Mermoz ou d’un Guillaumet. Il éclaire cependant l’histoire de l’Aéropostale en Amérique du Sud d’un jour particulier, car le destin du jeune martyr s’arrête net au sommet d’une colline de quelques centaines de mètres d’altitude seulement.

    Ce récit éclaire également un aspect de la personnalité de Jean Mermoz, surnommé ‘l’Archange’ depuis ses exploits dans les Andes. Pour ceux qui ont lu son ouvrage intitulé ‘Mes vols’, le héros fait, une fois de plus, la démonstration de ses immenses qualités humaines. Apprenant la nouvelle du crash de Ficarelli, sa décision est prise : il se doit de rapatrier la dépouille de son compagnon en Argentine, le plus rapidement possible… Dans ce contexte, sa demande à Vicente Almondos Almonacid est purement formelle, car la réponse coule de source.

    Décidément, l’histoire de l’Aéropostale française et de ses filiales sud-américaines est riche en aventures et en drames susceptibles d’éclairer le lecteur sur la trempe des pionniers de l’aviation de ce temps là…

    Éléments recueillis par Bernard Amrhein


    SOURCES

    • Mémoire de Mermoz, Bulletin de janvier 2019
    • ‘L’Aviation française à la conquête des Amériques’ Alain Bergeaud
    PdM
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    Pilote de montagne (PDM) est une association à but non lucratif accueillant tous les amoureux de l’aviation en général, et du vol en montagne en particulier.

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