ÉDITORIAL 18 – Le 30 janvier 1962, s’ouvrait l’ère des altiports


Comme le rappelle notre article de ce jour, c’est Joseph Szydlowski (dit « Jojo la Turbine »), alors président de la société aéronautique Turboméca qui, après avoir inauguré la liaison commerciale vers l’aérodrome d’altitude de Méribel-les-Allues (73/Savoie) invente, ce mardi-là, le terme ‘Altiport’ au cours d’un dîner mémorable en compagnie (entre autres) de Martine Ziegler et de Robert Merloz. Aujourd’hui, que reste-t-il de cette incroyable épopée ?

LE TEMPS DES DÉFRICHEURS

Comme l’aurai dit le chanteur Claude François, « c’était l’année… 62… », l’année du renouveau, de l’entrée dans la modernité, le début d’une nouvelle ère, celle de la consommation et des loisirs… de masse, eux aussi. À n’en pas douter, les stations de ski des Alpes étaient promises à un développement exponentiel. Les réseaux routiers étant alors dans un état déplorable, il y avait certainement un créneau pour une aviation de montagne commerciale, tant pour les liaisons avec les aéroports régionaux et internationaux des alentours, tout comme sur place.

C’est ce créneau qu’ont voulu exploiter deux aventuriers, Michel Ziegler et Robert Merloz, en déposant les statuts de la compagnie Air-Alpes le samedi 1er juillet 1961. Après Courchevel et Méribel, c’est au tour de Megève de créer son altiport. D’autres suivront, comme l’Alpe d’Huez par exemple.

Ce projet est très ambitieux car il s’agit non seulement de relier les trois altiports des Savoies entre eux, mais aussi de livrer des marchandises aux refuges d’altitude, de proposer des déposes de skieurs sur glaciers, de larguer des parachutistes en haute altitude et de contribuer au secours en montagne par la voie des airs. Tous genres d’activités se heurtant de front à l’interdiction d’atterrir en avion hors des plateformes dument homologuées (dont les altisurfaces sur herbe et sur glacier font partie) et à l’irruption de l’hélicoptère comme unique vecteur aérien pour les interventions en milieu accidenté.

LES ALTIPORTS Á LA TV ET AU CINÉMA

Les années 1960 et 1970 constituent l’âge d’or de l’aviation de montagne… en avion.

Ainsi, la compagnie Air-Alpes est mise à l’honneur dans la bande dessinée ‘Les Aventures de Tanguy et Laverdure’, publiées dans le magazine Pilote sous le titre ‘Mission spéciale’, dessiné par Albert Uderzo et Jijé sur des scénarios signés Jean-Michel Charlier, les épisodes paraissant dans les numéros 363 à 393, puis en album en 1968.

Air-Alpes est également mise à contribution dans un épisode de la série télévisée ‘Les Chevaliers du ciel’ (troisième série, épisode 8), lorsque Tanguy et Laverdure effectuent un stage d’oxygénation de quinze jours sur les pistes de ski de La-Plagne.

LE TEMPS DU DÉCLIN

Malheureusement, comme toutes les entreprises humaines, la compagnie Air-Alpes croît (rapidement) et se diversifie tellement qu’elle devient une véritable compagnie régionale, voire nationale à certains égards, se détournant de plus en plus de sa vocation initiale, à savoir la promotion des stations de ski du nord des Alpes.

En effet, les réseaux autoroutiers se développant tout au long des années 1960 et 1970, et c’est par voie terrestre qu’affluent maintenant touristes et vacanciers, hiver comme été. Le pari fou des jeunes entrepreneurs a donc été, assez rapidement, frappé d’obsolescence.

Par conséquent, les projets de développement de véritables aéroports de haute montagne, comme celui de Méribel-Altiport, font long feu. À la place, on maintient, cahin-caha, les plateformes existantes, animées par des aéroclubs plus ou moins prospères selon les époques, quand ce ne sont pas des sociétés privées qui se chargent de faire découvrir la montagne à un public restreint, mais toujours conquis.

QUE FAIRE ?

En 2022, difficile de revenir au monde d’avant, et encore moins à celui de la décennie bénie. En effet, pendant la période de pandémie et de confinement que nous avons subie, les chantres de la décroissance n’ont pas hésité à poignarder, dans le dos, une aéronautique donnée pour moribonde. « Pas beau, l’avion… », surtout s’il évolue en montagne en provoquant des émissions de Gaz à effet de serre (GES), mais aussi des pollution sonores… et même, tout simplement, visuelles. « Cachez cet avion (symbole d’un monde révolu) que je ne saurais voir »

Pourtant, cette aéronautique reprend aujourd’hui, petit à petit, de la vigueur, mais elle est toujours convalescente. C’est peut-être le moment de réfléchir au renouveau d’une discipline qui, il faut bien le dire, s’est littéralement mise en mode survie…

Jouissant d’une grande notoriété, l’aviation de montagne apparaît, aujourd’hui encore, comme une activité réservée à une certaine élite, pour ne pas dire à une certaine classe sociale. Pourtant, et les adeptes de ce sport le confirmeront à l’envi, il ne s’agit pas d’argent mais beaucoup d’envie, de volonté et de ténacité. Donc, plutôt que d’insister sur les difficultés liées à ce milieu spécifique et sur les nombreuses qualités de pilotage à acquérir et perfectionner au fil des ans, il faudrait, à mon sens, promouvoir une communication proactive s’adressant, en priorité, aux jeunes générations, les seules capables d’assurer la relève de pilotes certes très expérimentés, mais voués à disparaître bientôt. C’est leur savoir-faire qu’il faut transmettre afin qu’il perdure et se pérennise.

Enfin, et notre site Internet www.pilote-de-montagne.com s’y emploie au quotidien, la promotion de l’aviation de montagne doit dépasser le cadre étriqué des seuls aéronefs à voilure fixe et, dans ce domaine, la créativité humaine n’a aucune limite…

ÉPILOGUE

Qu’il semble loin le temps des défricheurs de l’aviation de montagne dont les projets fous sont, finalement restés au stade de l’utopie. D’un côté, on pourrait s’en féliciter en imaginant que nos belles stations alpines auraient pu se transformer en véritables Lukla(s) à la française.

Cependant, pour avoir échappé à ce désastre, nos altiports ne devraient pas s’endormir au point de disparaître mais, bien au contraire, devenir de véritables pôles d’excellence en se diversifiant à l’infini tout en s’intégrant mieux dans l’écosystème local.

Les altiports doivent relever l’ensemble de ces défis pour exister encore à l’heure de leur centenaire, en 2062…

Bernard Amrhein

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