12 avril 1951 – Le lieutenant John W. Hodgkin (US Air Force) pose son Piper J-3 Cub équipé de skis au sommet du mont Rainier (Rocheuses)


NOTE LIMINAIRE

Comme pour l’ensemble des articles publiés par Pilote de montagne (PDM), le texte est mis au présent afin d’en faciliter la lecture.

INTRODUCTION

Les semaines précédentes ont été majoritairement consacrées à célébrer les exploits d’aviateurs Sud-Américains et d’une aviatrice française dans les Andes. Après avoir effleuré l’Himalaya et des collines chinoises, Pilote de montagne commémore le soixante et onzième anniversaire du record de posé en altitude établi, dans les montagnes Rocheuses, en 1951, par un officier de l’U.S. Air Force avec son avion privé équipé de skis. Le pire est que le lieutenant John W. Hodgkin devient un pilote de montagne, certainement sans rien connaître des études menées sur l’emploi des skis sur les avions menées en Europe…

TENEUR DE L’ARTICLE

« Le 12 avril 1951, le lieutenant John W. Hodgkin, alors âgé de 42 ans, pilote en poste sur la base de l’U.S. Air Force McChord, transfère son Piper J-3 Cub, équipé de skis, depuis la piste Spanaway Air Strip jusqu’au sommet du mont Rainier (14 410 pieds [4 392 mètres]), établissant ainsi un nouveau record du monde pour un atterrissage à haute altitude. Cependant, quand Hodgkin se prépare à décoller, le moteur ne redémarre pas dans l’air raréfié et il est obligé de passer la nuit au sommet de la montagne, blotti dans le cockpit du Cub. Le lendemain matin, Hodgkin pousse son avion sur la face enneigée du glacier Nisqually, puis plane jusqu’au lac Mowich gelé, à 5 000 pieds [1 524 m] d’altitude, et atterrit sur la glace en toute sécurité. Avec l’aide d’un ranger du National Park Service et aux 20 gallons (75,7 litres) d’essence, largués depuis un avion de secours de l’U.S. Air Force, Hodgkin redécolle et retourne en toute sécurité à Spanaway. Il est ensuite accusé par la Cour fédérale d’avoir posé, sans permission, un avion privé dans un parc national puis est condamné à payer une amende de 350 $. Hodgkin, dont l’escapade fait les manchettes des journaux pendant quatre jours, explique aux journalistes qu’il a entrepris ce vol afin de démontrer la faisabilité et l’utilité d’employer des aéronefs légers pour le sauvetage en haute altitude et la guerre en montagne.

UN PILOTE PASSIONNÉ

John Wilfred Hodgkin (1909-1989) est lieutenant dans la Réserve de la Force aérienne des États-Unis, affecté au 14e Escadron de transport de troupes, 61e Groupe de transport de troupes à la base de l’USAF McChord dans le comté de Pierce. Stationné sur la base aérienne de Thulé, au Groenland, pendant la Seconde Guerre mondiale (1941-1945), Hodgkin est réactivé pendant la guerre de Corée (1950-1953) pour piloter des Douglas C-54 Skymasters sur la route polaire vers le Japon, fournissant du transport aérien de personnel et de fournitures aux forces des Nations Unies. Le 61e Groupe de transport de troupes effectue également des missions de combat en Corée du Nord, transportant des munitions, des fournitures et de l’équipement aux forces assiégées de l’ONU et rentrant au Japon avec des blessés et des évacués.

Hodgkin, alpiniste expérimenté, pilote de planeur et photographe, a une passion pour l’atterrissage de son petit Piper J-3 Cub en altitude. À l’aide de prises de vues, il documente de nombreux atterrissages sur les pentes des montagnes de la Sierra Nevada, y compris le mont Whitney et le mont Shasta, et écrit un article pour la revue nationale intitulée ʺI Land Anywhereʺ [« J’atterris partout »]. Son objectif est d’établir le record du monde pour un atterrissage à haute altitude et il prévoit, depuis plusieurs semaines, un vol rapide jusqu’au sommet du mont Rainier (14 110 pieds [4 302 mètres d’altitude]).

SON PIPER CUB

Le Piper J-3 Cub est un avion monomoteur léger, construit de 1938 à 1947 par la Piper Aircraft Corporation à Lock Haven, en Pennsylvanie. Le fuselage, en acier tubulaire soudé, et l’aile, en aluminium, sont recouverts de tissu. La petite cabine non pressurisée ne peut accueillir que le pilote et un passager, assis en tandem. Le Cub utilise une configuration de dérive arrière comportant une roulette de queue et un train rouleur fixe. Les roues peuvent être facilement enlevées et remplacées par des skis pour atterrir sur la glace et la neige, ou par des flotteurs pour les amerrissages. Largement utilisé par les militaires pendant la Seconde Guerre mondiale pour la collecte de renseignements et le repérage de l’artillerie, le ‘Cub’, baptisé ‘Grasshopper’ [‘Sauterelle’] par l’armée de Terre [Army], a la réputation bien méritée de pouvoir atterrir partout où le pilote le souhaite.

Le Piper J-3 ‘Cub’ d’origine est équipé d’un moteur Continental de 65 chevaux refroidi à l’air et d’un plafond de croisière de 11 500 pieds [3 505 mètres d’altitude]. Afin d’atteindre des altitudes plus élevées, Hodgkin le remplace par un moteur Continental de 85 chevaux, lui offrant un plafond de service de 15 000 pieds [4 572 m]. Comme le ‘Cub’ n’a pas de démarreur électrique, le moteur doit être mis en marche manuellement en lançant l’hélice. L’avion manque également d’une radio bidirectionnelle.

PRÉPARATION

Le jeudi après-midi 12 avril 1951, Hodgkin effectue une inspection préliminaire de son Piper ‘Cub’ équipé de skis à Spanaway Air Strip, au sud de Tacoma, et est paré à décoller pour son vol record au sommet du mont Rainier. La cabine de l’avion est chargée de 100 livres [45,3 kg] d’équipement, y compris des vêtements supplémentaires, une parka robuste, trois couettes, deux grands sacs de nourriture et un bidon de trois gallons [13,6 litres] d’essence. [Hodgkin] n’a pas de raquettes ni d’équipements d’escalade, mais a emporté diverses caméras pour documenter l’événement.

Pour faciliter le décollage, Hodgkin pose les skis du ‘Cub’ sur une paire de patins reliés à un attelage de remorquage. De la paille est éparpillée sur la piste gazonnée pour rendre la surface plus glissante. Un ami, George Brooks, aide Hodgkin en tirant les patins sur la piste avec son automobile jusqu’à ce que le ‘Cub’ prenne l’air. Deux avions légers, l’un piloté par le sergent Charles Bunch, de l’U.S. Air Force, et l’autre par Ernest Jenson, accompagnent Hodgkin de Spanaway Air Strip pour assister à l’atterrissage historique au sommet du mont Rainier.

AU SOMMET DE LA MONTAGNE

Hodgkin pose son Piper ‘Cub’ en toute sécurité sur le champ de neige à cheval entre Point Success et Columbia Crest, le plus haut sommet du mont Rainier, au nord de la pente du glacier Nisqually, juste à l’extérieur du cratère. Un vent de face de 30 milles [48 km] à l’heure lui permet d’arrêter son avion presque immédiatement après le toucher des roues. Pendant que Bunch et Jenson effectuent des cercles au-dessus de lui, Hodgkin quitte le cockpit et grimpe jusqu’au bord du cratère. Après avoir pris plusieurs photos de lui-même [aujourd’hui, on appellerait cela un ‘selfie’] et de son Piper ‘Cub’, il retourne à son avion pour le vol retour vers Spanaway, mais il ne réussit à faire redémarrer le moteur dans l’air froid et raréfié.

Pendant que Jenson fait le tour, le sergent Bunch retourne à Spanaway Air Strip et informe le 4e Escadron de secours aérien à McChord AFB [Air Force Base] de la situation difficile de Hodgkin. Le sauvetage par hélicoptère est immédiatement exclu en raison de la haute altitude et des vents forts. L’armée de l’Air envoit un Fairchild C-82 ‘Flying Boxcar’ et un Boeing B-17 ‘Flying Fortress’ spécialement équipés pour évaluer et surveiller la situation. Hodgkin salue l’aéronef en mouvement et continue de lancer l’hélice du ‘Cub’. Juste avant la tombée de la nuit, l’Air Rescue C-82 largue un kit de survie contenant de la nourriture, des vêtements et une radio à piles sur le sommet, mais le parachute est emporté à ¼ de mille [400 m] de la position de Hodgkin. Le kit comprenait un message écrit lui ordonnant d’attendre une équipe de sauvetage terrestre.

Craignant de perdre ses repères dans l’obscurité, Hodgkin décide qu’il n’a pas besoin de la trousse de survie. Après avoir arrimé le ‘Cub’ queue vers le bas, il monte dans la cabine et passe une nuit inconfortable sur le sommet de la montagne. Des vents soufflant en rafales jusqu’à 40 milles à l’heure [64 km/h] secouent continuellement l’avion léger et la température est tombée à 20 degrés sous zéro.

L’ÉQUIPE DE SECOURS

À 4 h, le vendredi 13 avril 1951, une colonne du National Park Service (NPS) s’ébranle de la station Longmire Ranger pour se rendre à Columbia Crest afin de sauver le pilote échoué. William Jackson Butler (1909-2000), ranger en chef adjoint du parc national du mont Rainier, dirige le principal groupe de sauvetage, qui comprend les rangers Delmer Armstrong, Dee Molenaar et Eldon Johnson. Une équipe de secours, composée des Rangers NPS Gordon Patterson, Corry Molenaar et George Senner, et les Mountaineers de Seattle Louis Whittaker et Wolf Bauer, part environ une heure plus tard. Il s’agit normalement d’une ascension de deux jours et le groupe de Butler espérait atteindre la position de Hodgkin en fin d’après-midi. Les équipes de secours prévoient de passer la nuit et, s’il n’y a pas d’urgence, de descendre la montagne à l’aube. Butler reçoit l’ordre de ramener Hodgkin et d’abandonner l’avion dans la neige.

Le 4e Escadron de sauvetage aérien surveille Hodgkin périodiquement tout au long de la journée alors que ce dernier tente, sans succès, de démarrer son moteur. Observant les coulées de neige dans les environs, l’Air Force avertit tous les aéronefs civils de rester à l’écart du mont Rainier, craignant que les vibrations du moteur déclenchent des avalanches et mettent en danger les grimpeurs. À 15 h 30, le chef-ranger adjoint Bill Butler transmet par radio à la station de Longmire Ranger que l’équipe de sauvetage se trouve à 13 000 pieds [3962 m], mais que les progrès sont lents en raison des forts vents, des rafales de 35 mi/h à 50 mi/h [56 et 80 km/h] et des mauvaises conditions de neige. Ils s’attendent à atteindre le sommet vers 17 h.

REMONTÉE ET DESCENTE EN VOL PLANÉ

Vers 15 h 45, Hodgkin, ignorant que l’équipe de sauvetage approche, détache les cordes d’arrimage, fait demi-tour et commence à glisser vers la pente escarpée du glacier Nisqually. Alors que le ‘Cub’ prend de l’élan, il saute dans le poste de pilotage et de forts courants ascendants lui permettent de planer jusqu’au sommet de la montagne. Une fois en vol, Hodgkin plonge l’appareil à 5 000 pieds [1 524 m] espérant redémarrer le moteur, mais il n’y arrive pas. Il effectue un atterrissage sur le lac Mowich gelé (4 929 pieds [1 502 m]) aux deux tiers de la descente de la montagne dans le coin nord-ouest du parc national du Mont-Rainier.

En route vers le sommet du mont Rainier, le sergent d’état-major John E. Robbins, membre de l’équipage de l’Air Rescue C-82, aperçoit un objet sur la surface gelée du lac Mowich. Le capitaine Leon A. Miller décide d’observer à basse altitude et découvre que c’est un petit avion posé sur la glace. Au début, tous deux pensent qu’il s’agit d’un autre appareil forcé d’atterrir du fait de problèmes de moteur. Mais le capitaine John McGarry, qui pilote l’Air Rescue B-17 spécial au-dessus du sommet, annonce que le Piper ‘Cub’ a disparu. Le capitaine Miller en vient bientôt à la conclusion que ce doit être l’avion de Hodgkin sur la glace. Grâce à des jumelles, le sergent d’état-major R. T. Elliott, un autre membre de l’équipage du C-82, repère un signal de détresse rouge et peut lire ʺDrop Gasʺ [« Larguez du carburant ! »] inscrit sur le lac enneigé.

Pendant ce temps, l’équipe de secours du NPS atteint le sommet du mont Rainier mais ne trouve aucune trace du pilote en perdition. Butler communique par radio avec la station Longmire Ranger et apprend que Hodgkin a fait voler son avion au bout du glacier Nisqually et qu’il est sain et sauf. Le groupe de soutien campe à 9 500 pieds [2 895 m] d’altitude, tandis que le groupe de secours principal doit passer une nuit glaciale au sommet de la montagne.

ʺLa glace n’a pas fondu sur nos bottes dans nos sacs de couchage le jus de fruit, enveloppé dans nos vêtements, a complètement gelé à l’intérieur de nos sacsʺ, a déclaré M. Butler (The Seattle Times).

TRAVAILLER SUR LE MOTEUR

Pendant que Hodgkin s’affaire sur son moteur, le capitaine Miller retourne à McChord AFB pour y chercher des bidons d’essence et d’autres fournitures. À 18 h 10, le C-82 ‘Flying Boxcar’ retourne au lac Mowich et y largue quatre bidons de cinq gallons [environ 19 litres] d’essence aviation fraîche. Cette fois, le parachutage atteint sa cible. Le C-82 fait une dernière passe à 20 h 30, et observe que Hodgkin est toujours sur le lac, apparemment pour y passer la nuit.

Le samedi matin 14 avril, Hodgkin vidange l’essence de son réservoir, qu’il pense être à l’origine de la panne, vidange le tuyau d’alimentation en carburant et commence à remonter le moteur du ‘Cub’. Vers 9 h 25, le ranger de district Aubrey L. Haines, âgé de 36 ans, de la station Carbon River Ranger, arrive au lac Mowich. Il avait foulé la neige pendant deux heures sur six milles de terrain accidenté pour atteindre le pilote en perdition.

Hodgkin demande si Haines dispose d’une clé à bougies. Le ranger se rend à pied à la cabane d’un monteur de lignes, trouve une paire d’épissures de câbles et fabrique une clé à bougie de fortune. Lorsque Hodgkins enlève les cosses, il découvre qu’elles sont encrassées et, après un nettoyage minutieux et de nouveau carburant, le moteur démarre immédiatement. Haines se montre réticent à laisser Hodgkin décoller depuis le lac, mais le pilote le convainc d’autoriser une tentative de glissage, démontrant qu’il pouvait le faire en toute sécurité. Après son retour, le Ranger autorise le vol. À 11 h 24, Hodgkin décolle pour Spanaway Air Strip et y a atterrit à 12 h 10.

UN ATTERRISSAGE PARFAIT

Bien que des pilotes chevronnés aient prédit que Hodgkin s’écraserait dès que les skis du Piper ‘Cub’ entreraient en contact avec la piste gazonnée de Spanaway, celui-ci effectue un atterrissage parfait et glisse pour s’arrêter en moins de 25 pieds [soit moins de huit mètres]. Sortant de son avion, il est accueilli par une brochette d’officiers de haut rang de la base de McChord, dont son commandant, le lieutenant-colonel R. W. Etter, 61e Groupe de transport de troupes, et le colonel Richard E. Bromiley, commandant de l’Escadron de transport militaire 1705, dont fait partie l’escadrille de Hodgkin, et une foule de journalistes et de photographes. Hodgkin est désolé que sa mésaventure ait causé tant d’ennuis et autant attiré l’attention.

À 15 h, le samedi, les deux équipes de secours terrestres du NPS arrivent au Paradise Lodge, où elles sont accueillies par le surintendant du parc, John Preston, et le surintendant adjoint du parc, H. L. Bill. Après avoir remercié les hommes pour leurs efforts héroïques de sauvetage, Preston annonce que le Service des parcs nationaux a l’intention de poursuivre Hodgkin pour avoir enfreint une loi fédérale interdisant l’atterrissage d’aéronefs privés dans un parc national sans autorisation. La peine maximale pour l’infraction est une amende de 500 $ ou six mois d’emprisonnement, ou les deux. De plus, Preston envisage de facturer à Hodgkin entre 500 $ et 1000 $ pour les dépenses engagées dans la tentative de sauvetage. Le chef Butler déclare que les grimpeurs sont heureux que Hodgkin soit en sécurité et qu’ils n’aient pas à le faire descendre de la montagne.

Lors d’une conférence de presse improvisée à Spanaway Air Strip, commanditée par l’Air Force, Hodgkin fait un récit haut en couleur de son atterrissage et de son décollage depuis le sommet du mont Rainier et de son vol raté vers le lac Mowich. Il déclare que les courants ascendants sur la montagne étaient si forts qu’il aurait pu rester en altitude toute la journée sans électricité. Hodgkin explique que la combinaison d’un carburant à faible indice d’octane et la haute altitude a encrassé ses bougies et qu’il n’était pas en mesure de redémarrer son moteur. Après avoir résolu le problème et s’être ravitaillé en carburant d’aviation à indice d’octane élevé, il a décollé du lac et s’est rendu à Spanaway sans problème.

En plus d’établir un record mondial pour un atterrissage à haute altitude, Hodgkin déclare qu’il voulait démontrer la faisabilité et l’utilité de l’utilisation d’aéronefs légers pour le travail de sauvetage à haute altitude et la guerre en montagne. Et, bien sûr, il espérait vendre ses photographies exclusives et le récit de l’événement record à un magazine national. Tout en exprimant ses regrets pour les dérangements causés, Hodgkin ajoute :

ʺC’était de la malchance. J’avais assez de carburant mais n’ai pas pu démarrer mon moteur après avoir atterri sur le sommet. Sinon, j’aurais décollé le jour même depuis mon lieu de posé et personne n’aurait pu jouer l’intelligentʺ (The Seattle Times).

AUDACIEUX MAIS ILLÉGAL

Techniquement, Hodgkin était absent sans permission depuis 8 h le vendredi matin. Le vol du jeudi avait eu lieu pendant une journée de congé de Hodgkin et ne relevait pas de la compétence de l’Air Force. Cependant, le commandant de l’escadron de Hodgkin lui aurait dit précédemment de ne pas tenter cet atterrissage risqué. Le lieutenant-général Howard A. Craig, inspecteur général de l’Air Force, ordonne une enquête officielle pour déterminer si Hodgkin devait être jugé par la cour martiale pour avoir désobéi à un ordre direct.

Le lundi 16 avril 1951, le lieutenant Hodgkin, accompagné de son avocat, Earl Mann de Tacoma, est traduit en justice devant le commissaire des États-Unis, Earl Clifford, au poste de ranger de Longmire, et plaide non coupable à l’accusation d’avoir fait atterrir illégalement son avion dans un parc national. Puisque l’Air Force l’avait déjà consigné sur la base, Hodgkin est libéré sous serment, en attendant une audience officielle.

Le vendredi 27 avril 1951, M. Hodgkin comparaît devant le tribunal du commissaire américain à Longmire pour un procès. L’avocat de la défense Mann fait valoir que si la loi stipulait que les aéronefs ne peuvent pas atterrir au sol ou sur l’eau dans un parc national, son client avait atterri sur la neige. Il concède cependant que l’esprit de la loi avait été violé. Dans une déclaration devant le tribunal, Hodgkin déclare que les avions privés ne devraient pas être interdits dans les parcs nationaux ; les montagnes sont sa religion et le vol est sa croisade contre l’injustice. Le commissaire Clifford déclare Hodgkin coupable de l’infraction, puis lui inflige une amende de 350 $ ainsi qu’une peine d’emprisonnement avec sursis de six mois. En terminant, Clifford déclare à Hodgkin qu’il n’était manifestement pas un criminel, mais qu’il devait réévaluer son jugement.

INTRÉPIDE ET LIBRE

Intrépide, le 30 juin 1952, Hodgkin fait à nouveau la une des journaux en posant un avion léger au sommet du mont Adams (12 307 pieds [3 751 m]), le deuxième plus haut sommet de l’État de Washington, situé dans la forêt nationale de Gifford Pinchot. Il trouve un champ de neige de 1 000 pieds [305 mètres] de long et atterrit sans encombre. Après une demi-heure de reconnaissance [à pied], il décolle sans difficulté et se  rend à Hood River, en Oregon. Bien que sur des terres fédérales, l’U.S. Forest Service avait accordé des droits de débarquement à une société minière qui avait des intérêts dans la région. La compagnie, à travers une série d’atterrissages, voulait déterminer la faisabilité de faire voler des ingénieurs miniers vers la montagne pour explorer les gisements de soufre. Hodgkin réitère le vol vers le mont Adams le 2 juillet avec un passager, Earl Dean.

Les aviateurs ont un dicton : ʺIl y a de vieux pilotes et il y a des pilotes audacieux. Cependant, il n’y a pas de vieux pilotes audacieuxʺ. Apparemment, John Hodgkin a battu les probabilités en ayant survécu à la Seconde Guerre mondiale, à la guerre de Corée et à de nombreux vols vers les sommets des montagnes. Il décède à Long Beach, en Californie, le 13 mai 1989, à l’âge de 80 ans. Hodgkin sera toujours reconnu comme la seule personne à avoir atterri et décollé du sommet du mont Rainier dans un avion privé. »

Daryl C. McClary

01/28/2008_HistoryLink.org Essay 8469.

ÉPILOGUE

Pour Pilote de montagne (PDM), l’exploit de l’officier américain doit être salué à au moins deux titres.

Tout d’abord, familier du décollage et de l’atterrissage sur skis, mais sur des surfaces planes, il entreprend de se poser sur le sommet d’une montagne de 4 392 m d’altitude, dans des conditions certes similaires, mais sans avoir reconnu l’endroit ni préparé le terrain. Il bat ainsi le record du Suisse François Durafour, qui s’était posé au Dôme du Goûter du mont Blanc (4 304 m) le 30 juillet 1921 (il y a bientôt 100 ans…), de 88 mètres.

Ensuite, ne voulant pas abandonner son appareil au sommet de la montagne en l’exposant aux intempéries, il réussit à le traîner jusqu’à la naissance du glacier Nisqually pour s’en servir comme rampe de lancement puis, le lendemain, effectuer un décollage sans moteur, puis un vol plané jusqu’au lac Mowich gelé.

Rappelons au passage que deux autres Suisses avaient tenté de se poser avec un Piper ‘Cub Supercruise’ au Dôme du Goûter le vendredi 5 octobre 1951, mais sur roues, la tentative se terminant par un capotage dans la neige fraîche filmé par le Ciné-Journal Suisse. C’est à la suite du sauvetage de cet appareil que le Suisse Hermann Geiger met au point sa méthode d’atterrissage et de décollage en haute montagne enneigée…

En conclusion, il est à déplorer que, malgré les informations existantes, les journalistes suisses n’en aient pas bénéficié pour se lancer dans l’aventure.

Il nous semble également très dommageable que de véritables exploits, comme celui du lieutenant Hodgkin, soient aussi méconnus du grand public. Comme au cours des Jeux olympique, chaque Nation vibre aux performances de ses propres ressortissants sans considérer les records étrangers comme faisant partie d’un bien commun de l’humanité. Heureusement, il est certains sports modernes encore confidentiels dans lesquels le nationalisme semble une notion du passée, une notion dépassée…

Éléments recueillis par Bernard Amrhein


SOURCES

  • Sources : Don Duncan, “Piper Cub High,” Washington: The First One Hundred Years (Seattle: The Seattle Times, 1989), 81; “Flyer Hops Off Mt. Rainier Peak, Lands on Tiny,” Seattle Post-Intelligencer, April 14, 1951, p. 1; Charles Russell, “Hovering B-15 Locates Rescue Party — Too Late,” Ibid., April 14, 1951, p. 3; Douglass Welch, “Rainier Pilot Flies Out Safely; Faces U.S. Prosecution,” Ibid., April 15, 1951, p. 1; “Rainier Climbers Laud Flyer,” Ibid., April 15, 1951, p. 6; “Rainier Flyer Given Hearing,” Ibid., April 16, 1951, p. 8; “Rainier Landing Cost $350,” Ibid., April 28, 1951, p. 4; “Peak Landing Pilot Sets on Mount Adams,” Ibid., July 1, 1952, p. 2; ““Flyer Seen Atop Peak Near Plane,” The Seattle Times, April 13, 1951, p. 1; “Stranded Pilot Is Experienced Mountaineer,” Ibid., April 13, 1951, p. 4; “Flyer, Using Updraft, Glides Dead-Engined Plane Off Top,” Ibid., April 14, 1951, p. 1; Don Magnuson, “Grim ‘Brass’ Greets Pilot’s Return From Lofty Perch,” Ibid., April 15, 1951, p. 1; Robert A. Barr, “Rangers Aren’t Bitter About Perilous Climb; Flyer May Receive Bill,” Ibid., April 15, 1951, p. 15; Harland Plumb, “Weary Ranger Lent Aid But Doesn’t Share Flyer’s Satisfaction,” Ibid., April 15, 1951, p. 15; “Rainier Flyer, Arraigned, Pleads Innocent,” Ibid., April 16, 1951, p. 5. “Flyer Fined for Rainier Landing,” Ibid., April 28, 1951, p. 2; “Pilot Lands Ski Plane Atop Mt. Adams, takes Off Safely,” Ibid., June 30, 1952, p. 1; “Pilot Again Lands Ski-Equipped Plane Atop Mt. Adams,” Ibid., July 2, 1952, p. 2; “M’Chord Air Base Pilot Marooned,” Tacoma News Tribune, April 14, 1951, p. 1; Ken Adair, “Two Fliers Saw Pilot and Unharmed Plane on Peak,” Ibid., April 14, 1951, p. 1; Charles Wolverton, “Mountaineering Pilot Back at McChord – Safe,” Ibid., April 15, 1951, p. 1; Howard Clifford, “Ranger Made Flight Possible,” Ibid., April 14, 1951, p. 4; “Hodgkin’s Antics Irk Rescuers,” Ibid., April 16, 1951, p. 1; Howard Clifford, “Alert Flyer Spotted Plane on Mowich Lake,” Ibid., April 16, 1951, p. 1.
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