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    25 août 1980 – Décès de Robert (‘Bob’) Campbell Reeve, pionnier du vol de brousse et de l’aviation commerciale en Alaska

    Afin d’approfondir son champ d’action, Pilote de montagne (PDM) étend ses investigations au domaine de l’aviation dite « de brousse » dans différentes contrées sauvages de notre planète. En effet, en bien des endroits, les aviateurs défrichent des pistes en pente n’ayant rien à envier aux altisurfaces européennes, ou se posent en terrain non préparé, le plus souvent accidenté, ou encore sur ce qu’il reste de glaciers. Aujourd’hui, intéressons-nous à l’histoire de l’Américain Robert (‘Bob’) Campbell Reeve, qui se lance dans de nouvelles activités aéronautiques en Alaska au début des années 1930…

    JEUNESSE

    Robert (‘Bob’) Campbell Reeve naît à Waunakee (État du Wisconsin) le jeudi 27 mars 1902. Il a un frère jumeau, Richard, qui décèdera le vendredi 10 juin 1932, et un second frère, Hubert Wesley qui, né le dimanche 19 juin 1904, décèdera le jeudi 30 novembre 1972. Leur père, Hubert Lester Reeve (1867/1949), est agent de dépôt et télégraphiste de la compagnie de chemin de fer Chicago and North Western (CNW) passant par Waunakee. Leur mère, Mae Reeve, décède en 1904 et leur père épouse en secondes noces Dollie I. Gregg, avec laquelle il a une fille. Les garçons doivent se débrouiller par eux-mêmes et se séparent très tôt.

    Dès l’âge de sept ans, Robert découvre l’épopée les frères Orville et Wilbur Wright et, fasciné par l’aviation, étudie tout ce qu’il peut à ce sujet, décidant que « l’avenir du monde est dans l’air ». Les exploits de Calbraith (‘Cal’) Perry Rodgers, le premier pilote transcontinental américain, captivent le garçon et lui permettent de voyager… en rêve.

    En 1917, à l’âge de 15 ans, Reeve s’ennuie à l’école et fugue pour s’enrôler dans l’United States Army dès l’entrée en guerre des États-Unis d’Amérique dans la Première Guerre mondiale aux côtés des Alliés. Cependant, il doit s’y prendre à deux fois pour être enfin accepté, à Davenport, dans l’Iowa.

    Dans l’armée, Reeve assiste à son premier vol d’avion lorsqu’un Curtiss JN-4 ‘Jenny’ survole Fort Benjamin Harrisson, en Indiana. Plus tard, alors qu’il est affecté à Camp Custer, au Michigan, il débourse 5 $ pour s’offrir son baptême de l’air, un vol qui ne dure que cinq minutes. Mais cinq minutes qui changeront totalement sa vie.

    Libéré de ses obligations à la fin de ce conflit avec le grade de sergent, et sans avoir été engagé en Europe, il souhaite renouveler son contrat, mais son père s’y oppose. Il retourne alors un temps sur les bancs du lycée, mais abandonne ses études au bout de quelques mois pour se rendre à San Francisco (Californie). De là, il embarque comme simple matelot vers Shanghai (Chine), où il s’engage dans le Service des douanes maritimes chinoises et remonte les rivières Yangtzé (le fleuve ‘Bleu’) et Taku. En 1921, il travaille à Vladivostok, le port le plus oriental de la nouvelle Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS), mais rentre chez lui en 1921, à la demande expresse de son père.

    À Waunakee, plus motivé que jamais, Reeve se met enfin au travail termine ses études secondaires en à peine six mois, puis rejoint son frère à l’Université du Wisconsin à Madison en 1922. Une photo de l’aviateur Carl Ben Eielson épinglée sur le mur de leur internat conduit Reeve, George Gardner, Monk MacKinnon et Ora McMurray à sauter les cours pour passer du temps sur l’aérodrome de Madison, où Cash Chamberlain possède un Curtiss JN-4 ‘Jenny’. Les quatre adeptes de l’école buissonnière sont renvoyés de l’université quelques mois avant la remise de leur diplôme. Cependant, Reeve est maintenant conforté dans sa vocation de pilote et, plus tard, Gardner et MacKinnon deviendront respectivement président et vice-président de la compagnie aérienne Northwest Airlines.

    LE ‘BARNSTORMING’

    En 1926, Reeve se rend en Floride, puis à Beaumont, au Texas, à la recherche d’une formation de pilote. En échange de deux mois de travaux sur un aérodrome, il obtient trois heures d’instruction de vol (au lieu des cinq promises), ce qui lui suffit pour voler en solo.

    Lorsque la Loi sur le commerce aérien de 1926 entre en vigueur, il obtient l’une des premières licences de mécanicien de moteurs d’aéronefs, ainsi que sa licence de pilote professionnel. C’est alors qu’il se lance dans le barnstorming’ (qui, à l’origine, consiste à écraser un avion sur une grange), c’est-à-dire la voltige aérienne.

    Trouver un emploi de pilote s’avérant, à cette époque, assez difficile, il s’engage à nouveau dans l’United States Army Air Corps (USAAC) à March Field (Californie), où son frère Richard est cadet. C’est là qu’il rencontre Nathan Twining, jeune officier de l’armée et instructeur de vol, qui deviendra un officier général de haut rang et un ami pour la vie. Cependant, Reeve n’étant décidément pas fait pour l’armée, il la quitte la première occasion.

    L’AMÉRIQUE DU SUD

    À la fin des années 1920, la Pan American Airways (Pan Am) signe un partenariat avec la W. R. Grace and Company, une compagnie maritime afin de soumissionner pour un contrat de transport aérien en Amérique du Sud.

    En 1928, Reeve est embauché par la Ford Motor Company (FMC) pour apprendre à piloter son nouvel avion, le Ford ‘Trimotor. Il termine ses études à la Ford Flight Training School de Phoenix, puis fait cap vers le Sud. En effet, il est envoyé en Équateur pour attendre, à Guayaquil, un avion expédié en pièces détachées. ‘Bob’ livre le premier Ford à Lima, au Pérou, le jeudi 1er août 1929 pour Pan American-Grace Airways (Panagra), un partenariat entre Pan Am et W.R. Grace and Company. La compagnie aérienne offre à ‘Bob’ la possibilité d’emprunter la nouvelle route long courrier, la Foreign Mail Route 9, alors la plus longue route au monde. En effet, celle-ci s’étire sur 1 900 milles (soit 3 100 km) entre Lima, via la zone du canal de Panama, et Santiago du Chili. Les avions sélectionnés sont le Fairchild 71 et le Lockheed ‘Vega’. ‘Bob’ préfère le Fairchild pour sa fiabilité, car il est, selon lui, à haute altitude, le meilleur de tous les avions qu’il ait pilotés et établit avec lui deux records le long de cette route.

    En 1930, la route est prolongée vers Montevideo, en Uruguay. C’est à cette époque que Reeve apprend à voler en brousse, à développer des techniques pour éviter les brouillards côtiers (ce qui lui servira plus tard en Alaska) et à survoler les Andes à des altitudes dépassant 23 000 pieds (soit 7 010 mètres) sans oxygène. Il établit un record de vitesse entre Santiago du Chili et Lima, couvrant les 1 900 milles séparant des deux villes en 20 heures. En janvier 1932, il s’écrase à Santiago aux commandes d’un Lockheed ‘Vega’ de Panagra et démissionne pour ne pas être renvoyé…

    L’AVENTURE ALASKAINE

    Le déplacement de Reeve vers l’Alaska est la conséquence d’événements sans liens entre eux. En effet, il rencontre au Chili un prospecteur du Klondike, Swiftwater Bill’ Gates, qui lui parle de la Ruée vers l’or, trente ans plus tôt. Il parle également à Eddie Craig, ingénieur minier à la mine de cuivre Kennecott, en Alaska, au début des années 1900. Ces histoires et l’idée qu’il existe un pays neuf à conquérir attirent Reeve vers le Nord. Et, surtout, il est maintenant libre, comme un oiseau…

    Faux départ

    Cependant, une courte étape au Wisconsin se transforme en convalescence lorsque Reeve traverse une mince couche glace lors d’une partie de chasse. Trempé, il parcourt les quatre milles pour rentrer chez lui. Ce que Reeve prend d’abord pour un rhume, puis pour un rhumatisme musculaire, est en fait un accès de poliomyélite. L’effet sur l’une de ses jambes le dérange pendant des années.

    Des débuts difficiles

    Après avoir passé un mois au lit, il fait ses valises et se dirige vers l’ouest, monte à bord d’un bateau à vapeur en direction d’Anchorage (Alaska) avec 2 $ en poche. Trouvant dans cette ville trop de pilotes à son goût, il prend quelques conseils, se rend à Seward et s’installe finalement à Valdez au cours de l’été 1932, avec les 20 cents restants…

    Sur l’aérodrome de Valdez, Owen Meals (le pionnier de l’aviation en Alaska) s’est écrasé aux commandes d’un avion Alexander Eaglerock équipé d’un moteur Wright J-5 ‘Whirlwind’ (un moteur à pistons en étoile) devant servir de moteur de rechange à Sir Hubert Wilkins pour sa tentative de traversée du Pôle Nord jusqu’au Spitzberg. Reeve travaille un mois durant, à 1 $ de l’heure pour réparer cet appareil, puis le loue à Meals pour 10 $ de l’heure. Après avoir créé une piste d’atterrissage, il peut enfin se lancer dans les affaires.

    Son premier vol charter a pour destination Middleton Island, où la plage semble bien se prêter à un posé, mais l’avion s’enfonce jusqu’aux roues dans le sable mou. Un vieux bloc et un vieux palan sont trouvés sur place et sont utilisés pour sauver l’avion de la marée montante. Reeve réussit à décoller et tente de retourner à Valdez, mais il est forcé d’atterrir à Seward en raison d’une tempête. Lorsqu’il parvient finalement à Valdez, ses réservoirs sont presque vides et il n’a pas gagné un centime. Cependant, Reeve estime que ce voyage vaut bien 1 000 $ d’expérience, et découvre, en particulier, que la plus grande préoccupation du pilote de brousse est de devoir payer l’essence 0,25 $ le gallon à un endroit, et 1,50 $ ailleurs.

    UNE NOUVELLE‘RUÉE VERS L’OR’

    Après son premier vol, Reeve étudie minutieusement les imposants massifs montagneux environnant Valdez. Pendant qu’il effectue le tour des sommets et survole les langues de glace s’écoulant sur des pentes arides et abruptes, le pilote, avec l’instinct d’un prospecteur, pressent que dans une terre aussi inhospitalière et presque infranchissable par voie terrestre se trouvent des richesses inestimables. Malheureusement, les filons superficiels ont déjà tous été exploités en Alaska et dans le Yukon et, en 1932, Valdez, est une ville morte.

    Vol hivernal dans les Wrangell Mountains

    Malgré tout, Reeve se sent stimulé par les affirmations des géologues selon lesquelles de riches filons de quartz se trouveraient encore dans les montagnes inaccessibles et étaient à peine explorés en raison du coût financier et du travail physique nécessaires pour les atteindre. Outre les fameuses mines du Chugach, qui avaient fait de Valdez un grand centre minier avant la Grande Dépression, Reeve devine que les montagnes Wrangell s’étendant vers la frontière sud-est du territoire lui offrent un avenir prometteur.

    Il ne faut pas longtemps à Reeve pour rencontrer des conditions météorologiques extrêmes lui imposant de prendre toute la mesure de l’environnement naturel, ce qui, entre autres choses, est crucial pour garantir le succès dans le domaine aéronautique en Alaska, une terre de contraste et de changement. « La voie du pilote est difficile dans ce pays et les périls qui se trouvent au-dessus et sous la couverture blanche de neige sont nombreux », avertit le ‘New York Times’ (NYT) en 1932. « En hiver en Alaska, cela signifie […] un combat pour la vie. Il n’est pas étonnant, fait remarquer l’écrivain Harmon ‘Bud’ Helmericks, que les pilotes expérimentés aient tous été respectueux des conditions météorologiques. »

    Pour Reeve, le fait d’être « résistant aux intempéries » fait simplement partie du travail, une compétence qu’il perfectionne très certainement dans le cadre de son premier contrat dans les Wrangells. Son travail consiste à transporter des fournitures dans la région isolée de Chisana. À l’époque, le seul moyen d’entrer ou de sortir d’un camp minier confronté aux intempéries toute l’année, est de transporter des fournitures en franchissant les montagnes à cheval ou en traîneau, ou si l’on peut se le permettre, d’affréter un vol avec Gillam Airways. Reeve est embauché pour transporter des fournitures à Chisana au prix raisonnable de 20 cents la livre. Afin de maintenir ses prix bas, Reeve détermine que le moyen le plus commode de livrer des marchandises par la voie des airs est d’acheminer le carburant et les colis par camion via la Richardson Highway de Valdez à Chistochina, où il base son Alexander Eaglerock de location au relais routier. De là, il achemine son fret par-dessus les Wrangells, jusqu’à Chisana.

    En 1932, les relais routiers sont bien équipés pour héberger les voyageurs. Au lieu de chenils pour les chiens de traîneau, de nombreux relais disposent désormais d’une piste d’atterrissage, ce qui encourage les pilotes fatigués à y passer la nuit. Dirigé par Florence ‘Ma’ Barnes, le relais routier du Copper Center constitue une base privilégiée pour les rotations, car il dispose d’une ligne téléphonique permettant aux pilotes d’obtenir des bulletins météorologiques. Mi-novembre, dans le bassin de la rivière Copper, les températures chutent aussi rapidement que la lumière du jour disparaît. Quelle que soit l’huile moteur employée, le pilote doit la vidanger avant la nuit afin d’éviter qu’elle gèle, faute de quoi le moteur serait irrémédiablement endommagé.

    En 1957, dans son journal intime, Reeve rappelle que, pendant les premiers hivers, il doit supplier le propriétaire du relais de l’autoriser permettre à réchauffer l’huile près du poêle pendant la nuit. Bientôt, il constate que les cuisiniers sont « aussi bons que les pilotes », car ils placent régulièrement le bidon d’huile à côté de la cuisinière avant de commencer à griller les gâteaux. Avant le décollage, les pilotes doivent réchauffer le moteur grâce à un brasero recouvert d’une bâche pour empêcher le vent d’éteindre la flamme.

    Le rôle social du pilote de brousse

    À Chisana, anticipant l’arrivée de l’aviateur, les mineurs de se portent souvent à la rencontre de son avion sur la piste. « On s’attendait à ce qu’un pilote de brousse serve de facteur, de messager et d’agent d’achat pour des hommes bloqués toute l’année sur les sites de la mine, rappelle Reeve. À l’instar du personnel du relais, les mineurs isolés apprécient les articles provenant des marchés éloignés et les pilotes acceptent de jouer ce rôle dans un nouveau système reliant les Alaskains au monde moderne. Néanmoins, Reeve soutient qu’au lieu d’apporter l’American way of life (avec ses marchandises, ses technologies et ses affaires…) dans les territoires les plus reculés du Grand Nord, ses services aériens relevaient plutôt d’un esprit de frontière avec l’Alaska. » Comme il l’écrit, toujours en 1957, « c’était beaucoup plus qu’un paquet d’aiguilles ou un paquet de tabac à priser. C’était l’assurance qu’ils faisaient encore partie du monde extérieur, conforme à la tradition de fraternité régnant en Alaska ».

    Malgré l’affirmation de Reeve selon laquelle l’aide aux mineurs isolés est sa vocation en Alaska pendant les pires années de la Grande dépression, l’idée va à l’encontre du mercantilisme ambiant. Comme Reeve le souligne lui-même, il est toujours difficile d’être vraiment remboursé à l’arrivée. C’est pourquoi, au lieu de se consacrer à des mineurs désargentés, Reeve se spécialise bientôt dans le transport de fret. Ses concurrents dans la région des Wrangells préférent apparemment transporter des passagers qui, comme le déclare Harold Gillam, peuvent « utiliser leurs deux jambes » pour descendre de son avion. Ce à quoi Reeve, le pragmatique, rétorque : « Le fret ne pose pas de questions », ce qui en dit long sur son caractère. Plus important encore, les compagnies minières affrétant des vols avec Reeve s’acquittent généralement de leurs factures, elles…

    En mars 1933, Reeve prend un ordre pour Chisana. Sur le chemin du retour vers Valdez, son moteur s’arrête et il effectue un atterrissage forcé sur les pentes du Mount Wrangell. Son passager et lui-même doivent utiliser des raquettes pour parcourir les 20 milles (32 km) jusqu’à la Nabesna Mine où le propriétaire, Carl Whitham, leur porte secours. Ils s’en retournent à Valdez pour demander de l’aide, obtiennent les pièces de rechange pour réparer le moteur et retrouvent l’avion, dont les trois hommes réparent le moteur, en se servant d’un arbre pour le hisser hors de la nacelle.

    Pendant toute la Grande Dépression, on parle constamment de rouvrir les mines d’or. L’une des plus grandes est alors la Big Four Mine, située sur le glacier de Brevier, à seulement 30 milles (48 km) de Valdez, mais à une altitude de 6 000 pieds (1 800 m). Clarence Poy, de San Francisco, prétend qu’il achèterait la mine si Reeve y transportait ses hommes. Le pilote emmène le propriétaire de la mine, Jack Cook, à la mine afin de l’inspecter. Il s’avère alors que le point d’atterrissage n’est pas aussi bon que prévu mais, même si l’avion s’enfonce partiellement dans la neige molle, l’appareil ne subit aucun dommage. Plus tard, Reeve trace une piste d’aviation avec des fanions et du noir de fumée.

    Le succès de Reeve dans l’approvisionnement de la Big Four Mine lui permet de conclure d’autres contrats avec d’autres mines : Mayfield, Little Giant et Ramsay Rutherford. Pendant ce temps, Reeve en apprend davantage sur l’évaluation de la pertinence des sites d’atterrissage à partir des airs, et développe la technique de largage des approvisionnements par voie aérienne. Les mineurs sont si désireux d’obtenir leurs fournitures qu’ils sont prêts à payer pour un nouveau chargement au cas où les fournitures seraient endommagées une fois larguées.

    L’âge d’or de l’aviation de brousse en Alaska

    Ce qui est certain, c’est que Reeve débute son activité de fret aérien au moment idéal. Même si le géant minier Kennecott Copper Corporation a temporairement fermé ses mines, ce qui a marqué le déclin inévitable de la production de cuivre de la région, l’impact de la Grande dépression réduit les coûts en équipement et autres fournitures, diminuant par contrecoup, et de façon exponentielle, les frais généraux pour l’exploitation des filons d’or dans l’est de l’Alaska.

    En outre, en 1932, le Congrès des États-Unis d’Amérique adopte une loi libérant les propriétaires de l’obligation d’effectuer les travaux d’évaluation annuelle, sauf ceux tenus de payer des impôts fédéraux sur le revenu. Plus important encore, la prospérité des activités aurifères découle des nouvelles politiques fédérales visant à reconstituer les réserves de métaux précieux du pays.

    Partout au pays, des gens désespérés retirent leurs économies des banques locales, contraignant celles-ci à la faillite. Sans capitaux disponibles pour de nouveaux investissements, l’économie a stagne, s’arrêtant presque complètement en 1932, l’année où Reeve arrive à Valdez. Peu après son investiture, en 1933, le président Franklin Delano Roosevelt signe une série de décrets visant à empêcher la fuite des capitaux et, finalement, la faillite des banques, ce qui aboutit au Gold Reserve Act (Loi sur la réserve d’or) de 1934. Cette loi du New Deal fait de la Federal Reserve Bank (Banque de la réserve fédérale) la seule institution financière pouvant légalement acheter de l’or, la loi criminalisant la détention ou l’acquisition d’or par tout citoyen américain. Cette loi exige également que tout l’or nouvellement extrait dans le pays soit acheté par le Département du Trésor des États-Unis. Plus important encore, la Loi sur la réserve d’or augmente le prix nominal de l’or de 20,67 $ l’once à 35,00 $. La valeur de l’or du gouvernement fédéral, qui a presque doublé du jour au lendemain, s’accroît de 2,82 milliards de dollars. La flambée des prix de l’or rend également très rentable l’extraction de l’or.

    En Alaska, où les histoires de ruées vers l’or et de concessions indépendantes continuent de faire rêver les citoyens, la Loi sur les réserves d’or donne un énorme coup de pouce à une activité minière déprimée. Comme le rapporte alors le gouverneur John Weir Troy, « les perspectives matérielles de ce territoire n’ont jamais été aussi brillantes qu’aujourd’hui ». Pour sa part, l’écrivain Rex Beach parle du soutien fédéral comme étant « un peu d’aide gouvernementale intelligente ». Grâce à un marché presqu’entièrement artificiellement contrôlé par le gouvernement fédéral, des mines qui n’ont pas fonctionné depuis des années rouvrent soudainement. Les citoyens indépendants de la Dernière Frontière sont trop occupés pour s’inquiéter que l’exploitation aurifère soit devenue une activité non compétitive.

    Valdez, comme d’autres villes fantômes de la Ruée vers l’or, revient à la vie lorsque les mineurs affluent en ville avec des lingots d’or. Les journalistes territoriaux proclament que le port de Prince William Sound est « la clé du cœur doré de l’Alaska » (‘Valdez Miner’, 1934). Plus important encore pour les voyageurs, les investisseurs miniers peuvent maintenant se permettre d’affréter des vols vers des prospects éloignés et développer de nouveaux claims. Alors que l’économie du pays reste au point mort pendant encore plusieurs années, les activités minières revitalisées de l’Alaska redécollent avec l’aide du gouvernement fédéral et d’un nouvel outil minier, l’avion.

    Sans la loi fédérale, il est probable que Reeve Airways n’aurait jamais pu prendre l’air. Cependant, la réouverture des mines de haute altitude, combinée à l’investissement croissant dans l’exploration, maintient Reeve en l’air presque 24 heures sur 24. Pendant les mois d’été, Reeve passe un accord avec les propriétaires de la mine pour qu’ils envoient un homme à pied vers la ville avec la commande lorsqu’ils ont besoin de fournitures fraîches. ‘Bob’ récupère alors la commande et la livre à la mine par largage aérien…

    En 1934, Clarence William Poy, ingénieur minier et directeur de la mine de Bremner, déclare au ‘Valdez Miner’ que « parachuter un moteur diesel de 1 000 livres d’un avion au-dessus d’une mine de l’Alaska constitue l’une des dernières prouesses de l’aviation en aidant le prospecteur dans l’État pionnier, sans parler de la dynamite, du carbure, des conserves, du bois, de l’acier de forage, de la viande, du pétrole et, en bref, tout sauf des œufs au cœur du Nord gelé ». Outre les mines en plein essor dans les environs de Valdez, Reeve Airways – à grand renfort de publicité – enregistre également un accroissement des activités des mines dans les Wrangells, telles que Chisana, Nabesna, ainsi que dans la nouvelle mine d’or de Bremner, dans la chaîne isolée de Chugach.

    Décollages sur vasière et atterrissages sur glacier

    Toujours en 1934, le besoin accru en transport aérien permet également au pilote de développer un mode opératoire si singulier qu’il acquiert une solide réputation. Suivant les expériences menées par les aviateurs européens opérant dans les Alpes, Reeve livre des fournitures dans les mines des monts Chugach et Wrangell en atterrissant sur des pistes de fortune, au plus près des fouilles.

    Pour opérer ses vols, ‘Bob’ Reeve monte des skis artisanaux sur son Fairchild et les vasières bordant Valdez (surnommées ‘Mudville’ par ses concurrents) deviennent sa piste d’atterrissage. « Pendant que d’autres pilotes fonctionnaient à l’horloge et au calendrier, se souvient Reeve, j’ai commencé à utiliser un calendrier des marées comme manuel d’opération. » Parce que son travail lui impose d’évoluer en milieu boueux sentant le saumon pourri et les algues en décomposition, Reeve souffre d’une réputation d’aviateur sale. Cependant, tout le monde n’est pas impressionné par le concept de Reeve. Cible fréquente de la publicité comparative de Reeve, Harold Gillam (toujours méticuleusement soigné, lui), rétorque dédaigneusement, parlant de certains contrats : « Reeve peut l’avoir ! »

    Vidéo : https://vilda.alaska.edu/digital/collection/cdmg11/id/17786

    À proximité de la plupart des mines d’altitude se situent des glaciers où, même en été, règnent des conditions hivernales. Reeve constate que, sur la plupart de ces glaciers, la neige gèle aussi dur que du béton. Il remplace donc les roues du Fairchild par des skis en bois, faisant instantanément de chaque champ glaciaire une piste d’atterrissage possible permettant d’approvisionner facilement les dépôts de quartz affleurants.

    Après une série de tentatives et d’erreurs sur les rivières de glace en constante évolution et potentiellement mortelles, Reeve perfectionne sa nouvelle niche en accordant une attention particulière à un environnement glaciaire relativement méconnu. Il apprend à atterrir dans une lumière blafarde sur un glacier sans relief en exécutant une passe préliminaire tout en jetant des objets sombres, tels que des gunny sacks’ (sacs en toile de jute) teints en noir, ou des branches de saule… tout ce qui lui procure une perception de profondeur. Il installe également des fanions et saupoudre le sol de suie pour marquer la zone d’atterrissage. Reeve apprend à identifier l’emplacement des crevasses, pour la plupart invisibles, en cherchant une légère ondulation à la surface, où la neige n’est pas aussi bleue que le sol environnant. Pour Reeve, la règle de base est la suivante : plus la neige est légère et sèche, plus elle est dangereuse. Enfin, comme pour un arrêt en hockey, il apprend à tourner son avion à 90 degrés sur la pente avant de couper le moteur afin de ne pas glisser en arrière.

    Bien que ‘Bob’ Reeve et Harold Gillam se respectent mutuellement en tant que pilotes, leurs vues sur la réglementation gouvernementale de l’aviation en Alaska divergent. Gillam pense que la réglementation rend le vol plus sûr et plus économique, tandis que Reeve déplore que cela implique plus d’ingérence gouvernementale dans le domaine aéronautique. Le principal problème auquel Reeve est confronté est qu’en mai, la neige sur la piste d’atterrissage de Valdez fond, rendant impossible l’accès aux mines d’altitude avec des skis pendant les mois chauds de la fin de l’été. En hiver, alors qu’il peut enfin remplacer ses roues par des skis, les sites miniers disparaissent avec les chutes de neige s’accumulant rapidement. Reeve, un virtuose de la mécanique, résout ce problème en équipant son Fairchild avec des skis artisanaux en acier inoxydable et en décollant depuis les vasières de Valdez à marée basse. Cependant, contrairement à la neige, la boue collante crée une aspiration sous ses skis, ce qui rend extrêmement difficile le décollage. Une fois en mouvement, Reeve doit secouer physiquement l’avion afin de décoller les skis. Cependant, à quelque chose malheur est bon car cette technique inventive de décollage en vasière lui permet de ravitailler les mines toute l’année…

    Les touristes arrivant par bateau à vapeur sont souvent surpris à l’aérodrome de Reeve, surnommé ‘Mudville’ par ses rivaux. Moins d’un an et demi après son arrivée, Reeve a acquis la réputation d’un pilote « très compétitif » et « extrêmement imbu de ses compétences de pilote ». Les compétences de Reeve en matière de vol sur les glaciers et les vasières, en plus de stimuler l’industrie minière, suscitent l’imagination d’une population déprimée incapable de rêver. Le journaliste Rex Beach rédige plusieurs articles faisant la promotion de l’exploitation minière en Alaska et centrés sur Reeve. L’auteur affirme avec passion que le gouvernement fédéral devrait investir encore plus d’argent pour créer une infrastructure moderne pour l’aviation en Alaska.

    Toujours selon Beach, le Territoire (car l’Alaska ne deviendra un État que le samedi 3 janvier 1959) pourrait attirer toute une flotte de « prospecteurs du ciel », ce qui, selon lui, serait « le moyen le plus rapide de débloquer le trésor doré de l’Alaska et de fournir immédiatement des milliers d’emplois aux jeunes Américains sans travail ».

    La fin d’une époque

    À la fin des années 1930, la réglementation gouvernementale et le début de la Seconde Guerre mondiale mettent un terme à l’approche dilettante du pilote de glacier travaillant pour les activités minières. En 1938, le gouvernement fédéral prend les premières mesures pour réglementer l’aviation commerciale du pays, en demandant la mise en place d’un système de transport aérien sûr et fiable et, pour la première fois, la distribution de contrats postaux. Plus important encore, le Civil Aeronautics Act établit les premières lignes aériennes commerciales régulières en Alaska.

    L’année 1938 est particulièrement funeste pour Reeve. En effet, après plusieurs exploits reconnus à l’échelle nationale en 1937, une combinaison d’accidents à l’atterrissage, d’une tempête de vent et d’un incendie dans un hangar le cloue au sol sans avion pendant six mois. Cela permet à ses concurrents de monopoliser les liaisons vers Chisana, Nabesna, McCarthy et Bremner.

    Cependant, le Civil Aeronautics Board détermine les résultats et accorde finalement des certificats à une compagnie aérienne en fonction de la ‘clause d’antériorité des droits’ (vulgarisée sous l’appellation ‘clause du grand-père’). Cette clause stipule que tout pilote ou service aérien assurant des vols réguliers au-dessus d’une zone donnée entre le samedi 14 mai et le mardi 2 août 1938 conserverait les droits exclusifs de desservir cette zone à partir de ce moment. À l’époque, Reeve ne dispose pas d’avions pour faire des affaires et le pilote concurrent est ironiquement expulsé de Valdez et de la majeure partie de l’Alaska en vertu d’une loi fédérale.

    Cependant, le véritable coup porté à des aviateurs comme Reeve, dont les affaires dépendent presque entièrement des activités minières, est le raisonnement du gouvernement fédéral selon lequel il n’est pas logique de dépenser de précieuses ressources pour la production nationale du métal précieux. Le coup de grâce pour l’industrie aurifère survient le jeudi 8 octobre 1942, lorsque le War Production Board (WPB/Bureau de la production de guerre) déclare l’exploitation de l’or comme une industrie non essentielle et ordonne que la plupart des mines d’or alluvionnaire et de filon sur le sol américain cessent indéfiniment. Face à l’incertitude, les mines de Nabesna et de Bremner ferment, et Reeve déménage avec sa famille vers Fairbanks, confiant en 1957 à sa biographe, Beth Day : « J’avais quarante ans, avec une famille en pleine expansion, un avion cloué au sol et aucun avenir. » La décision d’abandonner les monts Wrangell touche Reeve personnellement, car le pilote est intimement lié aux opérations minières environnantes. En effet, il possède 846 actions de Yellow Band à Bremner et a même nommé son plus jeune fils Whitham, en hommage à son ami Carl Whitham, propriétaire de la mine Nabesna.

    ‘Bob’ trouve toujours des façons uniques de relever les défis. L’une des solutions qui lui vaut un succès mondial est sa technique de décollage depuis les vasières de Valdez… sur skis. Cette méthode lui permet de livrer ses clients miniers toute l’année, même pendant les périodes de dégel ou de pluie. Avant de quitter Valdez, en 1938, Reeve effectue plus de 2 000 débarquements sur glace, transportant plus d’un million de livres de fret. Le célèbre correspondant de guerre du Second Conflit mondial Ernie Pyle appelle ‘Bob’ Reeve ‘The Glacier Pilot’ (‘le pilote de glacier), un surnom qui colle à la peau de celui-ci pour le restant de ses jours.

    Cet hiver-là, Reeve est embauché pour transporter des fournitures à Chisana pour 20 cents la livre, sa base étant à Christochina, où une petite piste est créée avec de hauts obstacles à chaque extrémité de la piste. L’huile des moteurs de l’avion doit être vidangée chaque nuit et réchauffée sur une cuisinière chaque matin avant d’être remise dans le carter, car il fait tellement froid qu’elle risque de geler. Dans cette opération, Reeve réalise un profit de 2 000 $ sur la route de Chisana et entend parler d’un Fairchild 51 à vendre à Fairbanks. C’est le type d’avion qu’il avait déjà utilisé dans les Andes. Il l’achète pour 3 500 $, avec une mise de fonds de 1 500 $ et le solde à régler en moins de deux ans.

    ‘TILLY’

    En 1934, le prix de l’or a presque doublé grâce au New Deal Gold Reserve Act et Valdez explose littéralement. Au cours de l’été, les exploits de Reeve, y compris l’atterrissage sur vasières font régulièrement la une des journaux. Il reçoit des lettres de fans, dont celles d’une certaine Janice Morisette, qui lui demande s’il a besoin d’un coup de main. Janice vit à environ 30 milles de la ville natale de Reeve. Ils correspondent pendant quelques mois et Janice s’envole pour Valdez en Juin 1935. Reeve termine une mission de prospection au Canada, mais sa curiosité l’emporte et il revient au bout d’un mois seulement. Quand il voit Janice pour la première fois, elle lui rappelle Tille the Toiler’ (‘Tilly le Travailleur’), un surnom qui lui restera.

    Reeve s’essaie lui-même à l’exploitation minière et se joint au prospecteur Andy Thompson pour prospecter la Ruff & Tuff Mine. Il se rend au Canada en 1936 pour exploiter des placers afin de financer la mine en question, mais sans le succès escompté. Il retourne donc à la Valdez pour reprendre les livraisons par air. Il y gagne assez d’argent pour acheter de l’équipement de base pour le Ruff & Tuff et, plus tard, lui et Thompson revendent la mine, Reeve obtenant le contrat pour la fournir. Entretemps, Janice se rend à San Francisco. En avril 1936, l’aviateur décide qu’en dépit de revenus sporadiques, il épouserait Morisette et ils se marient donc à Fairbanks. L’aviateur achète un autre avion, un Fairchild 71, pour célébrer l’événement.

    Reeve effectue plusieurs modifications sur son avion, qu’il tente de ne pas communiquer à l’inspecteur local. Interrogé à ce sujet, ses réponses donnent lieu à l’approbation officielle de l’inspecteur pour les modifications.

    EXPÉDITIONS DANS LE YUKON

    En janvier 1937, Reeve reçoit une lettre de Bradford Washburn lui demandant s’il pouvait transporter un groupe de grimpeurs jusqu’au glacier à la base du Mount Lucania, au Yukon (Canada). Le pilote accepte d’entreprendre la tâche. En avril, la majeure partie du matériel est acheminée par avion. Lorsqu’il a fait voler Washburn et Robert Bates jusqu’au site, le temps est devenu anormalement chaud pour la saison et l’avion s’enfonce jusqu’au ventre dans la neige fondante. Il faut plus d’une semaine pour que Reeve puisse redécoller, après que la température ait suffisamment baissé et qu’une croûte de glace se soit formée sur la neige fondante. Reeve décrit ce voyage comme le plus dangereux de sa carrière, mais il établit un nouveau record mondial de 8 750 pieds (2 670 m) pour l’atterrissage le plus élevé sur skis, soit plus de 1 800 pieds (550 m) de plus que tout autre en Arctique ou en Antarctique.

    Le lendemain du voyage de Washburn, le moteur du Fairchild 51 cesse de fonctionner. Reeve passe huit mois à réparer le moteur Wright Whirlwind, mais il ne le remontera jamais dans l’avion. Il n’en avait plus qu’un. Reeve effectue son dernier débarquement sur glacier en 1938, lorsqu’il fait voler Brad Washburn jusqu’au glacier du Mount Marcus Baker. Son frère Richard a été tué dans un accident d’avion en 1938 et au printemps de 1939, une tempête a renversé le Fairchild 71. Il passe tout l’été à le réparer et, finalement, le hangar brûle avec l’avion à l’intérieur.

    Reeve achète alors un autre Fairchild 71 et passe un mois de plus à le réparer. À ce moment-là, la Civil Aviation Authority (CAA) intervient pour réglementer les vols en Alaska. Les pilotes se voient attribuer des routes en vertu d’un régime de « droits acquis » fondé sur le territoire qu’ils avaient desservi pendant quatre mois avant le lundi 22 août 1938. On attribue au pilote une petite zone autour de la Cooper River. Le travail disponible ne permettant pas de subvenir aux besoins d’une famille en pleine croissance (à l’époque, il avait deux enfants, Richard et Roberta), ils quittent Valdez en janvier 1941 pour s’établir à Fairbanks.

    LES ANNÉES DE GUERRE

    Arrivé à Fairbanks, Reeve doit emprunter 65 $ pour payer son premier mois de loyer. Heureusement, Noel Wien (1897-1977) lui offre son premier contrat, et une amitié de toute une vie se noue à cet instant. En avril 1941, Reeve est l’un des rares pilotes d’Alaska à ne pas avoir de route certifiée, et il est embauché par l’Alaska Communications Service (ACS) pour inspecter les nombreux nouveaux terrains d’aviation prévus dans le cadre du plan directeur du général Henry Hap Arnold pour la défense du territoire. Alors que l’armée et la marine se concentrent sur la construction de bases à Anchorage et dans les îles Aléoutiennes, la CAA est responsable de la construction des terrains d’aviation à l’intérieur des terres. C’est à cette époque que Reeve et sa femme Tilly, ainsi que leurs quatre enfants, déménagent une dernière fois à Anchorage.

    Le premier aérodrome à être construit est celui de Northway, 100 milles (160 km) à l’est de Fairbanks. Les travaux sont confiés à la compagnie Morrison-Knudsen (M-K). Les approvisionnements sont acheminés par camion par la Richardson Highway et un sentier d’été jusqu’aux mines de Nasbena, à 60 milles du terrain d’aviation, puis transportés par Reeve à Northway, où une piste d’atterrissage a émergé des bois. Certains colis doivent être scindés en deux ou trois morceaux et réassemblés une fois livrés à destination, car ils sont trop gros ou trop lourds pour le Fairchild.

    Bien que Reeve travaille de l’aube au crépuscule, il ne peut pas répondre à la demande d’approvisionnement à Northway, tandis qu’un arriéré s’accumule à Nabesna. M-K ayant commandé un Boeing 80A et Reeve est envoyé à Seattle (État de Washington) pour le récupérer. Il faut cinq semaines pour modifier l’avion et, lorsqu’il le ramène à Northway, il retrouve une piste de 910 mètres de long à ce qui est devenu le Reeve Field. Le 80A a été conçu pour transporter 1 800 kg de fret, mais Reeve découvre rapidement qu’il peut transporter jusqu’à 3,2 tonnes. Il vole de nouveau de l’aube au crépuscule, parfois sur seulement deux moteurs.

    Avec l’argent gagné grâce au contrat de la CAA, Reeve commande trois autres avions. Il achète un autre Boeing 80A, un Hamilton H-45 ‘Metalplane’ et un autre Fairchild 71. L’armée souhaite qu’il arpente une route pour un chemin de fer entre Prince George (Colombie-Britannique) et Nome. Le pilote accompagne les arpenteurs le long de la route, mais lors du voyage retour, l’avion — un Fairchild — traverse la glace sur le lac Kluane. L’aéronef est abandonné, mais la mission est menée à son terme. Le col est nommé Reeve Pass, il est situé entre le Francis Lake et la Salmon River. Le Fairchild est laissé à Burwash Landing, et Reeve engage un pilote pour faire voler le Hamilton du Washington à l’Alaska. L’avion s’écrase dans le Washington, tuant le pilote et Reeve est à nouveau ruiné, n’ayant même pas assez d’argent pour acheter le carburant pour faire voler le Boeing en Alaska. Il réussit à emprunter de l’argent à la Pacific National Bank (PNB), même si celle-ci a pour règle de ne jamais prêter aux pilotes de brousse.

    Reeve rentre à l’improviste à Juneau et son appareil est presque abattu parce qu’il ne s’est pas identifié. Il reprend ses activités pour la CAA, gagnant maintenant 80 $ de l’heure grâce au carburant procuré par l’acheminement des fournitures de vol, des matériaux et des travailleurs pour les nouveaux terrains d’aviation en construction à Big Delta, Tanacross, Galena, Moses Point et Nome, effectuant lui-même tous les vols et l’entretien et travaillant régulièrement jusqu’à 15 heures par jour.

    En 1942, Reeve achète un Fairchild FC-2W-2. Il effectue un atterrissage forcé à 20 milles à l’est de Cold Bay. L’aviateur réussit à sauver sa radio, mais l’avion, non assuré, est radié. Le retard dans la livraison des pièces radar permet aux Japonais d’évacuer l’île de Kiska sans être détectés, ce qui a peut-être sauvé des vies américaines car, lorsque les forces américaines y débarquent, elles la trouvent déserte. Par comparaison, la bataille d’Attu avait coûté 500 vies américaines. En novembre 1942, Reeve signe un nouveau contrat avec l’ACS pour entreprendre des vols partout en Alaska, aux îles Aléoutiennes et dans l’Ouest canadien.

    Le lundi 5 juillet 1943, Reeve transporte du matériel radar et quatre techniciens de Cold Bay à Amchitka lorsqu’il rencontre des conditions de visibilité zéro-zéro.

    ‘Bob’ survole toute la chaîne aléoutienne et apprend la météo locale, ainsi que la configuration des îles et des côtes. Alors que la guerre touche à sa fin, ‘Bob’ élabore un plan pour offrir aux Aléoutiens un service aérien régulier. Tenant compte du conseil d’un ami militaire, il acquiert un Curtiss C-47 ‘Skytrain’ des surplus militaires et dépense 5 000 $ pour le convertir à des fins civiles. Lorsque les rumeurs d’une attaque de navire à vapeur japonais se confirment, Reeve est fin prêt. Lui et ses deux pilotes effectuent 26 allers-retours entre Seattle et Anchorage ou Fairbanks en 53 jours. Il accumule ainsi assez de gains pendant cette période pour rembourser le prêt du premier appareil et acheter trois C-47 supplémentaires. Le rêve de Reeve d’une compagnie aérienne est sur le point de se réaliser.

    Le Japon étant à l’agonie, les pensées de Reeve se tournent progressivement vers les activités d’après-guerre. Il sait qu’il y aura besoin d’avions plus gros et plus rapides et pense que son meilleur espoir serait de choisir une zone que personne d’autre ne voudrait investir. Reeve achète donc une quincaillerie sur Fourth Avenue, à Anchorage. Un vieil ami, Carl Whitham, l’y rejoint et ils entament un partenariat pour développer quelques-uns des anciens projets de Whitham. Malheureusement, ce dernier décède d’un cancer au printemps et les rêve de prospection de Reeve s’évanouissent.

    UNE COMPAGNIE AÉRIENNE LOCALE

    En février 1946, Bob Reeve reçoit un appel l’informant que certains anciens C-47 et DC-3 de l’USAAF sont à vendre. Reeve achète son premier DC-3, le N19906, pour 20 000 $, avec 3 000 $ d’acompte et le solde en payable en trois ans. Le coût de la conversion aux normes civiles est estimé à 50 000 $, mais Reeve effectue le travail lui-même pour un coût de 5 000 $ seulement.

    Une grève de marins sur des navires à vapeur opérant entre Seattle et Anchorage débute le samedi 6 avril 1946. Reeve, avec Merritt Boyle et Bill Borland, commence à voler entre Seattle et Anchorage, avec des escales à Juneau, Yakutat ou Annette Island. Chaque voyage transporte un chargement complet de 21 passagers et prend en moyenne neuf heures. Reeve travaille toute la nuit sur les inspections et l’entretien de l’avion à Spokane (État de Washington), puis retourne à Anchorage après avoir très peu dormi. Grâce à cette activité, Reeve gagne 93 000 $, assez pour payer son premier DC-3 et en acheter trois de plus.

    En juillet 1946, le DC-3 N91016 est acheté auprès de l’USAF. Pendant l’hiver 1946-1947, Reeve demande à la CAA une licence pour opérer sur les 1 783 milles (2 869 km) allant d’Anchorage à Attu et, à l’été 1947, il effectue des vols hebdomadaires le long de la chaîne. En moins d’un an, il assure une liaison deux fois par semaine, maintenant les quatre DC-3 occupés.

    Le vendredi 24 mars 1947, les Reeve Aleutian Airways (RAAs) sont constituées en personne morale. La compagnie exploite des lignes régulières et d’affrètement partout en Alaska. Vers cette époque, Reeve reçoit l’autorisation d’utiliser les bases de la Chaîne en temps de guerre. Reeve s’envole pour Washington (DC), loue le terrain de Dutch Harbor et acquiert des permis de débarquement pour Kodiak, Adak et Attu.

    En avril 1948, les RAAs obtiennent un certificat temporaire valide cinq ans. En raison de la nécessité de gérer l’entreprise sur les lignes d’affaires appropriées (maintenir un bureau, publier des horaires et des tarifs, etc.), le Beechcraft et l’Electra sont changés pour deux avions amphibies Sikorsky ‘S-43. En octobre 1948, Port Heiden est désactivé, suivi par Dutch Harbor, Attu et Umnak. Reeve reprend Umnak et concède Attu, ce qui n’est pas vital pour ses opérations. À cette époque, le Naval Air Transport Service (NATS) commence à vendre des billets pour Adak et entre en concurrence avec Reeve. Reeve se rend à Washington où il rencontre Louis Johnson, l’homme qui a accordé toutes les affaires dans la région à Reeve. En 1948, le DC-3 N49363, le Sikorsky S-43 N53294 et le Grumman G-21 ‘Goose’ N95468 sont également achetés auprès d’Arnold Air Society (AAS).

    À noter aussi, qu’en 1948, Revve laisse son permis de pilote expirer après avoir constaté qu’il sautait l’un des éléments de la Check List’. Il n’aura en fait piloté que pendant 22 ans…

    Le nouvel aéroport international d’Anchorage est inauguré en 1952 et toutes les autres compagnies aériennes s’y installent. La CAA est sur le point de fermer Merrill Field, mais elle en est dissuadée par Reeve et d’autres exploitants privés. En 1953 intervient la désactivation militaire finale des aérodromes aléoutiens. Reeve obtient alors des baux sur Shemya et Cold Bay. Shemya fermant à son tour en 1954, tous les vols sont transférés à Cold Bay. En janvier 1957, le DC-3 N49363 est vendu à Twentieth Century Aircraft. Au cours des années 1950, Saint George et Chernofski sont desservis par largage. Pour ce faire, Reeve récupère des conteneurs de bombes vides pour emballer le matériel à larguer.

    Au milieu des années 1950, il devient évident que les DC-3 ne sont pas assez grands les RAAs. C’est pourquoi le DC-4 est choisi pour les compléter et, finalement, les remplacer. Le premier DC-4 de Reeve sont le N63396, acheté en mars 1957 à Twentieth Century Airlines, qui fait faillite. Le premier vol DC-4 est prévu le 12 mars 1957 sur la ligne Anchorage-Kodiak-Cold Bay-Adak-Amchitka-Shemya-Attu.

    Toujours en 1957 est construite la Distant Early Warning Line’ (DEW Line/Ligne d’alerte lointaine), ce qui profite aux RAAs. En 1957, celles-ci opèrent également le S-43 N53294, les Curtiss C-46 ‘Commando’ N1302N et N10012, achetés aux Cordova Airlines, ainsi que le Grumman G-21 ‘Goose’ N1513V, loué à Interior Airways et, enfin, un C-46 N9852F est acheté à Boreas Corporation en juillet 1958.

    La fin des années 1960 a voit l’émergence du Lockheed L-188 ‘Electra’, qui doit devenir la colonne vertébrale de l’entreprise de Reeve à partir de ce moment-là. Le premier d’entre eux est le N1968R (ex ZK-CLX d’Air New Zealand), acheté à California Airmotive en février 1968.

    Avec l’acquisition des ‘Electras’, les DC-6 sont progressivement retirés du service voyageurs. L’Electra N9744C est acheté en septembre 1970 et l’Electra N7140C en avril 1972.

    En 1979, Reeve Aleutian lance une nouvelle ligne entre Cold Bay et Seattle-Tacoma. Celle-ci est active pendant trois ans et demi, période pendant laquelle seuls sept vols sont annulés pour des raisons météorologiques, et deux pour des raisons mécaniques pour un total de 458 vols réguliers.

    En décembre1983, les RAA Aqui7rent deux Boeing 727-22QC de Wien Air Alaska, le N831RV ‘RCR’ et leN832RV ‘Tilly’. Pendant les vacances de Noël 1985 persiste un important stock de courrier en retard à Seattle-Tacoma, et Reeve conclue un contrat avec l’USPS pour le résorber.

    Le mercredi 8 juin 1983, un Lockheed L-188 ‘Electra’ des RAAs effectuant le vol Reeve Aleutian Airways 8 reliant Cold Bay, en Alaska, à Seattle, dans l’État de Washington, survole l’océan Pacifique lorsqu’une hélice se détache brusquement de son moteur et heurte le fuselage, endommageant les commandes de vol et des moteurs.

    Vidéo :             https://www.google.com/search?q=reeve+aleutian+airways+%28raa%29+in+flight&source=lmns&tbm=vid&bih=739&biw=1536&rlz=1C1GCEA_enFR1022FR1022&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjw79CM_MWAAxXxmCcCHVNuB6QQ0pQJKAJ6BAgBEAY#fpstate=ive&vld=cid:f0002314,vid:1HxnmKU7w94

    Les pilotes réussissent à effectuer un atterrissage d’urgence à l’aéroport international d’Anchorage. Aucun des quinze passagers et membres d’équipage à bord n’est blessé dans l’incident.

    Reeve décède dans son sommeil, le dimanche 25 août 1980, à l’âge de 78 ans, quelques mois seulement avant l’adoption de l’Alaska National Interest Lands Conservation Act (ANILCA/Loi sur la conservation des terres d’intérêt national de l’Alaska) convertissant son ancien terrain de chasse en Parc national de Wrangell-St. Elie. Le rédacteur en chef du ‘Anchorage Daily News’ rappelle à ses lecteurs que des hommes comme ‘Bob’ Reeve transportaient à Chisana, Nabesna et Bremner ce que les écrivains avaient décrit, pendant des décennies, comme l’esprit de frontière de l’Alaska.

    Celui qui fut l’un des plus célèbres pionniers de l’aviation en Alaska est inhumé à l’Anchorage Memorial Park Cemetery.

    Après la disparition de son fondateur, la compagnie aérienne tente de résister aux effets combinés de la concurrence accrue, de la déréglementation et des difficultés. Elle poursuit ses vols vers les îles Aléoutiennes. En août 1999, les RAA concluent un accord de partage de code avec Alaska Air sur la ligne Seattle, Anchorage, Petrovpavlosk et Yuzhno-Sakhalinsk.

    La compagnie cesse ses activités mardi 5 décembre 2000, avec seulement deux appareils encore en service : l’Electra N178RV et le Boeing 727 N832RV. Le Boeing 727 N831RV est, quant à lui, vendu en mars 2001, suivi du N832RV en juin. Enfin, le YS-11A N171RV est vendu au Mexique en mars 2002.

    RECONNAISSANCE SOCIALE

    Toute sa vie durant, Reeve est un passionné d’activités en plein air et n’a de cesse que de faire aimer l’Alaska à ses amis. Il reçoit souvent James (‘Jimmy’) Doolittle, Nate Twining et Hoyt Vandenberg, des militaires de haut rang, pour de mémorables parties de chasse. Lors de l’une d’entre elles, organisée en 1948, il établit le record du monde d’abattage du plus gros ours brun d’Alaska, un record qui tient plusieurs années. En récompense pour cet exploit, il se voit décerner le Sagamore Hill Award du Boone and Crocket Club.

    En 1952, Reeve est invité à briguer le poste de gouverneur de l’État, mais il s’y oppose en raison de potentiels conflits d’intérêts avec sa compagnie aérienne.

    En 1963, Reeve est titulaire d’un doctorat honorifique en sciences de l’Université de l’Alaska, puis est nommé, en 1972, ‘Alaskan of the year’ (‘Alaskain de l’année’) avant d’être intronisé au National Aviation Hall of Fame en 1975.

    Il est ensuite nommé maire honoraire de Shemya en 1978.

    En 1980, il est intronisé à l’International Air & Space Hall of Fame du San Diego Air & Space Museum, puis intègre l’Alaska Aviation Pioneer Hall of Fame de l’Alaska Aviation Heritage Museum Anchorage à le vendredi lundi 25 février 2005.

    En outre, l’école secondaire d’Adak, en Alaska, porte son nom.

    VIE PERSONNELLE

    ‘Bob’ et ‘Tilly’ Reeve ont cinq enfants :

    • Richard devient président de la Reeve Aleutian Airways à la mort de son père ;
    • Janice demeure vice-présidente de la compagnie aérienne ;
    • Roberta épouse le célèbre pilote de brousse Don Sheldon ;
    • Whitham développe sa propre entreprise d’ingénierie ;
    • David devient président de Midwest Airlines et Président-directeur général (PDG) de Skyway Airlines à Milwaukee, dans le Wisconsin…

    REEVE EST-IL UN AGENT DORMANT ?

    En Alaska, en 1950, le Federal Bureau of Investigation (FBI)/Bureau fédéral d’enquête) et l’Air Force Office of Special Investigations (OSI) commencent à travailler ensemble pour recruter des autochtones comme agents dormants en cas d’invasion soviétique. Ceux-ci seraient chargés de mener des opérations de sabotage, de renseignement, de recherche et de sauvetage des pilotes abattus, et même des assassinats ciblés. Ce programme top-secret est appelé Operation Washtub’ (littéralement ‘lavoir’ ou ‘bassine’) ou STAGE’ (Stay Behind Agent Program/littéralement, ‘Programme d’agents dormants’).

    Les recrues potentielles sont soigneusement sélectionnées et 89 hommes sont finalement recrutés. Leur âge moyen est de 50 ans et ils résident depuis très longtemps en Alaska. Ils travaillent comme trappeurs, mineurs, guides et pilotes de brousse, des hommes comprenant la nature et capables de survivre dans les climats les plus rudes. Certains des chefs d’équipe sont des prêtres jésuites catholiques, qui ont accepté de participer aux efforts humanitaires et de sauvetage seulement, mais ne mèneraient pas d’attaques ou d’espionnage. Les agents reçoivent une formation sur les techniques de récupération des colis livrés par air, le suivi de pistes, des patrouilles, la lecture des cartes, la survie dans l’Arctique, l’emploi de l’encre sympathique et la photographie clandestine. Pour leurs services, ces agents d’entretien reçoivent une indemnité de 3 000 $ par an.

    Outre ce réseau d’agents, des dizaines de caches sont installées dans la nature. Il s’agit la plupart du temps de petites cabanes en rondins construites sur pilotis et remplies de nourriture, de cartes, d’essence, de fusils de r, de tireur d’élite, de pistolets silencieux et de 500 $ en pièces d’or.

    L’opération ‘Washtub’ est finalement désactivée en 1959. Les caches sont, pour la plupart, vidées de leur contenu en 1961, mais quelques-unes ne sont pas retrouvées. Richard, le propre fils de ‘Bob’ Reeve, n’a jamais su que son père était un agent dormant jusqu’à ce que l’opération soit déclassifiée en 2014. Bien que les noms des agents aient été effacés, il semble évident que le PDG de Reeve Aleutian Airways était l’un d’eux…

    ÉPILOGUE

    Aussi passionnante qu’emblématique, la vie de Robert (‘Bob’) Campbell Reeve peut se lire comme un roman. Elle témoigne surtout qu’au XXe siècle, un homme de 30 ans peut arriver dans le coin le plus reculé des États-Unis d’Amérique avec 20 cents en poche et y terminer à la tête d’une compagnie aérienne moderne mondialement réputée. Cela en dit long sur la trempe d’un aviateur ne reculant devant rien pour arriver à ses fins.

    Cependant, ce qui nous intéresse le plus, c’est évidemment sa carrière de pilote de brousse, à l’époque où il ravitaille les concessions minières, d’abord sur roues, puis sur skis. Comme en témoignent les photographies où l’on voit Reeve sur des glaciers entourés de pics enneigés, notre héros est un véritable ‘Glacier Pilot’, un pilote de montagne et des glaciers. Notons bien que, dans l’Entre-deux-guerres, hormis Ernst Udet et d’autres explorateurs de la même trempe, il existe très peu de pilotes de montagne capables d’atterrir sur skis, en altitude. Soulignons aussi qu’il décide d’arrêter de piloter dès qu’il sent que ses capacités d’attention déclinent, ce qui est à porter au crédit d’un homme qui a pris beaucoup de risques pendant 22 ans…

    Cet article rappelle aussi un détail ignoré du grand public et même des pilotes de montagne chevronnés, à savoir que Reeve, dont on ne saluera jamais assez l’esprit pragmatique et l’inventivité, a résolu la question du décollage et de l’atterrissage sur skis à Valdez pendant la saison chaude pour atteindre les glaciers environnants. Utiliser la boue des vasières à marée basse, il fallait oser. Pour lui, passé les frayeurs du premier essai (concluant), c’est devenu de routine.

    Enfin, cet article est aussi l’occasion d’étudier la définition de l’aviation de brousse, qu’en France, on réserve malheureusement à certaines régions reculées du monde :

    « L’aviation de brousse désigne les opérations aériennes menées dans les régions éloignées et inhospitalières du monde. L’aviation de brousse implique des opérations en terrain accidenté, où il n’y a souvent pas de pistes d’atterrissage préparées, exigeant souvent l’équipement de pneus anormalement grands, de flotteurs ou de skis. »

    Comme nous démontre le cas Reeve, on peut aisément combiner les qualités du pilote de brousse et du pilote de montagne pour s’imposer comme un pilote complet…

    Éléments recueillis par Bernard Amrhein

     

    SOURCES

    BIBLIOTHÈQUE

      … « By Beth Day (Author). Published May 1957, Second printing January 1961.

    This is the story of Bob Reeve, Alaska’s first, most daring and most accomplished bush pilot. In 1932 he arrived in Valdez with no money, no plane and ill health. He soon made a career of doing the kind of flying that no one else wanted to do and earned the description of the « the greatest rough-terrain pilot of our continent. » He developed a successful commercial airline operating in ‘the worst weather in the world’ along the fog-shrouded Aleutian… »

    VIDÉOTHÈQUE

    LES AVIONS DE REEVE

    Boeing 80A

    • NC224M c/n 1082. Ex Boeing Air Transport (United Air Lines). Reconstruit en 80A-1 en 1930. À Monterey Peninsula Airways en 1939 puis, via Charles H Babb, à la Morrison-Knudsen Construction Company. Accident survenu le samedi 21 mars 1943 à Anchorage, réparé avec des pièces du NC229M. Donné à Reeve en 1946, exposé à l’extérieur du hangar de Reeve jusqu’en 1960 avant d’être transporté à la décharge d’Anchorage. Il est récupéré avant d’être détruit puis est transféré à la Boeing Management Association. Des avions et des pièces de rechange sont transportés et entreposées sur la base aérienne McChord, près de Seattle. Finalement, l’appareil est restauré par la Pacific Northwest Aviation Historical Foundation, à Auburn, et exposé au Museum of Flight, Seattle. Il s’agit du seul Boeing 80
    • NC229M c/n 1087. Des pièces de cet appareil sont utilisées pour réparer le NC224M après que cet avion ait été impliqué dans un accident à Anchorage, le 21 mars 1943/
    • NC793K c/n 1081. Acquis en 1942, retiré du service près de Cold Bay (Alaska) le 5 juillet 1943.

    Hamilton ‘Metalplane’

    • Reeve acquiert un Hamilton Metalplane, mais celui-ci s’écrase au cours du vol de livraison.

    Lockheed Vega 5B

    • Reeve pilote un Lockheed ‘Vega’ lorsqu’il vole pour Panagra, en Amérique du Sud. Un accident à Santiago-du-Chili le contraint à démissionner et à se rendre en Alaska.

    Fairchild 51

    • NC5364 c/n 102.

    Fairchild 71

    • NC119H c/n 675. Ex appareil de la Marine Airways, acheté pendant l’hiver 1939/1940 pour remplacer le NC9745.
    • NC9745 c/n 611. Il s’agit de l’aéronef renversé, puis détruit dans un incendie de hangar alors que les réparations sont presque achevées.

    Fairchild FC-2W-2

    Ford ‘Tri-motor’

    • NC8416 c/n 54.

    CHRONOLOGIE

    • 1902 Robert Campbell Reeve naît le 27 mars.
    • 1917  Reeve rejoint l’armée et débourse 5 $ pour effectuer son baptême de l’air.
    • 1926 Reeve reçoit ses diplômes de pilote commercial et de mécanicien aéronautique.
    • 1929 Reeve arrive en Amérique du Sud où il devient expert en vol montagne aux commandes d’un Fairchild 71, qui deviendra son     avion préféré.
    • 1932 Quitte l’Amérique du Sud à bord d’un bateau à vapeur enregistré en Alaska, s’installe à Valdez et se lance dans l’aviation de brousse. Reeve acquiert une réputation de pilote courageux et très compétent en transportant un million de livres de fret et en effectuant 2 000 atterrissages sur glacier, ce qui lui vaut le surnom bien mérité de ‘Glacier Pilot’ (‘Pilote de glacier’).
    • 1934 Reeve acquiert un Fairchild 71 à cabine fermée.
    • 1942 Reeve signe un contrat avec l’Alaska Communications System (ACS) et devient le seul pilote civil autorisé à voler dans une zone de combat.
    • 1946 Acquiert son premier DC-3 et le convertit en avion civil transportant 21 passagers.
    • 1947 Création de la Reeve Aleutian Airways is Inc.
    • 1948 Reeve abandonne sa fonction de pilote de ligne, laisse sa licence expirer et ne la renouvelle jamais.
    • 1972 Reeve est nommé ‘Alaskain de l’année’.
    • 1975 Intronisé dans le National Aviation Hall of Fame.
    • 1980 Intronisé dans l’International Aerospace Hall of Fame, Bob Reeve disparaît à l’âge de 78 ans.
    PdM
    PdM
    Pilote de montagne (PDM) est une association à but non lucratif accueillant tous les amoureux de l’aviation en général, et du vol en montagne en particulier.

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