23 avril 2023 – L’Altiport de Courchevel prend officiellement le nom de Michel Ziegler


En ce dimanche 23 avril 2023, l’Altiport de Couchevel, officiellement inauguré fin janvier 1962, prend le nom de son créateur, le pionnier de l’aviation de montagne commerciale Michel Ziegler, tour à tour guide de haute montagne, pilote des glaciers, fondateur et président de la compagnie aérienne Air-Alpes, puis maire de Courchevel et, entre autres, membre de l’Académie de l’air et de l’espace (AAE). Afin de lui rendre hommage et saluer son parcours exemplaire, nous publions l’un de ses textes retraçant l’épopée de l’aviation de montagne et l’aventure d’une société trop tôt disparue…

CONTEXTE

Le vendredi 26 novembre 2010, Michel Ziegler, pilote de ligne, guide de haute montagne, ancien président d’Air-Alpes et d’Air-Martinique, élu membre titulaire de l’Académie de l’air et de l’espace (AEE) le mercredi 11 juin 2008, prononce une allocution de réception intitulée ‘L’aviation de montagne – Les conquérants de l’inutile ?’ Pilote de montagne (PDM) propose à ses lecteurs l’intégrale du texte lu à cette occasion…

TEXTE DE L’ALLOCUTION DU 11 JUIN 2008

« Je souhaite dès l’entrée en matière indiquer que si cet exposé est fidèle à la réalité des événements décrits, il n’a pas de prétention historique. D’autres expériences de même nature ont pu se dérouler dans d’autres lieux, à d’autres périodes. Ce n’est pas dans cette ville de Toulouse, qui fut le siège de l’Aéropostale de Daurat, Mermoz, Guillaumet, Saint Exupéry…. Ce n’est pas devant cette assemblée réunissant tant d’éminentes personnalités de l’aéronautique que je vais expliquer qu’il y a dans notre vocation d’aviateur une part nécessaire de rêve qu’il faut ensuite concrétiser par la rationalité d’une technique toujours plus pointue.

Pourtant, oui je peux le dire, nous avons, pendant toutes ces années, vécu notre rêve.

Les conquérants de l’inutile ?

Ce titre est emprunté au livre du magnifique alpiniste que fut Lionel Terray. Il est suivi d’un point d’interrogation car qui sait si cette aventure ne portera pas, un jour, des fruits aujourd’hui insoupçonnés ?

Des points communs entre aviateurs et montagnards.

Un regard attentif retrouve dans la littérature alpine de nombreux aviateurs qui se distinguèrent par leur enthousiasme pour la montagne, il est vrai que, comme l’aviateur, le montagnard tend à s’élever. Ils ont en commun le goût du sommet, de l’espace et de la contemplation solitaire : Chautant et Jacques Lecarme, ingénieurs et pilote d’essais, Couzy, André Vialatte, ancien directeur des services techniques aéronautiques, Henri Ziegler, membre du fameux Groupe de Haute Montagne, Raymond Lambert, grand guide, découvreur de la voie sud à l’Everest qui devint pilote des glaciers avec son Pilatus et tant d’autres dont les anciens de “Jeunesse et montagne” comme Gilles de la Roque et André Tournier.

LES ORIGINES

Avant d’imaginer s’y poser, le simple vol au cœur de la montagne, peuplée de turbulences et de rabattants, avait un caractère au moins mystérieux, sinon effrayant. Et pourtant ce sont les montagnes les plus ventées du monde, dans la région de l’Aconcagua entre Argentine et Chili, qu’affrontèrent les pilotes de l’Aéropostale. Guillaumet y fit même, bien involontairement, l’un des premiers atterrissages en montagne, écrivant une page glorieuse de l’histoire de l’aviation française. “Ce que j’ai fait, aucune bête au monde ne l’aurait fait…”

Durafour fut, à ma connaissance, le premier à se poser au pied du mont Blanc, avec son archaïque Potez[1], au dôme du Goûter, dont il redécolla à l’aide de sandows[2]. Quelques années plus tard Thoret, dit “Mont Blanc”, s’installa au Fayet, il faisait des vols touristiques au cœur du massif du Mont-Blanc et avait bâti sa réputation comme l’homme qui affrontait les diables de la montagne, turbulences et rabattants.

Puis vint le flamboyant Henri Giraud, chef pilote de l’aéroclub du Dauphiné : avec son Piper-Cub, baptisé “Choucas” puis un “Mousquetaire”, il se posait partout en montagne enfreignant les règles qu’il considérait comme attentatoires à sa liberté d’aigle des montagnes. Cela donnait lieu à d’homériques et cocasses bagarres verbales avec l’administration représentée par le “redoutable” chef du district aéronautique Rhône Alpes.

Il posa son Piper-Cub aux sommets du mont Blanc et du mont Aiguille, incroyables exploits, faisant preuve d’autant d’habileté que de bravoure. Hermann Geiger “Le pilote des glaciers, fut le premier, avec des moyens rudimentaires, à gagner sa vie en volant en montagne.

Air-Alpes enfin, créée en 1961, sortant du terrain naturel, mit en application la technique des atterrissages et décollages sur pente en faisant réaliser des pistes en pente pour desservir les stations de montagne. Au fil des aménagements elles devinrent de véritables “aéroports à caractéristiques spéciales”.

UNE HISTOIRE D’HOMMES

L’on voit bien qu’il ne s’agit pas, dans cette affaire, d’un programme planifié, mais d’une affaire d’hommes, depuis les pionniers André Tournier et Raymond Lambert.

La piste de Courchevel première version jusqu’au développement d’Air-Alpes

Il y eu les aventuriers : Guillaumet, Durafour, Thoret et encore Giraud ; ceux qui ont systématisé : Hermann Geiger, avec son comparse Fernand Martignoni ; puis enfin ceux qui, dans l’aventure Air-Alpes, ont imaginé : Michel Ziegler avec Robert Merloz ; ceux qui ont soutenu ; Henri Ziegler, Sylvain Floirat, Joseph Szydlowski et les secrétaires généraux à l’aviation civile Moroni, puis Grimaud ; ceux qui y ont cru, contre toute logique : les maires, Borget, Ancenay, de la Gontrie, Joseph Fontanet et quelques autres ; ceux qui ont participé : les pilotes, mécaniciens, secrétaires et bien sûr les épouses ; ceux qui ont accompagné : les pilotes du SFA, Marcel Collot et Jean Delparte ; et les ingénieurs et pilotes du CEV, Bernard Ziegler et Pierre Baud.

Une aventure au XXe siècle

En fait, la création d’Air-Alpes, son développement, en montagne d’abord puis sur le réseau régional, fut une belle aventure au XXe siècle. Des hommes, du culot et de l’enthousiasme, tout était aventure, choix empirique des pistes, voies d’accès sommaires, logements et entretien dans des conditions précaires, réglementation inexistante.

De l’Avisurface à l’Altiport

Accompagnant les premiers pas d’Air-Alpes, l’administration établit un premier règlement dans lequel les points d’atterrissage en montagne, proposés par l’exploitant, étaient reconnus par l’antenne du SFASA de Challes-les-Eaux, nos amis Collot et Delparte, puis après avis favorable, agréés par arrêté préfectoral.

Mais, très vite apparut une différence entre les pentes naturelles de montagne et les pistes que nous faisions aménager dans les stations. C’est le 30 janvier 1962 que le mot “Altiport” fut inventé par Joseph Szydlowski.

Suivirent les altiports de Courchevel, l’Alpe-d’Huez, Megève. D’autres pistes eurent des vocations plus précaires à Val-d’Isère et Tignes, La-Plagne, Les-Arcs

Deux passions : l’avion et la montagne

En 1960, j’étais un jeune homme passionné de montagne et d’aviation et je me rendais avec enthousiasme, chaque automne, au gala de la montagne salle Pleyel à Paris.

Cet automne 1960, le gala fut consacré à Hermann Geiger, ‘Le Pilote des Glaciers’, Je fus absolument enthousiasmé par son exposé émaillé de films.

Peu de temps après, je campais, avec femme et enfant, sur les bords du Rhône en bout de la piste de l’aérodrome de Sion où opérait notre héros et son comparse, Fernand Martignoni, merveilleux pilote entre tous. Après six jours « d’écolage », comme disent les Suisses, du 7 au 12 avril 1961, j’avais appris les rudiments du métier et imaginé qu’après tout, cette technique d’atterrissage en pente pouvait bien s’adapter à une piste de desserte des stations de montagne.

Des parrains de qualité

De retour à Paris je racontais par le menu mon aventure à mon père, Henri Ziegler, lui-même aviateur, grand entrepreneur et montagnard passionné – il était membre du GHM – et lui demandais son aide pour me lancer. De la montagne, des avions, de l’entreprise et de l’aventure, il adhéra au projet et, avec son ami Sylvain Floirat, apporta les premiers cent mille francs nécessaires au démarrage de la société que nous avions choisi d’appeler Air-Alpes.

UN AVIATEUR SAVOYARD

Robert Merloz est savoyard[3], originaire de La-Côte-d’Aime. Il habitait à cette époque à Levallois, comme beaucoup de savoyards, où son père exploitait une entreprise de déménagement. Nous nous étions rencontrés sur les bancs de l’école de commerce de la Chambre de commerce de Paris, rue Armand Moisant, et c’est ensemble que nous nous  sommes mis au pilotage, à l’aéroclub Air France à Toussus-le-Noble, sur Stampe et NC 852. Dès le début, je lui avais proposé de se joindre à moi dans cette aventure, ce qu’il fit avec enthousiasme.

AIR-ALPES – LES FONTS BAPTISMAUX

Le 19 avril 1961, les statuts de la société étaient déposés au greffe du tribunal de commerce de Savoie. La Savoie (CCI et Conseil général) avait construit, sur l’aéroport de Chambéry/Aix-les-Bains, une aérogare restée jusque-là sans usage, nous y trouvâmes donc, sans difficulté, les modestes locaux dont nous avions besoin pour établir notre société.

Les premiers objectifs

Nous étions partis sur l’idée d’utiliser la technique d’atterrissage sur pente pour desservir les stations. Les stations établies, à l’époque, étaient Megève et Chamonix, c’est donc vers elles que commencèrent nos démarches pour leur proposer d’installer un modeste aéroport. En même temps nous discutions avec Firmin Guiron qui, successeur de Thoret, exploitait un petit avion sur l’aéroport du Fayet.

Ces deux démarches n’aboutirent à rien, les responsables de Chamonix et Megève nous prirent pour de doux farfelus, Firmin Guiron, lui, n’avait rien à vendre et en demandait beaucoup plus que nos moyens ne nous le permettaient.

L’accueil en Tarentaise Vanoise

C’est alors que, sans doute par une filière Jeunesse et Montagne (JM), association de résistants dont mon père était un membre éminent, que nous avons pris contact avec des stations émergentes, Méribel et Courchevel. Nous y fûmes accueillis à bras ouverts, à Méribel par André Tournier, René Beckert, le maire André Borget, et derrière eux, l’ensemble de la communauté commerçante.

À Courchevel, par Émile Allais, Gilles de la Rocque, le Maire Émile Ancenay et Jean Blanc, ancien champion de ski et exploitant de la remontée mécanique de Pralong en bordure de laquelle nous décidâmes d’établir la piste d’atterrissage.

Les deux stations s’entendaient bien et décidèrent ensemble de nous suivre.

Le choix de l’implantation

Pour le choix du terrain, nous voulions une pente suffisante et surtout un lieu et un axe qui ne perturberaient pas la quiétude de la station. C’était bien le cas des deux sites choisis, avec, en contrepartie, un éloignement qui nous permit de mettre en valeur nos qualités sportives puisque nous rejoignions les sites, chaque jour à ski, en peaux de phoques, quand les remontées étaient fermées.

Les deux communes lancèrent donc, durant l’été 1961, les modestes travaux qui permettraient de se poser, l’hiver, sur terrain enneigé. La piste de Courchevel avait une pente qui nous paraissait idéale mais elle était très exposée à des vents latéraux qui pouvaient être forts ; au contraire, la piste de Méribel, un peu plate à notre goût, était magnifiquement abritée du vent et installée dans l’axe de la vallée.

CRÉER UNE RÉGLEMENTATION

Parallèlement, nous conduisions des discussions avec l’administration pour faire agréer notre activité. Le Secrétariat général à l’aviation civile s’engagea à nos côtés dans l’aventure et, en même temps que s’écrivait un embryon de réglementation, deux pilotes, Marcel Collot et Jean Delparte, du centre du SFASA à Challes les Eaux, à l’époque en charge de la formation des instructeurs pilotes privés, furent chargés de contrôler les pilotes et de donner leur avis sur les plates-formes dont nous demandions l’usage.

UN PREMIER AVION, le PIPER CUB F-BKBP

Le 12 décembre 1961, je prends livraison de notre premier avion, le Piper Super Cub F-BKBP. Nous l’utiliserons durant des années pour effectuer les repérages des plates-formes que nous voulons exploiter commercialement et pour la formation de pilotes, ceux de la compagnie et d’autres, venus de tous horizons.

Quelques années plus tard, nous abandonnerons cette activité, suscitant la création d’aéroclubs à Courchevel et Méribel.

UN AVION DE TRANSPORT : LE PILATUS PORTER

Pour démarrer nos opérations de transport, nous avons naturellement réfléchi à ce que pouvait être la machine la mieux adaptée à nos besoins ; le Dornier DO 27 est examiné attentivement. Mais, finalement, c’est sur le ‘Porter’ de la société Pilatus que se porte notre choix. Il est doté d’une grande cabine pouvant emporter sept passagers sur des sièges facilement démontables pour charger du fret, il a d’étonnantes qualités de décollage et atterrissage courts et son train, à la fois robuste et très astucieusement dessiné, avec une voie très large, lui permet de se poser sur les terrains les plus mal préparés. De surcroît, il peut être équipé, à la demande, soit de pneus basse pression, soit de skis remarquables et éprouvés. Nous commandons donc un avion chez Pilatus et comme il faut plusieurs mois pour le livrer, en attendant, nous louons le HB-FAZ.

LE 2 SEPTEMBRE 1961

J’en prends livraison à Stans le 21 juillet 1961. Dans les jours suivants, je qualifie Robert. Et c’est tout à notre joie que, le 2 septembre 1961, de bonne heure, nous décollons vers le massif du Mont-Blanc pour repérer les premiers points sur lesquels nous pourrions commencer nos déposes de skieurs. Je suis aux commandes, notre premier objectif est le col Infranchissable. J’effectue trois atterrissages et passe les commandes à Robert, qui fait de même avant de décoller vers le dôme du Goûter.

Nous y avons effectué par la suite des centaines d’atterrissages, dans toutes sortes de conditions et cela reste aujourd’hui parmi mes plus beaux souvenirs. Le tout premier rayon du soleil, très tôt le matin, touche le dôme du Goûter, ce qui nous permettait, émergeant de la pénombre du Fayet, de nous y poser à la petite pointe du jour. C’était une grâce extraordinaire. Puis, de toute notre habileté, nous replongions vers la pénombre pour reprendre d’autres compagnons et rebondir vers la lumière et la gloire de ces sommets que nous avons toujours chéris de toute notre âme.

L’approche se fait en légère descente le long du mont Blanc du Tacul, puis du mont Maudit et, enfin, le long de la face nord du mont Blanc lui-même, la plateforme est vaste avec une pente modérée, les difficultés viennent essentiellement de l’altitude, du vent qui peut être très fort, de la surface plus ou moins vaguée et de neiges très variables.

Lorsque nous arrivons au niveau du Dôme il est nappé d’un léger brouillard et nous tournons dans ce décor grandiose, le temps qu’il se dégage complètement. Puis nous voilà en finale, nous nous posons en douceur, arrêtons le moteur et descendons de l’avion pour faire quelques pas remplis d’une grande joie de nous trouver, avec notre avion, dans ce lieu hors du commun.

Le moteur, un gros Lycoming turbocompressé, démarre après quelques difficultés, Robert remet l’avion dans l’axe de la vallée et, toute puissance affichée, nous glissons vers l’aval ; à mi-course le moteur soudain perd sa puissance, il est trop tard pour arrêter la manœuvre, la lèvre supérieure de la première crevasse, à la rupture de pente vers le Grand Plateau, arrive à grande vitesse. Robert tire le manche et l’avion manquant de vitesse s’enlève mais insuffisamment, nous accrochons la lèvre inférieure y laissant une jambe de train, l’avion hésite encore, il retouche entre les deux crevasses mais, sur une seule jambe, perd son équilibre et percute de plein fouet la lèvre inférieure de la seconde crevasse, le moteur et l’hélice s’arrachent du bâti, passent sous le fuselage et, toujours accrochés à l’avion par les commandes, nous servent d’ancre dans la pente neigeuse, nous évitant une chute fatale dans le vide.

J’ai pu mettre les pieds dans le tableau de bord pour amortir le choc mais Robert, tout à la commande du décollage, a traversé le pare-brise avec sa tête, il est K-O.

Dans l’adversité, il y a deux manières de réagir : s’asseoir sur le bord de la route et pleurer ou s’engager de l’avant et parer à l’important pour en sortir. J’ai traversé dans ma vie de nombreux, et quelquefois durs, coups de tabac et me suis toujours rangé dans la deuxième catégorie. Je m’emploie donc à sortir Robert de l’avion avant qu’il ne brûle ou se décroche et de trouver le moyen de descendre vers la vallée.

L’assurance, dont pourtant la première prime n’est pas encore réglée, paiera rubis sur l’ongle.

LE PREMIER ‘TURBO PORTER’

Joseph Szydlowski, autre grand industriel de l’aéronautique française, est en plein effort de lancement, dans sa société Turbomeca, d’une turbine légère de 530 chevaux, l’Astazou.

Le lendemain il me téléphone et nous avons ce dialogue :

  • Monsieur Ziegler, vous n’êtes pas sérieux, ces moteurs à pistons sont d’un autre temps, sur votre avion il vous faut installer une de mes turbines Astazou.
  • Monsieur le président, ce serait avec joie mais nous n’avons pas les moyens de l’acheter.
  • Eh bien faites une augmentation du capital, et donnez-moi des parts de votre société en échange d’un Astazou !

C’est ainsi que fut lancé le premier Pilatus Turbo Porter d’une série aussi longue que réussie.

LE PILATUS TURBO PORTER F-BJSZ, PREMIER AVION DE TRANSPORT D’AIR ALPES

Le 9 janvier 1962, je prends, avec fierté, livraison, à l’usine Pilatus de Stans, du F-BJSZ. Je me rends aussitôt à Sion pour le présenter à mes amis Hermann Geiger et Fernand Martignoni ; Jean Pérard, d’Aviation Magazine, est avec moi pour ce grand événement de la vie d’Air-Alpes. Puis, après un périple parisien pour faire homologuer l’avion par le CEV le 29, j’arrive à Chambéry.

LE PREMIER ATTERRISSAGE À MÉRIBEL. LE MOT ‘ALTIPORT’

Joseph Szydlowski, toujours aussi passionné, s’est tenu informé de la sortie de l’avion et de son périple parisien. Le lendemain matin, 30 janvier 1962, le téléphone sonne, il est au bout du fil :

-Monsieur Ziegler vous avez votre premier avion de transport, avez-vous déjà transporté des passagers ?

  • Non, Monsieur le Président, je viens d’arriver.
  • Alors attendez-moi, j’arrive et je veux avoir le billet 001 de la compagnie !

Quelques heures plus tard, il débarque à Chambéry à bord de son avion privé, un Beech Baron transformé avec deux Astazou, et nous indique vouloir être transporté sur la piste qu’il sait que nous avons fait construire à Méribel.

Robert et moi sommes au pied du mur, nous aurions préféré prendre notre temps pour cette opération si importante, mais les circonstances commandent et la détermination de notre si dynamique actionnaire nous décident à nous jeter à l’eau. Nous prévenons les autorités locales à Méribel de notre arrivée imminente et nous voilà partis, non sans émotion. L’atterrissage se passe aussi bien que possible devant un comité d’accueil ravi composé d’Abel Desoche, René Becker, président de l’office du tourisme, du grand André Tournier, directeur de la station, et Martine Ziegler.

Tout le monde est très heureux et ému de cette première et nous posons pour la photo.

La nuit approche et nous ne voulons pas laisser notre précieux avion dans la nature. Je décolle vers Chambéry, laissant Robert et Martine représenter Air-Alpes au dîner qui suivra, au cours duquel Joseph Szydlowski inventera le mot ‘Altiport’, que nous ferons finalement adopter, des années plus tard, par l’administration puis par l’Académie française.

Le lendemain, 31 janvier 1962, je remonte à Méribel et nous inaugurons, dans la foulée, la piste de Courchevel.

LE DÉVELOPPEMENT

Au fil des années suivantes, l’activité se développe et, progressivement, les deux altiports sont viabilisés : route modeste, eau et électricité changèrent notre vie. En accord avec les municipalités nous construisîmes des chalets d’accueil, les ‘Altibars’. Un terrain viabilisé est naturellement une cible pour un promoteur, l’Altiport de Méribel n’échappa pas à la règle et, malgré tous les efforts d’Air-Alpes, des constructions furent entreprises sur le site, bloquant son développement.

DES ACTIVITÉS DIVERSES

Les déposes sur glaciers

Jusqu’à leur interdiction, les déposes sur glaciers furent la plus populaire de nos activités. Un guide composait une équipe de six clients, réservait son avion qui, le lendemain, matin les déposait sur le sommet de leur choix. Puis s’ouvrait pour le groupe une magnifique journée en montagne de ski en neige vierge, sur des pentes peu ou pas fréquentées.

Le Pilatus comporte huit sièges : un pour le pilote, six pour les skieurs que nous déposions et un, à côté du pilote, pour le guide. Rapidement se forma autour d’Air-Alpes une équipe de guides, ils aidaient à embarquer et débarquer, assuraient la sécurité des passagers autour de l’avion, aidaient l’avion à tourner sur la neige ; beaucoup des plus passionnés devinrent de véritables copilotes, donnant leur avis sur l’approche et l’atterrissage quand les conditions étaient difficiles. Ils furent des membres à part entière de la fratrie que nous formions. Deux d’entre eux devinrent pilotes, Dédé Diard et le grand Raymond Lambert. Ils proposaient de nouveaux sites, quelquefois extrêmes. Nous partagions notre amour pour le ciel et la montagne et je garde au plus chaud de mon cœur la mémoire de ceux qui nous ont quittés : Dédé Simond, Robert Blanc, Serge Senti, Yves Pollet Villard, André Tournier, Gérard Devouassoux, bien sûr Dédé Diard et Lambert… Et tant d’autres que je ne peux citer.

Les glaciers étaient plus ou moins difficiles à pratiquer selon l’étroitesse du site, la pente, la largeur de la plate-forme de retournement, l’altitude. Bien entendu s’ajoutaient à tout cela les conditions du jour, qui devaient être appréciées par le seul pilote, visibilité, état de la surface, elles pouvaient varier d’une surface dure et glacée évidemment très glissante à une neige profonde, voire très profonde où l’avion pouvait s’enfoncer. C’était tout l’art de ces pilotes que d’apprécier les conditions et de s’y adapter. Nous avions édicté deux règles de rigueur :

1/ Ne jamais accepter deux conditions défavorables, vent fort ET mauvaise visibilité, par exemple…

2/ …et, la deuxième, si devant l’hésitation du pilote à y aller le guide assis à sa droite lui disait « tu vois, dans de telles circonstances, un tel y irait », alors il fallait renoncer pour ne pas se laisser forcer la main.

Les vols touristiques

Comme les déposes sur glacier étaient une activité matinale, l’après-midi, nous utilisions nos Pilatus pour promener des touristes dans les magnifiques massifs des Alpes. Ils en revenaient toujours émerveillés.

Formation/qualification

Notre activité en montagne fit l’objet de très nombreux articles et programmes de télévision suscitant l’intérêt de nombreux pilotes dans le monde. Ils venaient s’initier et se faire qualifier. Au fil de notre développement nous transférâmes cette activité à des aéroclubs locaux.

Dépose au glacier de Gebroulaz, au Ruitor

Avion taxi

À cette époque, les stations où nous opérions, en Tarentaise, étaient très mal desservies, nous recevions donc de nombreuses demandes de liaison vers les grands aérodromes régionaux.

Liaisons régulières

Répondant à la même demande, elles furent entreprises d’abord en Pilatus vers Genève et Lyon Bron. Puis en Twin Otter de 20 places, et enfin en Dash 7 de 50 places, vers Paris/Le-Bourget, puis Orly.

Bien que les altiports ne fussent pas équipés pour l’atterrissage par mauvaise visibilité, nous avions une régularité, de l’ordre de 70 %. Dans le cas contraire nous atterrissions sur l’aéroport le plus proche et le trajet se terminait en bus.

L’aventure népalaise

Comme je l’ai dit, l’activité d’Air-Alpes, très spectaculaire, attirait les médias et nous faisions l’objet de nombreux articles dans la presse mondiale. C’est sans doute par cette voie que le Népal en prit connaissance. L’ambassade à Paris nous délégua un capitaine, pilote d’hélicoptère dans le royaume. Il fut enthousiasmé de ce que nous faisions et imagina tout le bénéfice que le Népal, pays de montagne dépourvu de route, pourrait tirer de la mise en œuvre d’une telle activité.

C’est ainsi qu’Air-Alpes, en partenaire d’Air France, chargée de la mise en œuvre de la desserte de Katmandou, et du développement de RNAC, reçut un contrat portant sur l’acquisition du matériel adapté, l’Annapurna, avec Maurice Herzog à bord, approche à Lukla au pied de l’Everest deux Twin Otter et trois Pilatus Turbo Porter, de leur livraison, de la formation des personnels et de la mise en œuvre du réseau. Négocier les contrats d’achat, convoyer les Twin Otter de Toronto à Katmandou et les Pilatus de Stans, au sud de Zurich, à Katmandou. Former les pilotes et mécaniciens d’abord à Chambéry et dans les Alpes puis sur place, fut une magnifique expérience. Elle mérite un livre à elle seule.

DES AVIONS

Le Pilatus ‘Porter’

J’ai parlé plus tôt des conditions de naissance du Pilatus ‘Turbo-Porter’. C’était un magnifique avion de travail aérien : robuste et simple d’exploitation et d’entretien, il était équipé de très efficaces turbines, Astazou d’abord, puis PT6. Il emportait une charge supérieure à son poids : 960 kg à vide 2,2 tonnes au décollage. Véritable ADAC, il était équipé d’un train à double triangulation, d’une exceptionnelle robustesse, qui nous permettait de nous poser sans crainte sur des surfaces incroyablement vaguées.

Le ‘Twin Otter’

Comme Pilatus, la firme De Havilland Canada (DHC) était spécialisée dans la construction d’avions de petit transport, robustes et simples, elle avait rencontré un grand succès avec les Beaver et Otter, avions monomoteurs très largement exploités dans le Nord. Équipé de deux turbines PT6, Il emportait 20 passagers et pouvait être aisément exploité sur terrains courts.

Comme nous voulions l’utiliser pour ouvrir une ligne directe entre Courchevel et Paris/Le-Bourget, notre premier avion était équipé de skis. Lourds, représentant une forte traînée et sensibles au givrage, ces skis pénalisaient l’exploitation. Mais l’introduction d’un bimoteur, en transport public, au départ d’une piste en pente, ce qui supposait la suppression de toute possibilité “d’accélération arrêt”, posa problème aux services officiels.

Ils se retournèrent vers le CEV, lequel s’engagea avec beaucoup d’intérêt dans l’affaire, monta une cellule spécialisée et acquit un avion à skis pour se construire une compétence dans ce domaine nouveau.

Bernard Ziegler, chef PN du CEV, et Pierre Baud, trouvèrent une réponse adaptée à ce problème, poursuivre le décollage sur un moteur, ce qu’ils démontrèrent, et disposer d’un terrain de recueil à proximité dans la vallée. En fait, l’exploitation sur skis et sur une pente relativement forte se révéla un vrai problème, pour deux raisons qui se cumulaient. En basculant dans la pente, une part importante du poids se reportait sur le train avant et le ski avait tendance à labourer la neige, réduisant d’autant l’accélération, puis la neige introduit un facteur non mesurable et éminemment variable : “la glisse”.

Alors, souvent, le cœur entre les dents, nous arrivions en bout de piste avec une vitesse très inférieure à celle requise pour le décollage. Il fallait alors sortir les pleins volets pour créer un impact aérodynamique, arracher l’avion au sol et plonger pour prendre de la vitesse et revenir dans une configuration plus normale.

Inquiets, nous discutions souvent de cette question.

L’OCV nous aida à en sortir : à l’occasion d’un contrôle, Beriel, responsable du secteur, après deux ou trois tours de piste, laissa la place gauche au pilote inspecteur ; non instruit de ces difficultés, il sortit l’avion de la piste, accrocha un rocher avec le train droit qui resta sur place ; Beriel arracha l’avion au sol juste avant le trou et le posa sans trop de dégâts à Chambéry, sur deux pattes.

L’exploitation du Twin Otter sur ski fut interdite et la piste bitumée et déneigée !!!

Le Dash 7

Les lignes remportaient un franc succès et nous fument naturellement intéressés par le grand frère du Twin Otter, le Dash 7. Véritable ADAC, quadrimoteur silencieux de cinquante passagers, il correspondait à nos besoins. Mais le problème réglementaire se posait à nouveau : comment exploiter un avion de cette taille sur une piste en pente, c’est-à-dire sans “distance accélération arrêt”, sans “vitesse de décision” ?

À nouveau, nous pouvions démontrer que l’avion pourrait décoller sur trois moteurs, de cette piste courte mais en pente et sans obstacle. Mais était-il capable de rester sur la piste étroite en cas de panne d’un moteur extérieur ?

Je me rendis chez le constructeur, à Toronto, avec une petite équipe d’ingénieur et pilote d’essais pour réfléchir à une procédure qui pourrait être acceptée par l’administration. Le constructeur mit à notre disposition ses moyens, directeur des essais en vol, prototype, moyens de calcul.

Nous constatâmes que la seule pénalisation venait de la VMCG : en cas de panne d’un moteur extérieur, avant la vitesse de 40 kts, l’embardée n’était pas rattrapable par la seule gouverne de direction, insuffisamment alimentée.

Nous fîmes accepter, après expérimentation à Toronto d’abord puis à Courchevel, que la puissance jusqu’à cette vitesse critique fût appliquée à 100 % sur les moteurs intérieurs et seulement 80 % sur les extérieurs. Cela marchait très bien et nous pûmes, par la même occasion, démontrer que, compte tenu de la pente, la charge n’influait pas, voire favorablement, sur la distance de décollage.

Ce qui nous fit dire, un peu taquins, que les aérodromes n’étaient plats que parce que les villes qu’ils desservaient étaient dans des plaines !!!

ET DES “AVENTURES”

Bien qu’originale et non codifiée, pendant toutes ces années, notre exploitation fut remarquablement sûre, ce qui n’excluait pas de belles “aventures”.

Atterrissage au refuge des Grands Mulets

Au printemps, un point de dépose très demandé était le dôme du Goûter, 400 mètres sous le sommet du mont Blanc. La descente à ski de près de 3 000 mètres de dénivelée s’effectue sur un glacier très spectaculaire, crevasses et séracs s’y côtoient. Au milieu de la descente, accrochée sur un piton, se situe le refuge des grands Mulets.

Ce matin-là, après avoir déposé au dôme une dizaine de groupes, je plongeais vers Le-Fayet, heureux de la perspective d’un repos mérité sur une terrasse de Chamonix.

J’y trouvais un message de Giovanni Fanton, le gardien des Grands mulet, qui me disait : « J’ai beaucoup de monde et plus rien à leur donner à boire, monte-moi de la bière et du vin que je te fais livrer de suite au Fayet ».

Je l’appelle pour lui dire qu’à ma connaissance je ne peux pas me poser à proximité, il me convainc du contraire. Giovanni était un camarade de stage, aspirant guide, je décolle, tourne autour du refuge, ne vois rien de convenable, repars vers la vallée, me reprends, reviens encore et, finalement, me pointe en finale sur une forte pente nommée la jonction. Mais la pente est beaucoup plus raide que je ne l’avais vu, trop tard je suis en finale, pas d’échappatoire, je remets toute la puissance, me hisse en vol jusqu’au sommet, touche, débouche sur ce que j’avais pris pour une plate-forme, en fait un fort devers à droite vers une haute barre de séracs, plein pied à gauche, toujours plein gaz, l’avion s’immobilise dans la pente, nez en l’air.

Dès que je réduis un tant soit peu la puissance, l’avion recule vers le gouffre. Giovanni court vers moi avec son piolet, cramponné à la pente dans le vent de l’hélice, le plante derrière un ski, je réduis, arrache le piolet et recule. Que faire ?

Il me vient à l’idée de remonter les skis. Ils se remontent vers l’avant et acceptent de le faire bien qu’au sol. C’était la bonne idée, les roues s’enfoncent dans la neige, l’avion est ancré. Prudemment, je réduis la puissance et arrête le moteur, empoigne mon piolet et saute de l’avion. Giovanni et moi nous embrassons et réfléchissons, il faut sortir de cette situation scabreuse.

Le secours nous arrive d’en haut, tous les passagers déposés arrivent peu à peu accompagné de leurs guides. Nous les mettons au travail avec pelles et planches pour tailler, trente mètres plus haut, une plate-forme de la taille de l’avion. Puis, tous attelés avec les cordes des guides, nous halons l’avion vers cette plate-forme et le retournons face à la vallée.

Il y a environ quatre-vingts mètres entre l’avion et la barre de sérac, mais la pente est forte, la neige froide et glissante et la rupture de pente, franche sans aspérités, et haute d’environ cinquante mètres. Cela doit faire.

Mais l’avion est en équilibre peu stable et je crains que mon poids et les vibrations de la mise en route ne le fassent partir avant que la puissance ne soit disponible. Nous passons donc un mousqueton dans les anneaux d’amarrage sous chaque aile et, avec deux cordes, attelons une solide équipe à chaque aile avec ordre de lâcher un brin précisément quand je ferai signe pour que les deux cotés soient libérés simultanément.

Je monte à bord avec précautions, regarde mes deux équipes d’ancreurs, ils me font un sourire un peu crispé et… je lance la turbine, sors les volets, je suis prêt. Giovanni saute sur l’avion, ouvre la porte et me dit : « Tu vas te casser la gueule, je serai avec toi ! »

Je baisse le bras, les deux cordes sont lâchées, pleins gaz, la barre de sérac est là en un éclair, plus de sol sous mes skis. Je vole !!! Je ne vous dis pas la fête le soir là…

Un autre matin, de grand beau temps, quatre Pilatus sont en l’air au départ des stations de Tarentaise vers les glaciers de la Vanoise. Avec de petites équipes au sol et des guides bien rodés, nous effectuons, chacun, environ une rotation toutes les demi-heures. Quand les conditions sont parfaites, le décor dans lequel nous volons enthousiasmant, je suis plus attentif que jamais, ne pas se laisser aller à l’euphorie….

Vers dix heures j’entends la voie inquiète d’Anne-Marie :

  • Je viens de décoller de Val, j’ai heurté un rocher en bout de piste, mon avion flotte… (la piste de la tête de Solaise est particulièrement raide et étroite).
  • Où es-tu ?
  • Verticale Val, cap à l’ouest…
  • Continue comme tu es, ne touche à rien, ni gouverne ni puissance, j’arrive.

Venant de décoller du Ruitor, j’étais tout près. Je la rejoins rapidement et me place derrière elle pour découvrir, horrifié, que l’ensemble plan fixe horizontal, gouverne de profondeur, a été arraché et ne tient plus que, longitudinalement, par les câbles de commandes et, verticalement, par la pression de l’air, qui bloque l’ensemble sous la gouverne de direction, laquelle se trouve ainsi pratiquement inutilisable. Je m’attends à l’horreur de voir l’avion basculer à tout moment et précipiter ses occupants au sol.

  • Anne-Marie, rien de grave, nous allons nous poser à Courchevel, fais tout doucement 15° à gauche, nous passerons au Nord de la grande Motte et serons pratiquement dans l’axe de la piste, réduis tout doucement pour commencer une descente lente.

Anne-Marie est une remarquable pilote, avec calme et douceur elle va ramener son avion sur la piste de Courchevel. Dès qu’il touche le sol, le plan fixe et sa gouverne tombent au sol. Je me pose immédiatement derrière et réembarque ses passagers vers leur destination, ils ne sauront jamais d’où ils reviennent.

Vive Anne-Marie et le Pilatus !

Une nuit à Cointrin

C’était dans les années 60. Toutes les stations souhaitaient leur Altiport. Le groupe de travaux publics GTM réfléchissait à s’investir dans la construction d’ Isola 2000 et demandait les conseils d’Air-Alpes pour inclure, dans son projet, un altiport. Mon ami Couvelaire voulait me faire rencontrer le président de GTM mais, trop occupé, j’avais à plusieurs reprises décliné l’invitation. Finalement, il me propose une rencontre un soir à Genève-Cointrin. Il n’eût pas été convenable de refuser, rendez-vous est donc fixé au restaurant de l’aéroport.

À l’époque, Martine, notre fils aîné et moi couchions dans le hangar. Nos journées étaient longues et commençaient fort tôt le matin. Peller des tonnes de neige, ouvrir les portes, sortir les avions, voler toute la journée, rentrer les avions, s’occuper du planning du lendemain, une soupe, une tranche de beaufort et nous tombions sur le lit sans demander notre reste dès la nuit arrivée.

Ce soir-là, vers 21 heures, alors que je dormais profondément, le téléphone sonne, Martine décroche, et fermant le combiné me dit : « Tu as rendez-vous à Cointrin ? »

Je lui dis : « Cambronne, dis que je suis en route et que j’arrive ! »

Nous sautons dans nos vêtements, ouvrons les portes et sortons un Pilatus, je mets en route, lui recommande de laisser, à tout hasard, les lumières du fronton du hangar allumées, et décolle.

Il fait un temps superbe, le ciel est magnifique et en bas les lumières des villages jalonnent la vallée. Un peu inquiet, je prends contact avec la tour de Cointrin :

  • Genève, ici Sierra Zoulou, consignes pour rejoindre votre circuit.
  • Tiens, j’ignorais que Courchevel était ouvert la nuit.
  • Vous voyez !
  • Eh bien rejoignez le vent arrière pour la 23.

Une fois au sol après un superbe survol de Genève.

  • Sierra Zoulou, quelles sont vos intentions ?

M’armant de culot je lui dis :

  • Je viens pour rencontrer quelqu’un au restaurant puis je repars pour Courchevel.
  • C’est en ordre, parquez-vous au pied du restaurant et avant de décoller passez au bureau de piste pour déposer un avis de vol.

Il est vrai que nous avions bonne réputation à Cointrin, où nous venions fréquemment, mais je n’en croyais pas mes oreilles. Heureuse époque bien révolue.

Tout se passe comme dit, vers minuit je rentre, réveille Martine, nous rentrons l’avion et nous recouchons.

Le lendemain matin le contrôleur me dit : « Tu ne sais pas Michel ? Je deviens fou avec vos Pilatus, cette nuit j’en ai entendu un à deux reprises et ma femme a eu du mal à me calmer… »

L’aviation régionale – Une autre aventure

Puis les déposes sur glaciers furent interdites par la loi, mettant un terme à cette activité d’Air-Alpes. Elle avait, quelques années plus tôt, mis le pied à l’étrier en ouvrant l’une des premières lignes régionales, Chambéry/Paris, elle s’engagea à fond dans cette voie où tout était à nouveau à défricher. Elle y fut une pionnière efficace.

LE BEECH 99

Pour des raisons d’économie, les B.99 comme les Twin Otter d’Air-Alpes n’étaient pas équipés P.A., ce qui garda aux pilotes de la compagnie une magnifique habileté, d’autant qu’ils faisaient de nombreuses rotations chaque jour sur des aérodromes équipés eux-mêmes de moyens de radio guidage sommaires.

LA CORVETTE

C’est Air-Alpes, enfin, qui mit en service le premier jet exploité sur le réseau Régional. La Corvette de l’Aérospatiale.

Mais c’est une autre histoire, à suivre.

EN FORME DE CONCLUSION

Dans mon nid d’aigle à 2 000 mètres, le coucher du soleil est un moment de paix. Le soleil disparaît derrière les crêtes à l’Ouest, l’ombre remonte doucement absorbant tour à tour le Roc Mugnier puis l’ aiguille du Fruit, puis l’aiguille de Mey.

La grande Casse, le dôme de Bellecôte, le grand Bec et le dôme de Chasseforêt vont s’embraser, puis s’éteindre l’un après l’autre, alors le ciel derrière eux deviendra d’un bleu profond.

J’irai au Nord de la maison, voir le dernier rougeoiement sur le mont Blanc. Et la nuit viendra, invitant à de nouvelles rêveries.

Quelques années plus tard, traversant l’atlantique d’ouest en est, passant des tropiques au cercle polaire, décrivant à la surface de la Terre, dont on devine ou imagine la rotondité, la courbe parfaite d’une orthodromie dessinée par les plates-formes à inertie et les ordinateurs de bord, parlant simultanément d’une voix qui ondule et grésille à New York, Gander, Santa Maria et Shannon, je fus plongé dans la même rêverie me sentant à la fois porté par le génie de l’homme qui a réalisé, générations après générations, de si merveilleuses machines à la marche desquels l’on apporte sa modeste et temporaire contribution et infiniment petit et fragile dans la création dont on perçoit mieux l’infini. »

Michel Ziegler

SOURCES

DOCUMENT DE RÉFÉRENCE

AUDIOTHÈQUE

VIDÉOS


  1. Il s’agissait en fait du Caudron G.3 immatriculé F-ABDQ (‘Faut Avoir Beaucoup De Culot’…). Pour mémoire, François Durafour était Genevois, donc de nationalité suisse.
  2. Ici, Michel Ziegler confond deux épisodes distincts : le décollage de François Durafour, effectué le samedi 30 juillet 1921 sur une courte distance par le Caudron G.3, un appareil léger, et le sauvetage du Piper ‘Supercruise’ HB-OIS du Suisse Georges-André Zehr par le Suisse Hermann Geiger, pratiquement au même endroit, le vendredi 5 octobre 1951.
  3. Légende soigneusement entretenue car Robert Merloz était né à Levallois-Perret (département de la Seine) le 29 mai 1936. Peut-être l’ami d’enfance jouait-il le rôle de caution locale de la compagnie aérienne nouvellement créée.
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