17 août 1919 – Le lieutenant suisse Robert Ackermann effectue le premier atterrissage sur glacier de l’histoire


Dès les débuts de l’aviation se pose la question de l’évolution en terrain montagneux. Si certains pionniers décollent et atterrissent sur les lacs gelés de Saint-Moritz et de Davos (Suisse), la plupart d’entre eux n’ont qu’une obsession : survoler les massifs pour effacer les obstacles et créer des liaisons commerciales, aéropostales tout d’abord, de transport de passagers ensuite. En réalité, peu de pilotes envisagent même de se poser au cœur des massifs afin d’y créer des activités aéronautiques locales, voire lancer des services de secours. Aujourd’hui, Pilote de montagne (PDM) s’intéresse à l’un des rares précurseurs en la matière, le Suisse Robert Ackermann…

QUI EST ROBERT ACKERMANN ?

Robert Ackermann est un ressortissant suisse/protestant né à Mulhouse (Mülhausen) le mercredi 25 avril 1894. Il est le fils de Karl Emil Ackermann, comptable, et de Fanny Lambling. Il est aussi le frère de Walter Ackermann, rédacteur de la revue Motorrad (1922), pilote militaire dès 1927, acrobate aérien puis pilote dans toute l’Europe pour la compagnie Ad Astra Aero (qui devient la Swissair dès 1931).

Il est important de rappeler qu’à l’époque, la « Manchester française », comme on appelait Mulhouse avant 1871 et le Traité de Francfort, était une ville du Reichsland Elsaß-Lothringen du IIe Reich allemand. N’oublions pas, non plus, que la Stadtrepublik Milhüsa (Cité République de Mulhouse) a fait partie de la Confédération helvétique entre 1515 et 1798 et que les liens historiques avec la Suisse sont encore très forts de nos jours.

Après une formation d’ingénieur en aéronautique, Robert Ackermann dirige une division de la fabrique de machines de Seebach et devient vice-directeur de la fabrique d’automobiles Orion (marque dont on ne retrouve pas trace sur Internet…).

L’ATTERRISSAGE SUR GLACIER

Le dimanche 17 août 1919, le pilote militaire Robert Ackermann réalise ce que plusieurs sources nomment « le premier atterrissage sur glacier de l’Histoire » en se posant sur le Jungfraujoch (le col de la Pucelle), à 3 463 mètres d’altitude. Aux commandes de son biplan Häfeli DH-3, il s’approche du but avec, à son bord, le commandant Arnold Isler.

L’objectif de cette tentative est très clair : l’armée suisse veut acquérir de l’expérience pour construire des aérodromes d’altitude dans les Alpes. La veille, des hommes ont damé, sur le Joch (le col), une piste d’environ 200 mètres de long et 15 mètres de large. Ils marquent son extrémité avec des fanions, car, juste derrière, se trouve une profonde crevasse. Cependant, après 65 minutes de vol, le moteur perd de la puissance en raison de la faible quantité d’air et Ackermann ne réussit pas à maintenir son altitude, malgré le plein régime.

L’une des filles de Robert Ackermann, Loni-Madeleine Ackermann, habitante du quartier de Wohlener Säriswil, à 13 km au Nord-Ouest du centre de Berne, la capitale fédérale, qui a rassemblé des documents sur la vie de son père, explique :

« À cette altitude, le moteur était trop faible. Lorsque mon père a commencé à atterrir, il a également été surpris par de fortes secousses dorsales et il a atterri loin de la bande de neige préparée. »

Dès que l’appareil touche le sol, ses roues s’enfoncent dans la neige et la machine se met presque en pylône à quelques mètres de la crevasse…

 

Ackermann a peut-être effectué le premier atterrissage sur glacier de l’histoire de l’aviation, celui-ci aurait pu se terminer en tragédie, mais le pilote et son passager ont de la chance. Les deux hommes sortent indemnes de l’avion mais l’hélice en bois s’est brisée.

Ils marchent donc en direction de la station supérieure de la Jungfraubahn (chemin de fer de la Jungfrau) et annoncent, par téléphone, les dégâts aux usines aéronautiques de Thoune, (Canton de Berne/Suisse), qui leur envoient une hélice de secours dès le lendemain. Comme il est doué pour l’artisanat, Ackermann change lui-même d’hélice. Le lendemain, le lieutenant entame son vol retour de 30 minutes en direction de Thoune.

ACKERMANN LE PIONNIER

Ackermann peut être décrit comme un pionnier de l’atterrissage et du décollage en haute montagne dont les exploits ont permis, beaucoup plus tard, le développement du secours aérien en montagne. À la fin des années 1920, des aviateurs commencent à fixer des skis à leur appareil. Lorsqu’en 1946 un DC-53 “Skytrooper” de l’US Air Force s’écrase sur le glacier du Gauli, dans les Alpes bernoises, deux pilotes de l’armée suisse interviennent à bord de leur Fieseler Storch Fi 156 équipés de skis-sabots montés sur les roues de leurs appareils. Ce n’est que grâce à cet équipement qu’ils peuvent atterrir en douceur non loin des rescapés du crash, ce qui fait sensation dans le monde entier.

Associé à la mise sur pied des Troupes d’aviation suisses en 1914, Ackermann reste fidèle à l’aviation après son exploit. En 1922, il est champion international d’acrobatie aérienne à Dübendorf (Canton de Zurich/Suisse) et devient, la même année, le premier pilote de l’Aéropostale suisse sur la ligne Zurich-Berne-Lausanne. De 1922 à 1936, il est officier-instructeur des Troupes d’aviation, chef de section et organisateur de la division de l’aviation et de la défense contre avions du Département militaire fédéral (DMF) de 1937 à 1940, puis le premier chef et l’organisateur de la Division de la motorisation de l’armée de Terre (Chef Heeresmotorisierung) de 1941 à1957. Nommé Brigadier (général de brigade) en 1950, il commande l’escadre d’aviation 5 et le groupe d’avions de chasse 3.

Enfin, il se retire à Säriswil, où il décède le dimanche 24 novembre 1963. Ce n’est que beaucoup plus tard que sa fille Loni-Madeleine Ackermann apprend quel surnom avait été attribué à son père : « Les officiers qui lui étaient subordonnés l’appelaient simplement ʺPèreʺ ! »

 

De Robert Ackermann, on retiendra qu’il s’agit d’un ingénieur aéronautique et d’un pilote (certainement aussi d’un propriétaire d’avion) à l’origine, avec sept autres congénères, des Troupes d’aviation suisses en 1914, et qui a ensuite consacré presque toute sa vie à l’armée fédérale. Son atterrissage sur le Junfraujoch se termine certes par un plantage, il n’en demeure pas moins vrai qu’il s’agit du premier posé sur glacier de l’Histoire (et sur roues…), quasiment cinq ans avant l’exploit du Genevois François Durafour au dôme du Goûter (4 304 m), sur les pentes du mont Blanc, le samedi 30 juillet 1924…

Son exploit se déroule dans un cadre éminemment militaire puisqu’il s’agit de vérifier s’il est possible de développer des aérodromes, donc des bases aériennes, en haute montagne. Il ne faut pas seulement avoir une volonté et de la détermination pour réussir une telle entreprise, il faut aussi disposer des moyens techniques nécessaires et, de surcroît, d’une méthode pour réussir à coup sûr et transformer les exploits en routine.

En 1919, les temps ne sont manifestement pas mûrs pour créer une véritable Aviation de montagne. Même les essais effectués en France par le 35e Régiment d’Aviation (RA) de Lyon-Bron comme en Suisse pour atterrir sur terrain enneigé n’aboutissent guère. Il faut attendre les exploits d’Hermann Geiger, le « Pilote des glaciers » pour, à la fois, disposer desdits moyens techniques tout comme de la procédure infaillible et pour lancer, véritablement, l’aventure de l’Aviation de montagne moderne et toutes les activités associées…

Éléments recueillis par Bernard Amrhein


SOURCES

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